Les Belges du bout du monde (8/10): "J’ai eu du mal à réaliser que Nesta est mon coach"
Pierre-Yves Ngawa s’épanouit à Pérouse sous les ordres de son idole de jeunesse.
- Publié le 09-01-2019 à 14h52
- Mis à jour le 09-01-2019 à 14h54
Pierre-Yves Ngawa s’épanouit à Pérouse sous les ordres de son idole de jeunesse. Le virage a pu surprendre. À l’été 2015, après deux saisons à OHL qui lui proposait une prolongation et une revalorisation de son contrat qui s’achevait, Pierre-Yves Ngawa a préféré prendre la direction d’Avellino où son agent Daniel Striani avait déjà placé Samuel Bastien ou Stéphane Oméonga.
"Il y avait aussi quelques pistes en D1 belge mais rien de concret. À 25 ans, j’avais envie d’un nouveau truc, de tenter quelque chose", justifie le défenseur sans regretter cette décision qui l’a mené depuis le début de saison à Pérouse, neuvième de Serie B après la faillite de son premier club en Italie.
Pierre-Yves, comment passe-t-on de la Belgique à la Serie B ?
"Déjà, il faut s’adapter. Il y avait d’autres Belges, cela aide car les Italiens ne parlent pas anglais et encore moins français (sourire) . Quand j’arrive, je suis juste un inconnu qui vient de Belgique (rires) . C’est comme si c’était le début d’une nouvelle carrière. J’aurais pu prendre peur. Mais j’ai eu confiance en mon agent, en moi. Mon arrivée était une surprise, les médias ne me connaissaient pas, le coach non plus vu que tout s’était fait avec le président. J’ai dû recommencer à zéro. Cela s’est bien passé au final."
Repartir de zéro à 25 ans n’est pas anodin…
"C’est vrai. Mais partout où je suis passé, j’ai quand même tout joué. Là, c’était un peu compliqué. Je redémarrais comme un jeune à 25 ans. Les Italiens sont centrés sur eux-mêmes et, par définition, celui qui vient de l’étranger reste moins bon. C’était un gros pari, un gros challenge mais je suis comme cela : je n’aime pas rester dans ma zone de confort, c’est quand j’en sors que je suis le meilleur. Là, je l’ai vraiment quittée. C’était un choix qui a porté ses fruits. Il a fallu un temps d’adaptation, je n’ai pas joué les quatre premiers matchs de championnat car même si cela se passait bien à l’entraînement, le coach ne pouvait pas titulariser un joueur venu de nulle part que personne ne connaissait car il y a quand même beaucoup de pression, c’est un championnat très médiatisé. J’ai été patient et j’ai joué le cinquième match pour ne plus sortir de l’équipe."
Et signer une très bonne saison au point de vous faire remarquer par plusieurs clubs de Serie A…
"C’était une renaissance. Je pense avoir fait ma meilleure saison. J’ai enchaîné 35 matchs. Après, oui, il y a eu quelques approches de Serie A, même des offres de Parme et du Genoa. Il y a eu des discussions avec l’Atalanta, Frosinone aussi. Pas mal de clubs. Mais malheureusement, mon président a refusé au moins trois offres pour faire faillite un mois plus tard, en août dernier…"
Votre transfert aurait pu empêcher cette faillite ?
"Oui car les discussions avec mon agent étaient orientées vers cela. Mon départ et celui d’un autre défenseur auraient pu peut-être entre guillemets sauvé le club. Mais au final, ce n’est même pas une faillite économique. Le club n’a pas pu s’inscrire en Serie B. On n’a pas eu la licence parce que le président a voulu prendre une assurance roumaine que la fédération a refusée. Et le club a été relégué en Serie D."
Aviez-vous senti le coup venir ?
"Pas du tout. C’est venu d’un coup. On est parti en stage normalement, on a fait un match de gala contre l’AS Rome, on avait un super groupe. Et on a vu le truc venir via la presse. Le président nous disait que tout allait bien mais au final, non. On a été libéré le 10 août, ce qui est super tard pour retrouver un club où les effectifs sont formés. J’avais eu les opportunités de partir en Serie A mais je reste un joueur venant de Serie B, un gros club de Serie A n’allait pas m’attendre."
Comment avez-vous géré cette période ?
"Mentalement, cela a été un peu compliqué à gérer. Refaire une année de plus à Avellino ne me posait pas de problème, je n’avais pas de problème avec le président qui m’avait fait confiance. J’ai eu de la chance de faire une bonne saison et plusieurs clubs de Serie B étaient directement là quand j’ai été libéré. Mais il y a encore des joueurs qui n’ont rien actuellement. J’ai eu la chance de signer à Pérouse avec un très bon projet sportif et le meilleur défenseur de l’histoire comme coach (sourires) ."
Qu’est ce que cela représente pour vous d’être entraîné par Alessandro Nesta ?
