Toni Brogno, le Carolo de Westerlo: "Tout ce que je touchais se transformait en or…"
Le Carolo Toni Brogno a connu ses plus belles années à Westerlo.
- Publié le 12-04-2019 à 06h56
- Mis à jour le 12-04-2019 à 07h35
Le Carolo Toni Brogno a connu ses plus belles années à Westerlo. "Dimanche, je ne vais pas pouvoir assister au match entre le club de ma région, Charleroi, et celui où j’ai connu les plus beaux moments de ma carrière, Westerlo. Je suis invité à un mariage."
Ces paroles, elles sortent de la bouche de Toni Brogno. Le Carolo qui a été pendant de nombreuses années (1997-2000 et 2002-2004) l’un des chouchous du Kuipje.
"Si j’ai eu des moments de gloire c’est grâce à Westerlo. Je me suis un peu exilé là-bas. Je suis arrivé dans un club que je ne connaissais pas, je ne parlais pas le néerlandais. Et je suis parvenu à m’y imposer comme petit Carolo. Je jouais en D2 avec l’Olympic et on est descendu en fin de saison. Westerlo, qui était dans notre série et qui disputait le tour final, m’a contacté. Malgré la distance, j’ai pris la décision d’y aller avant que ce club ne remporte le tour final et monte en D1. Je voulais sortir de ma zone de confort. J’adore mon chez-moi, ma région mais dans une carrière il y a des possibilités qui ne se présentent qu’une fois. Par contre, je n’ai jamais voulu habiter à Westerlo. J’ai toujours fait les trajets même si cela faisait 270 kilomètres par jour. J’avais besoin d’être chez moi, de passer voir mes parents."
Ce qui a apporté du réconfort à Toni surtout au début de son histoire avec le club campinois.
"Ce n’était pas facile, je ne comprenais que quelques mots de néerlandais. Encore une chance, j’ai pu compter sur l’aide d’un kiné qui m’écrivait sur un papier les heures des rendez-vous, etc. Après, j’ai appris la langue. Quand je jouais, j’aimais bien être le premier à faire les exercices, pour montrer l’exemple. À Westerlo, je me mettais dans les derniers pour être certain de bien avoir compris l’exercice. C’était frustrant mais après quelques mois, c’est rentré dans l’ordre. J’ai dû patienter avant de devenir titulaire car je me suis blessé à la cheville au début de ma première saison et l’équipe prenait des points. J’évoluais avec la réserve mais je marquais à chaque fois. Donc j’étais souvent repris sur le banc avec la première. Le déclic, cela a été un match à Lokeren. On perdait 2-0 et je suis monté à la mi-temps sur le flanc droit. À la fin du match, le coach, Jos Heyligen, m’a appelé pour me dire qu’il était content de moi et la semaine suivante je commençais le match. C’était parti pour moi…"
Avec comme point d’orgue la saison 1999-2000 où Toni Brogno termine meilleur buteur de D1 avec 30 roses. "Tout ce que je touchais se transformait en or. Chaque jour, je partais rejoindre mes équipiers pour des journées où on s’amusait. On prenait du plaisir."
Dans un club familial qui ne se prenait pas la tête. "Même quand on battait Anderlecht 6-0. On était euphorique pendant une journée, le coach buvait une bonne bière en conférence de presse et on faisait la fête après le match. Surtout, on était proche des supporters. On avait une salle des joueurs où on passait pour voir les résultats des autres matchs puis on allait directement à la buvette. Les supporters pouvaient venir te voir et on parlait ensemble. Ce n’est plus comme cela dans le foot actuel. Les joueurs passent par des égouts pour fuir leurs responsabilités. Victoire ou défaite, tu allais à la rencontre de tes fans."
Avec des traditions bien ancrées. "Malgré la concurrence, on était une bande d’amis. Le lundi, après les deux entraînements, on partait tous ensemble manger un bout au restaurant. Et quand je dis tout le monde, c’est tout le monde. Les joueurs, le staff, les personnes qui travaillaient dans les bureaux. On était 35, c’était la fiesta, on mangeait un bout, on buvait un coup. Et le mardi matin, tout le monde était-là à l’entraînement."
“Ils rigolent de mes Kipsta à 35 euros, mais...”
Le buteur est devenu entraîneur des attaquants du centre de formation carolo. Détenteur d’un diplôme UEFA A d’entraîneur, Toni Brogno dispense depuis plusieurs saisons des séances spécifiques pour les attaquants du centre de formation du Sporting Charleroi. Un rôle qu’il apprécie… “Quand j’ai reçu cette proposition, j’ai directement accepté, explique l’ancien Zèbre. Quand j’étais petit, je n’ai pas reçu une telle formation dans de telles conditions. On n’avait pas de synthétique, on jouait dans des champs et on était contents. Transmettre mon savoir, c’est important. Ce qui est bien, c’est que je peux encore jouer avec eux. Quand il faut montrer un geste devant le but, je sais encore le faire. Cela te donne de la légitimité. Certains de mes joueurs me connaissent grâce à Internet, mais c’est surtout leurs papas qui m’ont vu jouer. Je suis aussi là pour leur indiquer les dangers. Ce n’est pas parce que tu joues en élite chez les jeunes que tu vas réussir une carrière. Charleroi a investi dans la formation des jeunes et cela commence à porter ses fruits.”
