Rouler sur le sec ou sous la pluie: la course des sept différences
- Publié le 21-09-2017 à 11h31
- Mis à jour le 21-09-2017 à 12h01
Ville la plus pluvieuse d’Europe avec ses 300 jours de précipitations recensés par an, Bergen se devait d’accueillir, un jour, la semaine… arc-en-ciel. Mais quel impact peut avoir la pluie sur la performance sportive et le déroulement d’une course cycliste ? Éclairage.
La santé: un risque de gastro accru
Si une débauche physique intense dans un temps froid et humide accroît considérablement le risque d’infection respiratoire, cette conséquence n’impactera pas immédiatement le coureur. Un autre mal peut, par contre, avoir des effets bien plus rapides : l’infection bactériologique. "Avec les projections d’eau émises par les roues des autres concurrents, des impuretés provenant de la chaussée peuvent se retrouver sur le goulot du bidon des coureurs, détaille Servaas Bingé, le médecin de l’équipe Lotto-Soudal. Celles-ci peuvent contenir des bactéries et considérablement perturber le système gastrique du sportif. Après chaque course, nous invitions donc nos coureurs à avaler une boisson riche en probiotiques afin de contrecarrer ce problème."
Le matériel : pas de boyaux spécifiques
Au contraire d’un pilote automobile, un coureur cycliste n’adapte pas ses boyaux en fonction de la météo. "Chez Lotto-Soudal, comme dans la plus large majorité des équipes, nous gardons le même type de boyau durant toute la saison", explique Maxime Monfort. "C’est surtout au niveau de l’équipement textile que l’on se prépare à la pluie. Pour éviter les projections soulevées par les autres concurrents, je porte une petite casquette. Les équipementiers ont fait de grands progrès, mais aucune veste n’est totalement imperméable car elle doit demeurer respirante afin d’évacuer la transpiration. S’il n’est pas possible de changer de cuissard ou le maillot sur lequel est épinglé le dossard, on descend plus souvent à la voiture pour se changer et enfiler des vêtements secs."
Le mental : une vigilance renforcée
Bien que la réponse de chaque organisme soit différente par fortes pluies, l’aspect mental joue un rôle clé dans la performance sous les averses. "Lorsque vous regardez par la fenêtre du bus et que vous constatez qu’une journée sous la flotte vous attend, ce n’est pas toujours des plus réjouissants", sourit Loïc Vliegen. "Il faut avoir un mental de combattant pour conserver sa motivation intacte." Une analyse que partage Maxime Monfort. "Je pense même que ce facteur est le plus déterminant. Au-delà de la pure motivation, la pluie a aussi un impact sur le degré de concentration. Celui-ci est toujours élevé sur un Mondial, mais c’est encore plus le cas sous la drache. L’attention est permanente et on finit la journée mentalement… rincé !" (rires)
Le pilotage : attention aux freinages
Comme un pilote automobile, un coureur cycliste se doit d’adapter chacune de ses manœuvres aux conditions atmosphériques. "La pluie affecte essentiellement les distances de freinage", commente Maxime Monfort. "Lorsqu’on actionne notre poignée, le patin doit d’abord chasser l’eau avant d’entrer en contact avec la roue pour décélérer. Il faut donc s’adapter." Loïc Vliegen, le coureur de la formation BMC, pointe, lui, deux éléments piégeux. "Il faut tenter d’éviter, autant que faire se peut, les lignes blanches et les taques d’égouts, particulièrement glissantes. On vire aussi moins vite dans les courbes, ce qui a pour effet de solliciter une plus forte relance ensuite et donc, de fatiguer plus vite."
L'acclimation : se préparer dans... le chaud
Si les anciens jugeaient autrefois qu’il était bénéfique de s’entraîner par mauvais temps afin de s’endurcir, cette vérité populaire ne repose sur aucun élément scientifique. "Les recherches tendent même à prouver le contraire, éclaire Frédéric Grappe. Le phénomène d’acclimatation est tout à fait pertinent lorsqu’on se prépare à évoluer dans la chaleur, ce pour quoi de nombreux coureurs s’étaient astreints à des séances de sauna avant le dernier Mondial au Qatar. Il ne vaut, par contre, pas pour le froid ou la pluie. Il est même préférable d’effectuer ses dernières séances dans la chaleur, car l’organisme offre alors de meilleures réponses aux sollicitations. Cela explique ainsi que certains cyclocrossmen effectuent des ministages hivernaux en Espagne avant un objectif."
