Les Belges du bout du monde (4/10): Naïm Aarab, le Bruxellois qui est passé par les blessures, le chômage et la galaxie Duchâtelet
Le Bruxellois Naïm Aarab y est pourtant parvenu avec le Wydad Casablanca. Point d’orgue d’une carrière qui a viré parfois au roman. Récit entre blessures, chômage et galaxie Duchâtelet.
- Publié le 05-01-2019 à 07h37
- Mis à jour le 05-01-2019 à 07h38
Le Bruxellois Naïm Aarab y est pourtant parvenu avec le Wydad Casablanca. Point d’orgue d’une carrière qui a viré parfois au roman. Récit entre blessures, chômage et galaxie Duchâtelet. C’est un rêve d’enfant qui s’est réalisé. Une petite blague d’une maman qui, dans son trait d’humour, avait finalement vu juste. Naïm Aarab en sourit encore plus franchement.
"Quand j’étais petit, ma mère me taquinait en me disant ‘vous allez en tournoi, vous allez jouer la Ligue des champions’. Je lui répondais : ‘Mais, maman, ne dis pas n’importe quoi, ce n’est pas la Ligue des champions, c’est juste le championnat.’ Et elle me disait que c’était la même chose, me demandait si j’avais gagné la Ligue des champions. À chaque fois. Et, depuis tout petit, j’ai cela en tête. J’en riais avec elle. Jusqu’à ce que je la gagne. Même si elle n’est qu’africaine. Moi, le gamin de Molenbeek, jamais je n’aurais cru pouvoir gagner la Ligue des champions et participer au Mondial des clubs. C’est beau."
Parce qu’inattendu. Fruit d’un parcours hors du commun. Cette conquête du graal en 2017 avec le Wydad Casablanca est venue ponctuer une carrière d’abord traditionnelle. Avant de devenir parfois romanesque au gré de ce football devenu business.
Pour le Bruxellois, les débuts sont classiques. Trois ans et demi à Anderlecht, cinq au RWDM quitté lors de la faillite puis des passages à Strombeek et Tubize avant un retour durant 18 mois au Sporting. Que ce membre de la génération 88 des Kums, Mertens, Tioté, Legear, Dericjk, Vadis ou Kagé décide de quitter au printemps 2006. D’une drôle de manière.
"Beaucoup de joueurs restaient à stagner à Anderlecht et on leur disait après de partir en ayant joué trois ans en réserve et en Espoirs pour se retrouver à jouer en D3", rembobine celui qui venait à l’époque de fêter ses 18 ans. "Je ne voulais pas faire la même erreur. Un beau jour, j’ai brossé les cours pour rester à la maison, faire un CV et appeler tous les clubs que je trouvais en Italie, en France, en Allemagne ou en Suisse. Le NEC Nimègue a été le premier à me répondre." En lui proposant de venir deux mois plus tard pour un essai.
Mais Aarab, convainquant et persévérant, obtient le droit de s’entraîner dès le lendemain matin.
Le défenseur persuade sa mère d’emprunter la voiture de sa tante, prend la route à l’aube d’un matin de mars 2006 et arrive avec deux heures d’avance au club où les portes sont encore fermées. "J’étais le premier. Jusqu’à ce que l’entraîneur des Espoirs arrive. Quand il m’a serré la main, il m’a dit qu’en étant là deux heures à l’avance, j’avais déjà réussi la moitié de mon test. Après 45 minutes d’entraînement, il a appelé le directeur technique pour me faire signer."
Aarab reste deux ans aux Pays-Bas mais ne voit pas ses efforts récompensés et le contrat qui lui est proposé ne le satisfait pas. Sur le point, à l’été 2008, de rejoindre le Cercle Bruges, il croise la route de l’agent Rachid Tajmout qui vient de placer Mbo Mpenza à Larissa. Plutôt que les Émirats ("je me sentais trop jeune"), il opte pour la Grèce et débarque dans le pays des tout frais champions d’Europe.
"J’étais le petit jeune dans une équipe à 30 ans de moyenne d’âge. Je jouais en défense centrale à côté de l’ancien défenseur de Newcastle Nikos Dabizas, qui avait 37 ans. Une super expérience."
Qui aura ses côtés plus sombres. Comme ce jour de novembre 2009 quand Aarab apprend le décès de son coéquipier Antonio de Nigris qu’il considérait comme un grand frère. Ou ses deux dernières années où la crise économique a commencé à s’installer en Grèce et le versement des salaires à s’espacer.
"Je me suis blessé en mars 2012 et le club était en D2", explique celui qui parle couramment grec et est resté en contact avec ses anciens voisins. "Jean-François De Sart m’a alors appelé."
