Les Belges du bout du monde (7/10): "À refaire, je fermerais ma g…, cela a tué ma carrière"
Protégé de Van Gaal chez les jeunes à l’Ajax, Stanley Aborah a vu sa carrière s’écrire loin de celles de ses anciens partenaires qu’il surpassait à l’époque. Quelque part entre Dender, la Slovénie, la Hongrie, l’Irlande et même le Koweït.
- Publié le 08-01-2019 à 16h07
- Mis à jour le 09-01-2019 à 09h10
Protégé de Van Gaal chez les jeunes à l’Ajax, Stanley Aborah a vu sa carrière s’écrire loin de celles de ses anciens partenaires qu’il surpassait à l’époque. Quelque part entre Dender, la Slovénie, la Hongrie, l’Irlande et même le Koweït. Il était peut-être le plus doué. Stanley Aborah a été en tout cas le plus précoce. Le premier de ces Anversois qui a rejoint les Pays-Bas au début des années 2000 à faire parler de lui. Sans connaître la réussite qui lui était promise.
Le milieu offensif était programmé pour le haut niveau. Le très haut niveau. Il l’a découvert à 17 ans, en octobre 2004 quand il a effectué ses débuts avec l’Ajax en remplaçant Rafael Van der Vaart. À l’époque, Aborah était capitaine en réserve, le joueur mieux coté de sa génération formée par Ryan Babbel, Jan Vertonghen ou encore Urby Emmanuelson.
"Ce qui prouve, sans me vanter, à quel point j’étais bon à l’époque. J’étais vraiment considéré comme un gros talent si je peux dire cela de moi", explique-t-il, un peu embarrassé de parler de lui en ces termes. "Mais si mes performances sur le terrain peuvent le laisser croire, je n’étais pas heureux. J’ai eu beaucoup de problèmes avec les entraîneurs, les dirigeants alors que je jouais bien. Vraiment. Quand vous n’êtes pas heureux en dehors du terrain, vous faites parfois des choses stupides et vous avez cette étiquette de fauteur de troubles difficile à enlever. C’est compliqué ensuite de faire changer d’avis des gens."
Danny Blind ou Ronald Koeman ne veulent plus de lui. Au contraire de Louis Van Gaal, séduit mais qui sera le grand perdant de la lutte de pouvoir qui fait rage à l’époque dans le club.
"Je me rappelle que Van Gaal s’était disputé avec Koeman à mon sujet. Il me voulait en équipe première déjà l’année d’avant, quand j’avais 16 ans. Il m’adorait. Mais il est parti. C’était mauvais pour moi. Si Van Gaal était resté, je serais revenu en équipe première."
Au lieu de cela, après un prêt en 2005/06 à Den Bosch qu’il qualifie lui-même de "l’une de mes plus mauvaises décisions", sa carrière va alors prendre une tournure moins dorée. Plus laborieuse. Franchement improbable même. "C’est vrai que c’était impossible à prévoir. Quand tu commences, tout le monde rêve du Real, de Barcelone. J’ai eu des opportunités. Après l’Ajax, Hoffenheim m’avait proposé un super contrat, mon agent a rappelé trop tard parce qu’il attendait une offre de Barcelone. Barcelone a dit non, on a rappelé Hoffenheim mais c’était trop tard. J’ai été malchanceux, blessé et j’ai fait des mauvais choix. Si je racontais tout, les gens seraient vraiment sous le choc, se demanderaient comment est-ce possible ?"
Avec le temps, Aborah s’est forgé un avis sur le sujet. Une conviction sur ce qu’il aurait pu faire autrement. "À refaire, je pense que je fermerais ma g…", avoue-t-il en riant franchement. "Cela a tué ma carrière à l’Ajax. Mais c’est difficile de changer sa personnalité. C’est ma réputation. C’est un peu le principe du téléphone arabe, une petite chose peut prendre des proportions incroyables, j’ai cette image de fouteur de m… alors que je suis quelqu’un de calme, de respectueux, je dis juste quand je ne suis pas d’accord. Je ne supporte pas l’injustice et cela ne passe pas dans le football où il y en a tellement. Maintenant, je suis différent, je sais comment cela marche. Je suis plus mature, on peut me faire ce qu’on veut, je m’en moque. J’avance, je joue."
Aborah l’a fait loin des radars. En 2006, au sortir de sa période à l’Ajax, un contrat l’attend à Middlesbrough. L’essai proposé ne doit être qu’une formalité. Sauf que le milieu se blesse lors de sa première séance.
Après quatre mois à l’infirmerie, il se ressource chez lui, à Dender. Puis reprend la direction des Pays-Bas et Den Bosch durant deux ans, jusqu’à l’été 2009. Avant une nouvelle blessure. Plus délicate cette fois.
