Les Belges du bout du monde: Chiró N’Toko (1/10) était "jeune et con" et pensait "être le meilleur du monde"
Pour le premier épisode de notre série, embarquement avec Chiró N’Toko, un Liégeois qui a bourlingué aux Pays-Bas, connu le chômage, fait un crochet en Slovaquie et qui s’en va découvrir les États-Unis dans quelques jours après avoir signé dans un club où il n’a jamais mis les pieds.
- Publié le 02-01-2019 à 09h59
- Mis à jour le 02-01-2019 à 10h14
Pour le premier épisode de notre série, embarquement avec Chiró N’Toko, un Liégeois qui a bourlingué aux Pays-Bas, connu le chômage, fait un crochet en Slovaquie et qui s’en va découvrir les États-Unis dans quelques jours après avoir signé dans un club où il n’a jamais mis les pieds. "Vous savez, le football, c’est aussi cela. Des aventures. Des voyages. Moi, j’aime l’aventure. Après, bien évidemment, quand tu commences à jouer au foot, tu rêves de jouer la Ligue des champions. J’ai quand même joué avec Nacer Chadli et Dries Mertens qui la jouent et qui ont fait la Coupe du monde. Tout footballeur en rêve. Mais il y a autre chose. Voyager. Cela fait aussi partie du foot." Certains verseront dans les regrets. D’autres préfèrent prendre les choses autrement. Avec philosophie.
À bientôt 31 ans (il les fêtera le 30 janvier), Chiró N’Toko a choisi sa voie. A tracé sa route. Loin des sentiers qu’il aurait pu arpenter. "Dire que je ne me dis pas que, peut-être, j’aurais pu faire une carrière comme Dries ou Nacer serait mentir. Oui, peut-être que j’aurais pu faire une autre carrière si je n’avais pas fait ces erreurs plus jeune et si j’avais été épargné par les blessures. Mais en les voyant là où ils sont, c’est une fierté, un plaisir de les voir à ce niveau-là."
N’Toko est toujours en contact avec les deux Diables croisés au début de leur ascension. À l’époque d’Apeldoorn. Lui qui est né à Kinshasa et qui est arrivé dans la région liégeoise à l’âge de 5 ans a préféré rejoindre ce club en 2007 plutôt que le Standard.
Défenseur central puissant qui évoluait déjà avant ses 18 ans en équipe première à Seraing sans jamais être passé par le monde pro, N’Toko était aussi pisté par Mouscron cette année-là. "Le Standard m’a demandé si je voulais jouer pour la réserve. J’ai refusé. Puis, j’ai eu cette opportunité pour Apeldoorn en D2 néerlandaise. Je ne connaissais pas trop, mais c’était quand même une bonne opportunité."
N’Toko la saisit. Se rapproche naturellement des autres francophones de l’équipe : Christian Kabeya, Jérémy Bokila et donc le duo Chadli-Mertens, ses nouveaux voisins.
L’équipe est dirigée par un certain John van den Brom qui prend sous son aile le petit groupe. Trois ans plus tard, à 21 ans à l’été 2010, N’Toko arrive en fin de contrat après trois bonnes saisons. "Et là, j’ai fait le con", avoue-t-il humblement avant de rembobiner l’histoire.
"Trois bons clubs de D1 me voulaient : Vitesse, qui avait des problèmes financiers, Heracles Almelo et l’ADO La Haye, où van den Brom avait signé. Mais vu que j’étais jeune et con, que je pensais que j’étais le meilleur du monde, je me suis dit qu’en étant libre, j’allais pouvoir attraper une grosse équipe."
À Almelo et à La Haye, N’Toko promet de répondre "dans deux ou trois semaines" tout en ayant déjà pris sa décision : "je ne voulais pas y aller et, résultat, ils ont pris un autre défenseur central. J’ai laissé les trois clubs filer et je me suis retrouvé six mois sans club".
Avant cet appel de van den Brom en janvier 2011. "J’étais sans club, à la maison, et j’étais forcé de lui dire. Il a tout fait pour que je puisse signer à La Haye." Mais plutôt que de renouer les fils de sa carrière intéressante, N’Toko va plonger dans une période plus sombre. "À mon arrivée à La Haye, la galère commence. J’ai signé en janvier et, en mars, je me suis fait les croisés, le ménisque était aussi touché. J’ai été absent près de neuf mois. À mon retour de blessure, je fais quelques matchs, John n’était plus là, j’avais besoin de temps pour revenir. Je n’en ai pas eu et mon contrat n’a pas été prolongé."