Et même si on ne peut pas parler d’un conflit de générations, Toni Brogno a parfois du mal à se retrouver dans la mentalité affichée par certains de ses joueurs.
“Parfois, j’ai l’impression qu’ils veulent être footballeur pro, pas pour le jeu ou le plaisir, mais pour la vie du footballeur. Ils veulent la Ferrari de Ronaldo. Moi je voulais être pro pour fouler la pelouse du Mambourg, pour porter le maillot zébré, pour jouer devant 20 000 personnes et offrir du spectacle. Parfois j’ai l’impression que cette envie disparaît chez les jeunes. Faire un crochet, prendre des risques, réaliser une Panenka comme lors d’un match de Coupe au Standard, c’est important pour sortir d’un football formaté. Il faut être sérieux mais aussi prendre du plaisir dans ce que tu fais. Maintenant, ils sont un peu trop superficiels.”
Et comme il a gardé la forme, Toni Brogno peut encore épater ses joueurs grâce à ses talents de buteur.
“Comme je bosse au Décathlon, je teste des chaussures de la marque Kipsta. Mes joueurs, ils rigolent de moi avec mes godasses à 35 euros car eux, ils jouent avec des Nike, des Adidas à 200, 300 euros. Je fais alors un concours de volées, pied gauche, pied droit, sur des centres. Je marque mes deux buts et eux, ils balancent le ballon dans les filets de protection. Ce ne sont pas les chaussures qui font le joueur. Ils sont un peu mis dans de la ouate. Parfois, il manque chez eux de la volonté et du plaisir. Pourtant, ils ont tout : des synthétiques, des équipements, des bons ballons. Je tente de leur inculquer cette envie de gagner, de jouer. C’est le monde qui évolue, je le comprends bien, mais l’essentiel, c’est d’arriver à l’entraînement avec ton sac et un grand sourire. Avec l’envie de jouer, de gagner.”
“Avec ma petite Citroën Xsara…”
Le Carolo a terminé troisième du Soulier d’Or 1999. Si son parcours à Westerlo a permis à Toni Brogno de décrocher un beau transfert à Sedan, il lui a aussi offert une troisième place au Soulier d’Or 1999, derrière Lorenzo Staelens et Jan Köller. Une soirée inoubliable. “Je suis invité avec ma femme à Ostende car il paraît que je suis dans les dix nominés. On me dit : ‘ tu verras, c’est grandiose.’
J’arrive au parking du casino avec ma petite Citroën Xsara. Le gars à l’entrée me dit que je ne peux pas rentrer car c’est un parking réservé aux joueurs et entraîneurs. Je lui dis, je sais mais je suis Toni Brogno. Il me redit d’aller ailleurs. Je répète que je suis Toni Brogno, joueur de Westerlo. Il me met sa lampe dans le visage et s’excuse en me disant qu’il ne m’avait pas reconnu. Je pense surtout qu’il n’avait pas reconnu ma voiture (rires) car quand je me suis garé, j’étais entre de grosses et belles voitures.”
Le petit frère de Dante n’allait pas être au bout de ses surprises.
“Quand je suis rentré dans la salle, la première chose qui m’a impressionné, c’est un immense poster de deux mètres sur quatre avec une photo de moi. Je suis resté 20 secondes devant en me demandant ce que je faisais là-dessus. Je ne me rendais pas compte de l’impact de cette remise de prix. Pendant la soirée, il énonce le classement à partir du dixième et il arrive au top 5 et mon nom n’est toujours pas sorti. Robert Waseige est à ma gauche et me dit : ‘le petit Brogno, il va être sur le podium.’
Et moi je dis à ma femme : ‘ je ne suis même pas dans les dix premiers.’
Finalement, je termine troisième, trois ans après avoir quitté mon usine de Marchienne.” “Un exemple pour ma fille”
Un an après la fin de sa carrière, Toni Brogno a commencé à travailler au Décathlon. “Je n’étais pas dans le besoin financièrement. Je ne travaille que 17 h 30 par semaine. Je voulais montrer l’exemple à ma fille. Elle avait 7 ans. Quand elle allait à l’école on lui demandait : ‘elle fait quoi maman ?’
Elle répondait : ‘rien. ’
‘ Il fait quoi papa ?’,
‘ rien.’
Et malgré cela ,elle avait tout ce dont elle avait besoin. Ce n’était pas logique et facile à comprendre. Donc il fallait lui montrer que le matin, on devait se lever et travailler pour avoir des choses. Et puis, à 37-38 ans, je n’allais pas rester chez moi et me couper du monde. On m’a proposé des trucs dans l’Horeca, mais cela ne m’intéressait pas. Puis j’ai eu l’opportunité du Décathlon et j’ai accepté tout de suite. C’est du sport, c’est mon domaine.”
