Rik Van Steenbergen, l'éclectisme pour une triple couronne mondiale
- Publié le 21-09-2017 à 11h57
- Mis à jour le 21-09-2017 à 12h59
Il y a 60 ans, Rik Van Steenbergen enlevait, à Waregem, le troisième maillot arc-en-ciel de son exceptionnelle carrière. Trois fois champion du monde sur route, Rik Van Steenbergen n’a pas retiré, d’un point de vue du palmarès, le maximum de son exceptionnelle carrière. Et pourtant, l’Anversois doit être considéré comme un des plus grands champions, peut-être le plus éclectique.
Songez que celui qu’on surnomma sur la deuxième partie de sa prodigieuse carrière Rik I, par opposition à son plus jeune rival Rik Van Looy, Rik II, a collectionné pas moins de 1.053 victoires. Que ce soit sur route, où il remporta 338 succès, dont 257 chez les pros, ainsi que sur piste, où il a enlevé 715 épreuves les plus diverses. Van Steenbergen avait un incroyable talent, une personnalité hors du commun, mais aussi une santé de fer. Pourtant, son cœur, d’une exceptionnelle grosseur, s’il explique en partie ses succès, lui aurait peut-être valu une interdiction de courir aujourd’hui avec des contrôles médicaux plus stricts. Van Steenbergen a couru jusqu’à 42 ans et vécu encore trente-cinq années de plus.
Il joue dans un film porno
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas ménagé son moteur. On peut même affirmer qu’il a parfois brûlé la chandelle par les deux bouts. Surtout après la fin de sa carrière sportive lorsqu’il éprouva les pires difficultés à redevenir un citoyen lambda. L’Anversois passa même un bref moment par la case prison. Il était soupçonné d’avoir participé à des attaques à mains armées, lui qui fréquenta la pègre anversoise.
On le retrouve aussi en 1968 au générique d’un film pornographique, Pandora…
"Ce n’est pas facile d’intégrer la société normale quand on vous a baisé les pieds pendant vingt ans", avouait-il en évoquant ses ennuis et son divorce. Rik I se remarie avec une Anglaise. "Elle m’a sauvé", disait-il aussi.
Tout jeune, Van Steenbergen avait été baptisé le "petit Kaers" par analogie avec le champion du monde campinois de 1934, vainqueur aussi du Ronde, mais qui, avec le recul, ne fut qu’un (très) "petit Van Steenbergen", sans que ce jugement ne soit péjoratif. Rik devient pro le 15 novembre 1942. C’est la guerre, il n’a que 18 ans et fait déjà les beaux soirs du Sportpaleis d’Anvers. Neuf mois plus tard, le 8 août 1943, le voici devenant le plus jeune champion de Belgique sur route de l’histoire. C’est la première fois qu’il dispute une course de plus de deux cents kilomètres !
Un an se passe et il enlève son premier Tour des Flandres, le maillot tricolore sur les épaules. Mais s’il est vraiment précoce et affiche une santé insolente, Rik Van Steenbergen a également un amour immodéré de l’argent. Il court partout et souvent, passant de la route à la piste, plus lucrative, où il est une des têtes d’affiche. Il passe des Six Jours aux classiques, des critériums aux kermesses, des omniums aux grands tours… et toujours avec succès.
Au gré des contrats juteux qui lui sont présentés, il écume les épreuves de Six Jours, de vitesse, d’américaine, d’omnium. Surtout, celui qu’on surnomme "The Boss" comprend vite qu’un succès dans une classique au printemps ou au Mondial lui assure ensuite une solide rente dans les mois suivants. Alors, il veille à alimenter ponctuellement son palmarès et, par voie de conséquence, son portefeuille.
Deuxième d’un Giro
Quelques exploits réussis sur route démontrent sa classe immense. En 1949, au sortir d’un hiver pistier très dense, l’Anversois dispute la Flèche wallonne pour préparer Paris-Roubaix. Il est prévu qu’il abandonne après 150 km. Contrairement à ce qui se faisait alors, il part de Charleroi sans bidon, ni boyau de rechange. Après Spa, Fausto Coppi se retrouve seul avec Pino Cerami. Les deux hommes poursuivent leur échappée en duo vers Liège, mais, au pied de la Côte des Forges, ils sont repris par trois hommes dont, tiens, tiens, Rik Van Steenbergen. Sur le quai des Ardennes, où Marcel Kittel a remporté la deuxième étape du dernier Tour de France, l’Anversois se montre le plus rapide.
Trois ans plus tard, en 1952, Van Steenbergen prend encore la mesure de Fausto Coppi, sur un tout autre terrain cette fois. En 1948, il a conquis le Ruban jaune, de la moyenne la plus élevée dans une classique, en gagnant déjà Paris-Roubaix. Il va réussir le doublé, au terme d’une finale époustouflante. La Reine des classiques semble lui échapper quand Coppi s’envole. Du moins le croit-on.