Résultat, six mois de chômage entre juin et décembre 2012. "Un choc, mentalement, expose-t-il avec pudeur. J’étais abattu. Je ne voulais pas arrêter le foot, non. Mais c’était difficile. Vivre tout cela en si peu de temps, c’était un peu compliqué à gérer mentalement : me retrouver six mois sans club puis signer à La Haye, me faire les croisés deux mois après puis voir mon contrat non renouvelé après neuf mois d’absence et enchaîner avec six mois sans contrat, c’était un peu trop pour moi. J’étais un peu dégoûté."
Début janvier 2013, une connaissance le met en contact avec Barnet, un club de D4, au nord-ouest de la grande banlieue de Londres. "En venant d’une D1, arriver en D4, je me disais que j’allais jouer les doigts dans le nez. Mais ce que je ne savais pas, c’est que tous les joueurs là-bas étaient super physiques, en sourit désormais N’Toko pourtant plutôt costaud (1,88 m pour 82 kilos). C’était un autre football pour moi qui étais habitué au jeu néerlandais propre, tactique, avec des passes courtes, et je me suis retrouvé dans un championnat avec de longs ballons, des duels. On me reprochait avant ce passage d’être trop gentil, de ne pas assez utiliser ma force physique, et là, j’ai eu un déclic : physiquement, je devais y aller car les autres y allaient. Cela ne s’est pas passé comme je le souhaitais mais c’était quand même une très bonne expérience."
Qui lui permet de se relancer totalement puisqu’à l’été 2013, il signe trois ans au FC Eindhoven, puis, après un passage éclair à Cambuur de juin à décembre 2016, il rebondit au NAC Breda qu’il a quitté à la fin de son bail l’été dernier. Pour aller mettre le cap sur… la Slovaquie et Senica.
"Parce que je voulais un peu voir autre chose, justifie-t-il. Je pouvais rester dans le confort des Pays-Bas mais, là-bas, la plupart des terrains en D2 sont synthétiques et, pour ma santé, je voulais éviter. Et il y a eu ce contact avec ce club en Slovaquie. J’ai beaucoup, beaucoup hésité avant d’y aller. Mais je me suis dit, autant y aller plutôt que de rester à la maison. Je n’ai pas accroché au final à la culture et au club. Je suis resté seulement deux mois."
L’escapade est courte. Mais elle va lui servir à poser les jalons pour la suite. "À Senica, un de mes coéquipiers, Victor Nirennold, avait joué aux USA et son agent m’a permis de trouver cette équipe d’El Paso."
Ou comment N’Toko va se retrouver dans un club qui a vu le jour cet automne et qui va disputer l’USL Championship, considéré comme la D2 américaine même si aucune passerelle de promotion ou de relégation ne la relie à la MLS. Le tout sans avoir jamais mis les pieds au Texas ni dans les installations du Locomotive FC ! "C’est vrai que c’est bizarre mais je suis un aventurier , lâche-t-il en éclatant d’un rire sonore. Ils ont vu mon C.V., des vidéos de moi, et le contact s’est fait comme cela, et ils m’ont fait signer. Les USA m’ont toujours fait rêver , explique celui qui a pris ses renseignements auprès d’anciens partenaires. J’ai eu de bons retours. Ce n’est pas comme si je me rendais dans un lieu totalement inconnu non plus même si je ne connais ni la ville ni le club. On va tenter, on va voir. De toute façon, je n’ai rien à perdre. J’ai hâte de découvrir une autre culture, un autre football par rapport à ce que j’ai pu voir ici. Voir la vie autrement. Cela a toujours été un rêve pour moi d’aller aux USA. Ce que le football va me permettre."
S’il confesse avoir quelques regrets "par rapport à certains choix" et avoue qu’il aurait "quand même voulu que cela se passe autrement" , N’Toko sourit : "d’autres auraient aussi voulu avoir un parcours comme le mien qui n’est pas flamboyant ou top, top", et relativise, voulant faire passer ce message aux plus jeunes : "quand il y a une opportunité qui se présente, il faut la saisir. Ne pas attendre qu’un club qui te fait rêver arrive. Quand tu as quelque chose de concret sur la table, il faut y aller. Parce que dans le foot, on ne sait jamais…"