Roland Duchâtelet sur la crise à Anderlecht: "Quand vous avez les fans à dos, c’est irréversible !"
Alors que les fans d’Anderlecht dirigent leur colère sur Marc Coucke, Roland Duchâtelet revient sur son expérience de chef d’entreprise devenu président du Standard.
- Publié le 09-04-2019 à 06h50
- Mis à jour le 09-04-2019 à 07h35
Alors que les fans d’Anderlecht dirigent leur colère sur Marc Coucke, Roland Duchâtelet revient sur son expérience de chef d’entreprise devenu président du Standard. "Le football est un jeu avant un produit, un spectacle avant un business et un sport avant un marché."
Cette phrase fut prononcée par Michel Platini, alors président de l’UEFA. Autrement dit, si le foot est un business, il est aussi bien plus que cela : émotion, identité, exutoire, passion, détente, etc. Cette réalité est parfois difficile à appréhender pour les personnes qui s’immergent subitement dans ce bain très particulier.
Ce dimanche, après une nouvelle défaite d’Anderlecht, les supporters mauves se sont rassemblés pour manifester leur colère, ciblant leur président, Marc Coucke. Des "Coucke buiten" ont ainsi été entonnés. Le président n’était pas présent dans le stade durant le match.
Mais il a bien dû, après son expérience réussie à Ostende, mesurer combien la tâche de président d’une équipe historique était compliquée. D’autres, avant lui, sont passés du monde des affaires au monde du foot. Parfois avec succès : Bernard Tapie à l’OM, Silvio Berlusconi au Milan AC, la famille Agnelli à la Juventus, Jean-Michel Aulas (Lyon), etc.
Ce fut plus compliqué pour Jean-Luc Lagardère, au Matra Racing.
Chez nous, on citera Paul Gheysens, patron de Ghelamco et président de l’Antwerp. Ou encore Roland Duchâtelet, ex-président du Standard.
Roland Duchâtelet, vous avez été président du Standard de Liège de 2011 à 2015, après l’avoir été également à Saint-Trond. Quelles difficultés un chef d’entreprise de haut niveau rencontre-t-il quand il s’immerge dans le monde du foot ?
"C’est très émotionnel . Bien sûr, il y a aussi de l’émotion dans des domaines comme le cinéma ou la musique. Mais le foot sort du lot. Au niveau de la communication, c’est excessivement compliqué à gérer. Les fans de foot s’intéressent aux plus petits détails. Et en tant que dirigeant, on n’est pas en mesure de les leur donner. Car cela relève de situations privées."
De quels détails parle-t-on ?
"Ils veulent savoir pourquoi tel joueur ne joue pas ou pourquoi on a engagé ou pas transféré tel joueur. Dans 90 % des cas, on ne peut pas dire pourquoi ! C’est un des gros problèmes."
Et pourquoi ne le peut-on pas ?
"Cela peut être un joueur atteint d’une maladie incurable, ou dont le genou est totalement foutu. Les supporters ne s’en rendent pas compte. On est lié par plein de voies quant à ce qu’on peut dire ou pas. Si on dit qu’un joueur est trop vieux pour être engagé, son avocat peut nous attaquer pour discrimination. Au niveau de la communication, c’est presque impossible à gérer."
Certains y arrivent-ils ?
"Bruno Venanzi (NdlR : le nouveau président du Standard) est plus efficace à ce niveau. Il a très peu de problèmes avec les fans. Il a travaillé avec moi pendant 9 mois et a très bien compris que la communication avec les fans était LE truc à ne pas rater."
Marc Coucke passait pour un bon communicant à Ostende…
"C’est en effet un bon communicant Mais on n’a pas que des amis dans le foot. Marc Coucke, a un très grand ennemi : Mogi Bayat. Hein Vanhaezebrouck (coach d’Anderlecht jusqu’en décembre 2018) travaille toujours avec Bayat. Ce n’est donc pas totalement étonnant que Vanhaezebrouck dise à l’encontre de Marc Coucke des choses qu’il ne devrait pas dire. Ce n’est pas logique qu’il dise de telles choses (NdlR : l’ex-coach des Mauves a dit que le club ne lui avait pas intégralement payé son indemnité de licenciement). Il a été extrêmement bien payé par Anderlecht. Ce n’est pas OK de sortir ça dans la presse ! S’il veut discuter avec Coucke de ses indemnités, il y a des juges pour cela."