“On est fort critique avec le Sporting”
charleroi Comme Carolo mais aussi comme employé du club, Toni Brogno suit les prestations du Sporting et donne son avis sur la saison des Zèbres.
“On est fort critique. On s’est habitué aux bonnes choses avec les participations aux PO1. Mais il faut regarder les circonstances avec les moyens du club, le noyau actuel, les joueurs que le club a perdu. Je pense à Rezaei et Benavente. Quand tu remplaces des joueurs comme cela, les nouveaux ont besoin de temps pour s’habituer à l’équipe. Le club n’a pas décroché les PO1 mais il y a des circonstances qui expliquent cela. Chaque année, le Sporting perd ses meilleurs joueurs. Et ce n’est pas facile de refuser de belles offres quand elles tombent sur la table. C’est comme un père de famille qui doit gérer son budget. S’il peut mettre sa famille à l’abri pour quelques années en acceptant un bon deal, il le fait. Il ne faut pas oublier d’où vient Charleroi, depuis la reprise par Mehdi. Il y a quand même plus de points positifs que de points négatifs.”
Et le travail réalisé par Felice Mazzù est apprécié par l’ancien attaquant : “Il n’est pas dans le même confort que dans d’autres clubs où quand le coach demande un attaquant il en reçoit deux. Ce que j’aime chez lui, c’est la manière dont il parvient à créer une cohésion dans le groupe.”
Paroles de Zèbre:
“De l’usine à la Coupe d’Europe”
Si Toni Brogno a porté le maillot de Charleroi entre 2004 et 2006, c’est dix ans plus tôt, à l’âge de 21 ans, qu’il a effectué ses débuts en équipe première. “Un match de Coupe d’Europe. C’est quand même spécial. Je m’entraînais le soir avec les espoirs. Un jour, on me dit que je dois aller avec la première le lendemain. Je travaillais dans une usine qui fabriquait des portes blindées et je suis allé voir mon patron pour demander un jour de congé. Il a été compréhensif et même fier car c’était un supporter des Zèbres. Et voilà que je me retrouve dans le groupe qui part en Roumanie pour défier le Rapid Bucarest. À un quart d’heure de la fin du match, Georges Leekens me fait monter. Je me souviens de la tête de mon frère qui était capitaine. Il se retourne et il me voit prêt à monter. Il était étonné. Et pour moi, quelle fierté de porter le maillot du Sporting. Je suis de la région, j’habite à cinq kilomètres du stade, j’allais y voir le Sporting jouer puis mon frère...”
“Je devais participer à l’Euro 2000”
La plus grande déception de la carrière de Toni Brogno, c’est bien évidemment son éviction du noyau des Diables juste avant l’Euro 2000 en Belgique. “Je suis fier d’avoir porté ce maillot. Mais quelle déception à la fin. Pendant deux ans, je suis repris pour les matchs de préparation pour finalement sauter quand la sélection passe de 24 à 22 joueurs. Ce qui m’a fait le plus mal, c’est que je n’ai jamais eu aucun doute. J’étais certain à 2 000 % de participer à l’Euro. Encore maintenant, je ne comprends pas. J’étais meilleur buteur de D1 avec 30 buts. Je ne dis pas que je devais avoir une place de titulaire, mais je devais être dans le noyau. Deux jours avant la sélection définitive de Robert Waseige, on joue un amical contre les aspirants. On gagne 2-4 et j’inscris deux buts en montant à la mi-temps. Je me dis : ‘OK, tu as assuré ta place.’ Deux jours après, Boffin et moi, on est écartés. Je ne m’y attendais pas, c’était se foutre de moi. Sur mon CV, jouer un Euro, cela aurait été le must.”
Sedan : “Des déplacements en jet privé”
Après sa belle saison à Westerlo et son titre de meilleur buteur de D1, Toni Brogno signe à Sedan, néo-promu en Ligue 1. “À la fin de la saison 1999-2000, mon téléphone a chauffé. Je n’avais pas d’agent. J’avais des propositions d’Italie, d’Angleterre et d’Allemagne. Mais je devais aussi penser à ma famille et j’ai choisi la France. Je devais signer à Metz mais Sedan a joué la surenchère. À nouveau un petit club familial avec le plus petit budget de France mais qui était deux ou trois fois plus élevé que celui d’Anderlecht. Les déplacements se faisaient en jet privé. C’est une autre dimension. Mon premier match, je le dispute au PSG face à Ronaldinho. Tout est plus grand qu’en Belgique. J’ai joué contre Marco Simone (Monaco), Sonny Anderson (Lyon), etc. Gamin, j’espérais jouer en D1 à Charleroi. Je n’osais pas imaginer la suite de ma carrière avec mon parcours qui m’a mené en France, en équipe nationale où tu joues contre l’Angleterre, les Pays-Bas ou l’Italie et leurs stars.”