Fabian Cancellara est notre invité du samedi à la veille du Tour des Flandres : “Le Ronde me donne toujours des frissons !”
Dix ans après son 3e succès, le Suisse sera présent sur le Tour des Flandres dimanche dans la peau du propriétaire de l’équipe Tudor.
- Publié le 30-03-2024 à 12h58
”Si je ferme les yeux, je pourrais presque rejouer ce sprint.” Dix ans après sa troisième et dernière victoire sur le Tour des Flandres en 2014, Fabian Cancellara n’a rien oublié du déroulement du dernier kilomètre qui amenait alors déjà les coureurs à Audenarde. “J’avais dû me défaire de trois Belges (NdlR : Van Avermaet, Vanmarcke et Vandenbergh) ce jour-là dans une explication finale que j’avais choisi de jouer sur ma force et mon expérience. Rejoindre les recordmen Buysse, Leman, Museeuw, Magni et Boonen tout en haut du palmarès, c’était quelque chose de très spécial pour moi !”
Huit ans après sa retraite sportive, le Suisse (43 ans) a choisi de vivre cet anniversaire autour d’Audenarde puisqu’il fera le déplacement en Belgique ce week-end afin de goûter en live à la 108e édition de la Vlaanderens Mooiste. Un voyage motivé par son nouveau rôle de propriétaire de l’équipe Tudor bien plus que par l’attrait des bougies sur un gâteau. Entretien.
Fabian, la première question qui s’impose est de vous demander comment vous allez. On vous a encore vu déambuler entre les bus des équipes appuyés sur vos béquilles au Grand Prix de l’E3…
”Bien, je vous remercie. Cette blessure au pied est la résultante d’un accident du quotidien qui sera bientôt derrière moi puisqu’une visite de contrôle chez le spécialiste devrait me permettre d’entamer tout prochainement une nouvelle phase de ma revalidation. Je serai contraint d’encore patienter un peu avant de remonter sur mon vélo et mon compteur affichera sans doute, cette année, un peu moins que les 6000 kilomètres que j’arrive encore à accomplir par saison, mais cela ne m’empêchera pas d’être présent sur le Tour des Flandres dimanche, une course qui me donne encore et toujours des frissons (rires)… Ce sera la seconde fois que j’y reviens depuis ma retraite sportive. Il y a quelques années de cela, l’organisateur m’avait invité dans une voiture au cœur de la course, une position que je n’avais évidemment jamais occupée.”
Nous avons décliné une invitation pour Roubaix, nous ne sommes pas prêts.
Être de retour sur cette course que vous avez remportée trois fois dans la peau du propriétaire de l’une des équipes au départ, cela doit être forcément très particulier, non ?
“Oui, évidemment. Mais je n’aime pas trop me mettre en avant individuellement dans cette équipe Tudor. Car, même si cela peut apparaître comme un cliché, une équipe, c’est par essence d’abord et avant tout un collectif. Si on ne pense pas de cette manière, il est difficile de grandir de manière saine et structurelle. C’est donc sous cet angle-là que je suis extrêmement fier que nous soyons au départ du Ronde, l’un des monuments de notre discipline, dès la seconde année d’existence de ce projet. ”
D’autant que vous avez préféré décliner une opportunité d’invitation la saison dernière…
”Oui, c’est vrai, nous aurions déjà pu aligner une équipe en 2023 mais nous ne nous jugions pas prêts pour cette étape. Épingler un dossard sur une course de haut niveau pour le seul prestige de pouvoir dire qu’on y était, cela n’a pas de sens. Nous voulons disposer des armes nécessaires pour être acteurs des épreuves sur lesquelles nous évoluons, une priorité avec laquelle nous ne transigeons pas. Cette année, après certaines discussions avec ASO, nous aurions pu prétendre à une wild-card pour Paris-Roubaix et les classiques wallonnes. Mais, pour les mêmes raisons que celles évoquées en amont, nous avons préféré décliner. Nous grandissons étape par étape et il est important de ne pas se brûler les ailes. Matteo Trentin a apporté beaucoup d’expérience dans notre noyau de coureurs, mais Bart Leysen et Matteo Tosatto en ont fait de même dans le staff. Quand on travaille de manière structurée et réfléchie, cela participe à l’attractivité d’une équipe.”
Vous restez volontairement en retrait de la gestion tactique des courses par exemple. Vous est-il difficile de déléguer ?