"J’ai eu un souci au niveau des adducteurs et des abdos. Un premier médecin ne savait pas exactement ce que j’avais. Idem pour un deuxième. Et j’en ai eu marre. J’ai arrêté de jouer. Je me suis dit ‘va te faire f…’ "
La décision est brutale en cette fin d’année 2010 pour un jeune qui va fêter ses 24 ans en février 2011. "Parce qu’il y avait de la frustration d’avoir été si bon jeune et de ne pas réussir à le faire chez les pros. Puis les blessures… J’en avais juste marre, peut-être que le football n’était pas fait pour moi. J’ai pensé à reprendre les études", rembobine-t-il.
Plutôt qu’à l’université, lui qui rejoue à Cappelen signe des contrats à la semaine à Gillingham à la fin de l’été 2010, finit par rebondir en septembre 2011 à Vitesse où un certain John Van den Brom qui l’a dirigé chez les jeunes à l’Ajax lui tend la main.
"Le début de ma deuxième carrière", souligne-t-il. "J’ai signé un an, je n’ai pas prolongé. Le contrat qu’il m’offrait était très petit. C’est la seule raison pour laquelle je n’ai pas signé. J’avais travaillé dur pour revenir à un bon niveau, je pensais mériter un peu mieux. Peut-être aurais-je dû rester…"
Sans doute n’aurait il pas dû rejoindre en septembre 2012, Mura en Slovénie. "Mon agent m’a appelé pour me dire qu’ils étaient intéressés. Et j’ai été assez stupide pour y aller. Je suis quelqu’un qui peut être facilement influençable, si un agent me dit que je peux aller dans un club et que cela me plaît, alors j’y vais, qu’importe le niveau. Si je peux m’amuser. Les propriétaires étaient néerlandais mais je ne savais rien de ce club. J’aurais dû aller autre part, j’aurais pu trouver un meilleur club. Je ne savais rien de la Slovénie. Je n’ai pas été payé pendant six mois et je suis parti."
Pour la Hongrie et Ferencvaros en février 2013. "Parce qu’il y avait ce manager néerlandais, Ricardo Moniz, que je connaissais de réputation", explique-t-il. "Ses séances étaient rudes. Je n’ai jamais été autant en forme. On faisait des trois contre trois sur tout le terrain. Je me sentais vraiment bien."
Mais à l’été 2013, impossible de trouver un terrain d’entente pour sa prolongation de contrat. "Comme à Vitesse, quand je suis arrivé, je n’avais rien exigé. Je voulais d’abord prouver que j’avais le niveau. Je ne demandais pas grand-chose mais ce n’était pas possible. Ils ne voulaient même plus me redonner des billets d’avion pour voir ma famille. C’est stupide. Je ne pouvais pas l’accepter. Et je suis parti à cause de cela."
Pour… le Koweït. "Quand j’en ai parlé à ma famille, elle a éclaté de rire et m’a demandé si j’étais sérieux. Mais quand je leur ai parlé du salaire, ils ont arrêté de rire", sourit Aborah qui le concède : "Ce n’est pas une destination ordinaire pour un joueur. Parfois, vous prenez des décisions dans la précipitation, vous cédez à la panique parce que vous n’avez pas de club. À ce moment-là, je n’en avais rien à faire. On avait acheté une maison. Un agent est venu avec cette offre du Koweït. Le salaire était bon, le meilleur que j’ai eu."
À condition de gagner. "Après une défaite, je suis allé dans les bureaux pour voir le Sheikh et être payé. On m’a demandé d’attendre. 30 minutes après, tout était noir, il était parti par-derrière", sourit-il "Quand vous perdez, vous savez que cela ne sert à rien d’aller demander votre salaire. Il fallait attendre la victoire."
Après une bonne saison, l’histoire avec Al Salmiyah prend une mauvaise tournure au moment de prolonger son contrat. Une fois encore… "J’aurais dû signer deux ans de plus mais ils ont essayé de m’arnaquer. Ils ne m’ont jamais redonné le contrat. En faisant cela, ils savaient qu’ils ne risquaient rien devant la Fifa car je n’avais pas de preuve écrite, juste les papiers avec mon agent qui n’avaient aucune valeur. Et je suis resté un an sans jouer."
Faisant ensuite des passages à Notts County (D4) plutôt qu’à Oman "parce que j’avais besoin d’argent" de juillet 2015 à janvier 2017, à Portsmouth où dans la foulée de la montée en League One (D3) un nouveau manager débarque "mais n’avait pas besoin de moi" avant de rebondir à Waterford, en D1 irlandaise en janvier 2018 le temps d’un an pour celui qui désormais s’interroge sur la suite à donner à cette drôle de carrière.
"Je pense avoir le niveau pour jouer en D1 ou en D2 en Belgique. Mais avoir une opportunité est autre chose. Je pense que les gens ne me connaissent même pas en Belgique, je ne sais pas si je vais continuer à jouer pour être honnête. Sinon, je ferai autre chose."
Loin, très loin de la vie de Moussa Dembélé et Jan Vertonghen qui aurait pu être la sienne. "Quand je revois Jan, c’est comme si on s’était quitté la veille. Quand je les ai vus au Mondial, j’étais comme un supporter, fier alors que quand j’étais plus jeune, j’étais plus triste", concède-t-il. "Parce que je sais que j’aurais pu être avec eux en sélection."