Cela s’est très bien passé pour vous à Saint-Trond. Cela a été plus compliqué au Standard…
"Cela s’est bien passé à Liège pendant deux ans. Mais j’ai fait une grosse erreur de communication. J’ai été trop honnête lorsque j’ai annoncé ne pas reconduire le contrat du coach Mircea Rednic qui arrivait à expiration. Je l’ai annoncé alors qu’il venait de gagner la veille 7-0 contre Gand ! Je me suis mis à dos tous les fans qu i voulaient absolument le garder. Une erreur suffit. Le problème, c’est que, quand vous avez les fans à dos, c’est irréversible ! Entre-temps, ils se sont sans doute rendu compte que ce n’était pas l’entraîneur le plus formidable de la planète. J’avais mes raisons de ne pas le reconduire. Mais à ce moment-là, ils le prenaient pour un dieu. Cela a déclenché une manifestation contre moi. C’est typique de l’émotion dans le foot. Si j’avais attendu une semaine ou deux et amené des explications sur son remplaçant (Guy Luzon), cela se serait passé différemment."
Vous et Coucke avez eu du succès dans les affaires. Vous étiez prêt pour le foot business ?
"Au Standard, j’avais trois personnes minimum dans le département communication qui essayaient de piloter ‘le gars qui venait d’un autre monde’. Même pour eux, ce n’était pas facile de faire la part des choses, de rédiger un bon communiqué de presse, tellement l’émotion est présente."
Conseillerez-vous à Marc Coucke de prendre du recul ou de s’impliquer à fond ?
"Je pense qu’il essaye de prendre du recul. Il met en avant le fils Verschueren, ce n’est pas mal. Mais une fois que les fans se fixent sur quelqu’un, ce n’est pas simple… Ils ont aussi ennuyé quelques fois Roger Vanden Stock, qui est pourtant issu du monde du foot."
C’est plus difficile pour quelqu’un d’extérieur ?
"Au contraire, quelqu’un de moins émotionnel est mieux à même de prendre des décisions rationnelles et saines plutôt que de se laisser entraîner par les sentiments des fans."
C’est irritant, cette irrationalité, en tant que dirigeant ?
"Les dirigeants ou l’entraîneur ne sont critiqués que quand ça va mal au niveau sportif. Quand ça va bien, c’est grâce aux joueurs. Il faut le savoir dès le départ."
Coucke a du monde contre lui car "il veut mettre de l’ordre"
Roland Duchâtelet donnerait un conseil principal à Marc Coucke. "De nouveau, il faut surtout une bonne communication. Il faut s’entourer de spécialistes du foot, comme l’a fait Venanzi", assure l’ex-président du Standard, mais aussi de Carl Zeiss Jena, Charlton ou encore Alcorcon. "Le problème, c’est qu’il n’y a pas que des saints dans le foot. Il y a des requins qui essayent des emm… comme pas possible. En l’occurrence, je pense que c’est le problème. Il y a des choses qui se font dans le foot qu’on ne voit pas dans le milieu des affaires." Il cite un exemple précis : la gouvernance. "Nous avons tous des administrateurs indépendants dans nos conseils d’administration, pour consulter les comptes, participer à la gestion. Au niveau du foot, ce n’est pas le cas : ce sont des actionnaires et des dirigeants de clubs de foot. Il y a un gros problème de conflits d’intérêts et de gouvernance."
Il n’oublie pas, au passage, de s’en prendre au monde des agents. " C’est très nocif. Les agents ont trop d’influence. Marc Coucke essaye d’y mettre de l’ordre et j’espère qu’il va réussir. Il a mis quelques années à s’en rendre compte… Il a désormais contre lui tous ceux qui voudraient qu’il échoue. Il y a du monde !"
Il conclut, quant aux agents, et à ceux qui gravitent autour du milieu du foot : "C’est un jeu qui se met en place… Le foot est tellement médiatisé qu’il y a des gens qui en profitent."