La performance : une perte d'explosivité
Bien que quantifier la perte de performance sous de fortes précipitations soit très compliqué, il est indéniable que la pluie affecte le rendement d’un coureur. "Comme le corps a tendance à se refroidir plus vite, une partie de l’énergie est consacrée à la thermorégulation corporelle", avance Frédéric Grappe, directeur de la performance à la FDJ et chercheur en sciences du sport. La performance sera le plus souvent optimale sous un climat tempéré, lorsque le thermomètre oscille autour des 20 degrés. Le froid humide va avoir tendance à ralentir le temps de réponse des muscles à une sollicitation d’effort. Le coureur aura le sentiment d’être moins explosif." Un constat confirmé par Maxime Monfort. "On se sent souvent plus mou", confesse le coureur de chez Lotto-Soudal.
La résistance : un facteur génétique
Toujours très affûtés, les coureurs cyclistes présentent le plus souvent un taux de masse grasse oscillant entre 5 et 10 % contre 20 % pour un homme sédentaire ne présentant pas de surpoids. "Descendre sous la barre des 5 % rend l’organisme plus vulnérable, mais il est faux de penser que les coureurs un peu plus épais résistent mieux au froid et à la pluie", explique Peter Hespel, professeur à la KUL. C’est d’abord et avant tout le fait d’un patrimoine génétique et d’une réponse physiologique de l’organisme qui se sent, ou pas, agressé dans un tel contexte. Lorsque la peau est en contact de l’eau et que celle-ci possède une température inférieure à celle du corps, il se refroidit alors vingt fois plus vite qu’au contact de l’air ! Mais on ne pédale heureusement pas nu sur son vélo." (rires)
Wellens, l’homme qui marche sur l’eau
Le Belge vole sous la pluie, mais a les jambes coupées sous la chaleur.
En cyclisme, la météo est d’une importance capitale. Les coureurs ne réagissent pas tous de la même manière au froid ou à la chaleur. Tim Wellens, qui devra être un des artificiers au service de l’équipe belge, ce dimanche, au Championnat du Monde, en est le meilleur exemple. Il a des ailes quand il fait mauvais, il pédale avec légèreté quand il pleut. Par contre, le puncheur-grimpeur a souvent les jambes coupées dès qu’il y a beaucoup de soleil et que la température monte. Il espère donc du mauvais temps.
Tim, quel est votre rapport à la météo ?
"Avant, quand on me disait que je suis meilleur quand il pleut, je répondais toujours que ce n’était pas vrai. Mais je pense que je ne peux désormais plus affirmer le contraire. Mes meilleurs résultats, c’est vraiment dans le mauvais temps que je les ai obtenus. Je dois me rendre à l’évidence."
C’est encore plus vrai après le Tour de France, où vous avez souffert de la chaleur ?
"Oui. Cela me poussera d’ailleurs à faire le Giro l’an prochain, au printemps, une période qui me convient mieux. C’est comme ça. Je roule mieux quand il pleut et je ne roule pas bien quand il fait très chaud. C’est un problème que nous sommes en train d’examiner. Car, quand il fait chaud, quand je fais un gros effort, je ne sais plus pousser les watts que je sais normalement pousser. On pensait que c’était dû au pollen, mais ce n’est pas ça. Par contre, c’est vrai aussi que dès qu’il fait mauvais, je me sens bien sur le vélo."
Ce problème lié à la chaleur, ça vous inquiète dans la préparation d’un objectif ?
"Je ne peux pas dire que cela me stresse, car je ne regarde par exemple pas tous les jours la météo qu’il fera lors d’une course que je vise, mais c’est certain que c’est très embêtant. Car on n’a aucun pouvoir sur la météo ! Elle est comme elle est le Jour J et il faut faire avec. Je dois donc m’améliorer par rapport à la chaleur. J’attends les résultats des tests effectués avec l’Université de Louvain avec impatience. Nous aurons un grand meeting en novembre avec l’équipe et avec l’université pour parler des résultats de ces tests."
S’entraîner à Monaco, où vous habitez, dans la chaleur, cela vous aide ?
"J’espérais que ce soit un avantage. Je pensais que rouler dans la chaleur tout le temps allait me permettre de m’habituer. Mais c’est plutôt l’inverse qui se produit. J’ai l’impression que je roulais mieux dans la chaleur avant d’aller à Monaco."