"J’ai eu du mal au début. C’est Nesta quoi. Il en impose. J’avais dû mal à réaliser que Nesta était mon coach. C’est mon idole. Quand j’étais plus jeune, je regardais des vidéos de lui pour me mettre dedans. J’apprends énormément avec lui. Il m’a fait jouer dans l’axe d’une défense à trois et à quatre, à droite et à gauche aussi. Cela reste impressionnant. L’homme est incroyable. Si quelqu’un ne le connaît pas, il pensera que c’est quelqu’un de normal. Son humilité est impressionnante alors qu’il a tout gagné."
"J'ai redécouvert le foot ici"
Le Liégeois est conquis par l’exigence italienne.
Le Calcio véhicule essentiellement deux clichés : l’intensité de ses préparations physiques et sa rigueur tactique.
"Et ce n’est pas un mythe mais la réalité", acquiesce Pierre-Yves Ngawa. "La préparation physique est vraiment dure. À Avellino, la saison a recommencé mi-juillet et j’ai fait une préparation avant de partir avec mon meilleur ami qui est préparateur physique et kiné. Si je ne l’avais pas fait, j’aurais été à la rue dès le début. Il y a beaucoup de courses, de physique, de diagonales. C’était à l’ancienne, surtout avec mon coach. Mais je n’ai jamais été aussi bien physiquement. J’avais déjà un bon niveau mais là, c’est un cran au-dessus. Et la tactique, on en mange matin, midi et soir. Que ce soit à l’arrêt ou en mouvement, sur le terrain ou en vidéo. C’est beaucoup plus tactique qu’en Belgique car il y a une adaptation à l’adversaire qui est plus poussée. Mais comme j’ai travaillé avec Emilio Ferrera, j’avais déjà connu ce degré de précision tactique. Il n’a rien à envier aux tacticiens italiens."
Si ce degré de méticulosité athlétique et tactique ne l’a pas surpris, le défenseur ne s’attendait par contre pas à un tel engouement.
"L’amour pour le foot est impressionnant. C’est ce qui peut dégoûter les jeunes. Tu es obligé d’avoir cette passion sinon tu pars au bout d’un mois parce que tu en as marre. Ici, c’est tout le temps, tout le temps foot, foot, foot. C’est l’une des grandes différences avec la Belgique. Que ce soit les supporters, les dirigeants : on est toujours à 200 %. L’an passé, j’étais dans un club du sud où c’est plus chaud. À Avellino, si on perdait, je ne sortais pas manger au resto pendant quelques jours. Les supporters sont fâchés et viennent te voir. Ce sont les excès sudistes : en D1 belge, il y en a dans les grands clubs, j’ai vu ce que c’était au Standard. Et je ne m’attendais pas à ce que ce soit comparable au Standard en Serie B, même plus poussé dans le sud", sourit-il.
Si les installations ne sont pas de première jeunesse, l’attrait de la Serie B reste son rythme démentiel.
"Il y a un tel niveau d’exigence à tous les niveaux. Enchaîner 42 matchs sans compter les PO, c’est costaud. Si tu n’es pas prêt physiquement et mentalement, tu ne peux pas le faire. C’est un très bon choix pour moi. Mon agent m’avait prévenu : la Serie B est compliquée par rapport à cela et ne convient pas à tout le monde. J’ai redécouvert le foot ici."
Dans un championnat ultra-homogène avec un niveau qui, selon lui, se rapproche "du milieu de tableau belge".
"Aucun match n’est facile, il faut être prêt à cette exigence. Et puis, il y a beaucoup de mouvements à l’intérieur de la Serie B mais aussi vers la Serie A. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ils font confiance aux jeunes joueurs. Quand on parle de l’Italie, on pense à des joueurs expérimentés mais il y a ce mix en Serie B avec les jeunes. C’est une très bonne expérience car le championnat est tellement exigeant qu’une saison ici en vaut deux."
"Le Standard reste un rêve"
Après une semaine de vacances à Liège, Pierre-Yves Ngawa est rentré à Pérouse ce mardi.
"J’ai le mal du pays de temps en temps car je ne rentre que deux fois par an. Mais j’aurai le temps d’en profiter plus tard", souligne celui qui envisage volontiers de faire le reste de sa carrière à l’étranger. "Le plus dur, c’est de se lancer. J’avais eu une première expérience à Ujpest qui n’est pas comparable. Mais cela ne me dérangerait pas même si j’espère un retour en Belgique. Un parcours quand même difficile même si j’ai joué partout où j’étais. Je vais avoir 27 ans dans deux mois, je suis content de ce que j’ai pu faire même si j’ai connu des moments très compliqués. Il faut relativiser, tout le monde n’a pas la chance de vivre de sa passion. Je suis fier de moi car ma personnalité n’a pas changé, je n’ai pas fait de choses que je regrette."
Même si l’histoire avec le Standard reste inachevée. "Le Standard reste un rêve mais je n’ai pas de regrets. Le seul que j’ai, c’est que ce n’était pas ma décision de partir. J’y étais depuis mes 6 ou 7 ans. Si j’avais pu y faire toute ma carrière, je l’aurais fait. C’est une déception car mon objectif était de me faire un nom au Standard. Mais c’est le football."