”Non, car c’est absolument nécessaire. Il est indispensable de faire confiance aux gens qui nous entourent. Ma fonction dans l’équipe n’est pas d’être dans la voiture sur chaque course mais bien de gérer l’équipe de manière plus globale et de donner certaines impulsions en m’appuyant sur mon expérience. Ce dimanche, sur le Tour des Flandres, je vais sans doute m’installer au bord de la route pour donner des bidons car il est important que mes coureurs perçoivent que je suis avec eux. C’est aussi une manière de sentir la course, de mieux la comprendre.”
Comment et pourquoi vous êtes-vous retrouvé propriétaire d’une équipe pro ?
”Même si je sais que certains avaient parfois de moi l’image d’un gars concentré avant tout sur lui-même, j’ai toujours voulu redonner quelque chose au cyclisme après tout ce que ce sport m’a offert. C’est pour cela que j’ai, par exemple, lancé des événements de masse comme Chasing Cancellara ou Kids on Wheels. Puis, lorsque j’ai entendu qu’un projet de développement national baptisé Swiss Racing Academy risquait de s’éteindre en laissant 16 jeunes sans perspectives concrètes, j’ai décidé de m’investir auprès d’eux. J’ai rencontré des responsables de Tudor au vélodrome de Granges pendant plus d’une demi-journée. Nous avons discuté de tout sauf d’argent. Cela faisait un moment que cette marque cherchait une opportunité de sponsoring dans le monde du cyclisme, mais sans trouver le projet qui lui convenait. Les décideurs ne voulaient pas se contenter de signer un chèque et de mettre leur nom sur un maillot. L’ADN de notre structure, avec cette identité très suisse et cette vision du développement des talents, leur a parlé.”
Ce n’est pas un secret : Philipsen nous intéresse.
Jusqu’à quand ce sponsor est-il engagé à vos côtés ?
”Nous savons que nous pouvons avoir une vision à moyen et long termes mais nous ne parlons jamais de durée précise avec Tudor (sourire)… Disons que nous avons les moyens de bien faire les choses pendant plusieurs années. Nous voulons grandir tous les jours, de manière globale. À terme, l’objectif est de s’installer durablement dans les vingt meilleures équipes du monde. Je pense pouvoir dire que nous travaillons déjà comme une équipe WorldTour sur de nombreux points. Nous ne sommes pas encore une grande équipe mais nous fonctionnons déjà comme une grande équipe. Si, un jour, l’opportunité de passer au premier échelon du cyclisme mondial s’offre à nous, je crois donc que nous serons prêts.”
Vous n’avez, à ce jour, pas encore de coureur belge dans votre effectif mais votre intérêt pour Jasper Philipsen n’est plus un secret…
”Nous avons un groupe de scouting qui identifie nos besoins et les opportunités du marché. Et quand le dernier maillot vert du Tour de France et vainqueur sortant de Milan-Sanremo se retrouve en fin de contrat au terme de la saison, il est assez logique que nous soyons ouverts à la discussion je crois. Notre intérêt n’est pas un secret comme vous dites (rires)… Plusieurs coureurs très intéressants seront libres au 31 décembre mais recruter un grand nom n’est pas tout, il faut savoir l’encadrer au mieux pour lui donner les moyens d’exploiter pleinement ses qualités. Recruter un coureur d’envergure c’est une chose, mais il faut ensuite avoir les reins suffisamment solides pour faire évoluer toute la structure en fonction de ce pas en avant.”
Remco, c'est un super-héros du cyclisme.
Vous possédiez autrefois de nombreux supporters en Belgique et même un fanclub. Avez-vous encore des contacts avec eux ?
”Remi De Moor, la figure de mon fanclub belge, est malheureusement décédé l’année dernière des suites d’une longue maladie. Il avait 87 ans. Mais vendredi dernier, sur le Grand Prix de l’E3, j’ai reçu certains fans avec qui j’ai pris plaisir d’échanger.”
En tant que quadruple champion du monde de chrono, quel regard portez-vous sur Remco Evenepoel, l’actuel porteur actuel de ce maillot arc-en-ciel ?
”Remco est tellement plus qu’un spécialiste du contre-la-montre ! C’est un super-héros du cyclisme moderne. Son aérodynamisme sur le vélo de chrono est dingue mais je suis encore plus impressionné par son éclectisme, cette capacité à briller sur des terrains tellement différents.”
Sans Wout van Aert au départ, Mathieu van der Poel fait encore un peu plus figure de grandissime favori du Tour des Flandres. Peut-il être battu ?
”Évidemment ! Les plus grands champions restent des humains et personne n’est imbattable. Quand j’étais coureur on m’a parfois présenté de la même manière avant certaines courses, comme si j’étais déjà vainqueur avant même de prendre le départ. Mais les choses ne sont pas aussi simples sur le vélo, je vous assure (rires)…”