De l’arrière, Van Steenbergen, qui n’a jusqu’alors joué pas le moindre rôle, se lance en contre-attaque pour revenir sur la tête de la course à une dizaine de kilomètres du but. Le Campionissimo tente alors de larguer le Belge, revenu du diable Vauvert, mais qui s’accroche tant et plus. Sur le vélodrome, Van Steenbergen s’impose évidemment. "Rik est le plus grand phénomène que j’ai rencontré sur route", témoigne Fausto Coppi.
La performance la plus folle de Van Steenbergen est peut-être la deuxième place qu’il conquiert, en juin 1951, au terme du Tour d’Italie gagné par Fiorenzo Magni pour 1:46. Au classement final, Van Steenbergen devance cinq coureurs qui ont, ou vont, gagner au moins une fois le Tour, Ferdi Kübler, Fausto Coppi, Hugo Koblet, Louison Bobet et Gino Bartali…
Deux fois champion à Copenhague
À ce moment, l’Anversois a déjà enlevé une fois le maillot arc-en-ciel. Pourtant, son premier Mondial n’est pas exempt de tout reproche. Il est sélectionné en 1946 pour le premier championnat d’après-guerre. Dans la finale, il ramène le Suisse Hans Knecht sur Marcel Kint qui est échappé. À deux contre un, les Belges sont pourtant battus… On soupçonne Van Steenbergen d’avoir favorisé le Suisse en échange de contrats juteux sur le vélodrome de Zurich.
Et en 1947, dans la fournaise de Reims, il déserte une édition qui tourne au désastre pour nos compatriotes. En 1949, il doit gagner sa sélection pour le Mondial de Copenhague, taillé à sa mesure en passant par le Tour (deux étapes gagnées). La course est pourtant dominée par… Fausto Coppi, qui réussit la saison la plus aboutie de sa prestigieuse carrière, mais c’est Van Steenbergen qui revêt pour la première fois le maillot arc-en-ciel, en prenant la mesure de Kubler et Coppi au sprint.
Sept ans plus tard, c’est encore dans la capitale danoise que le Belge gagne un deuxième Championnat du Monde. Onze hommes jouent la victoire, parmi lesquels six des huit Belges. Au sprint, emmené par Fred De Bruyne, Van Steenbergen s’impose largement. Cette fois devant Rik Van Looy qui, de plus en plus, lui fait de l’ombre. Derrière le Néerlandais Gerrit Schulte, Stan Ockers, champion sortant, est 4e, De Bruyne 5e et Germain Derijcke, 6e.
Le 24e Championnat du Monde de l’histoire se tient en Belgique, à Waregem, le dimanche 18 août 1957. C’est un circuit taillé pour nos compatriotes, évidemment, avec quelques tronçons pavés et l’ascension, répétée douze fois, du Vossenhol, à Tiegem. Van Steenbergen croit s’être arrangé avec deux des huit sélectionnés (NdlR : sans doute Raymond Impanis et Marcel Janssens) pour qu’ils le protègent du vent dans les secteurs découverts, mais, après deux tours, il a compris que ses deux équipiers préfèrent jouer leur propre chance. Le Belge s’arrange alors avec Charly Gaul. Le Luxembourgeois protégera Rik I du vent pendant les dix derniers tours. Pourtant, l’Ange de la montagne est normalement l’équipier de Van Looy chez Faema…
Après un final de folie, où les Belges courent après les Belges et les Français après les Français, six hommes se présentent au sprint. Comme l’année précédente, Fred De Bruyne lance l’emballage qu’enlève Rik Van Steenbergen devant Louison Bobet, André Darridage et Rik Van Looy.
Un champion éclectique
Constant Hendrik, dit Rik, Van Steenbergen est né le 9 septembre 1924, à Arendonk. Il est mort le 15 mai 2003, à Anvers. Pro de 1943 à 1966, son palmarès recense plus d’un millier de succès, dont 338 sur route et plus du double sur piste. Outre ses trois titres mondiaux, Rik I a enlevé trois nationaux (1943, 1945, 1954). Il s’est imposé dans huit classiques : Paris-Roubaix (1948, 1952), le Tour des Flandres (1944, 1946), la Flèche wallonne (1949, 1958), Paris-Bruxelles (1950) et Milan-San Remo (1954). Il a aussi enlevé 25 étapes de tours, quinze du Giro, six de la Vuelta et quatre de la Grance Boucle. Sur piste, il a gagné 40 Six Jours, huit titres de champion d’Europe et onze de Belgique dans diverses disciplines.
Le Mondial 1957: Sur le circuit de Waregem (23,8 km) à couvrir douze fois.
Les arrivées : 1. Rik Van Steenbergen (Bel), les 285,6 km en 7 h 43.10; 2. Louison Bobet (Fra); 3. André Darrigade (Fra); 4. Rik Van Looy (Bel); 5. Alfred De Bruyne (Bel); 6. Jacques Anquetil (Fra); 7. Léon Van Daele (Bel) à 0:12; 8. Germain Derijcke (Bel); 9. Julien Schepens (Bel); 10. Marcel Ernzer (Lux).
70 partants (13 nations), 41 classés.