Le Liégeois n’a pas oublié les qualités de l’ancien international espoir et souhaite le faire venir au Standard. Aarab intègre bien la galaxie Duchâtelet mais atterrit à Ujpest avec la promesse de très vite rejoindre le vaisseau amiral.
Le Bruxellois y fera un passage le temps de quelques entraînements lors du stage hivernal 2013. "Mais Mircea Rednic n’avait pas besoin de défenseur central", précise celui qui à son retour en Hongrie sera relégué dans le noyau B à cause d’une brouille avec Marc Lelièvre, l’adjoint de Jos Daerden. "Il m’a mis des bâtons dans les roues alors que je n’ai jamais eu de problèmes disciplinaires. À cause de lui, j’ai perdu beaucoup de temps."
À l’été 2013 , il rebondit à Saint-Trond. D’abord réticent, Aarab se laisse convaincre et séduire par le discours de Yannick Ferrera, manque la montée d’un rien et finit par se retrouver libre en juin 2014, Ujpest ayant simulé la faillite à cause de problèmes financiers.
Plutôt que d’accepter la toute petite offre d’un an de Westerlo, il opte pour le Wydad Casablanca. Où sa carrière va prendre une sacrée tournure dans un club où tout est démesuré.
"Les gens ne se rendent pas forcément compte de la passion autour du Wydad. C’est la folie. La pression pour gagner existe à Anderlecht mais ici, c’est encore plus important. Tu perds un match, t’es mort. C’est la crise."
Aarab découvre le pays de ses origines. L’incompréhension que peut susciter son trajet inverse quand les Marocains s’imaginent en Europe. Mais aussi le drôle de fonctionnement de son club.
Six mois après son arrivée, Aarab se blesse et décide de se faire soigner en Belgique puis de reprendre le rythme à Deinze à l’été 2015. En janvier 2016, son président le rappelle pour le faire revenir.
"J’ai retrouvé l’équipe en stage de préparation à Agadir. À la dernière seconde du dernier entraînement avant un match contre le FAR de Rabat où je devais être titulaire, deux joueurs sont allés au duel. Je suis allé entre les deux, ils m’ont ramassé tous les deux et j’ai eu une fracture de la malléole externe et du tibia péroné. Alors que je revenais de blessure", soupire-t-il. Avouant ensuite : "J’ai vécu dans un trou. C’était très dur mentalement. Je ne vais pas dire que j’ai fait une dépression, mais c’était compliqué alors que j’arrivais dans de belles années. Mais ce qui ne te tue pas te rend plus fort, j’ai persévéré et j’ai été déterminé à revenir."
Ce qu’il parviendra à faire. Difficilement. Un premier retour tourne court : son président lui promet de l’inscrire sur les listes enregistrées auprès de la fédération mais Aarab ne peut pas s’entraîner avec le groupe puisque le dirigeant n’a pas tenu sa parole. Ce qui, spécificité marocaine, "a fait de moi un joueur libre".
Le Bruxellois rentre alors en Belgique. "Je suis resté un mois sans club. Il fallait subvenir aux besoins de la famille, je me suis inscrit dans une entreprise d’intérim en continuant à m’entraîner. J’ai distribué des prospectus durant quelques jours avec toujours cet objectif dans la tête de revenir, de prouver. J’étais en contact avec le président de Deinze, un très bon ami, je lui ai envoyé un message pour savoir s’il avait besoin d’un défenseur, mais lui n’en cherchait pas."
Aarab s’entretient avec l’Olympic Charleroi jusqu’à ce que Deinze le recontacte en fin d’année 2016 pour le faire jouer au milieu. "Résultat, j’ai signé jusqu’en fin de saison où je touchais le minimum. Quelqu’un qui travaille à l’usine gagnait plus que moi. Mais je voulais me relancer en faisant ce sacrifice. Mais, après trois ou quatre matchs, le président du Wydad m’a rappelé pour me dire : ‘Il faut que tu viennes deux mois au Maroc.’ Nous, les Marocains, on est un peu space (rires). Cela doit aller vite. Cela doit se passer hors du naturel (rires). Il m’a dit : ‘Tu prends l’avion, tu viens.’ Deinze a obtenu une compensation de 20 000 euros je crois, et j’ai préféré l’aventure."
Qui aura un goût de revanche en cette année 2017 marquée par une victoire en Ligue des champions et une participation au Mondial des Clubs. "Et cela, jamais je ne l’aurais cru", sourit celui qui aspire désormais à un retour en Belgique. "Parce que, justifie-t-il, j’ai l’impression d’avoir un peu fait le tour." Mais également parce qu’il ressent l’envie d’écouter les petites blagues de sa maman.