Les lieux mythiques du cyclisme: à Grammont, le Mur des lamentations
Durant toute la saison des classiques, nous vous emmenons sur les lieux qui ont fait l’histoire du sport cycliste. Premier volet : le Mur de Grammont.
- Publié le 01-03-2019 à 17h09
- Mis à jour le 02-03-2019 à 08h26
Durant toute la saison des classiques, nous vous emmenons sur les lieux qui ont fait l’histoire du sport cycliste. Premier volet : le Mur de Grammont. En contrebas de la chapelle de l’Oudenberg, d’accueillants bancs de bois offrent un somptueux panorama sur les méandres de la Dendre auxquels les rares promeneurs présents en ce dernier mardi de février tournent pourtant le dos, captivés par un autre spectacle. Dans un silence de cathédrale, les bourrasques venues de la plaine font couiner les branches nues d’arbres fraîchement taillés avant que ne se fasse entendre un autre craquement, celui de la chaîne qui tente de gravir une plus grande couronne.
Emmenés par Greg Van Avermaet, les coureurs de l’équipe CCC sacrifient à la traditionnelle reconnaissance du Circuit Het Nieuwsblad en avalant en apnée les dernières rampes du Kapelmuur, cet ultime monticule qui conclut l’ascension du plus célèbre lieu de Grammont.
Lieu iconique du sport cycliste, longtemps emblème des courses flandriennes qui érigent le champion en flahute, le Mur fait cohabiter sur quelques mètres symboles païens et christiques. Comme pour faire comprendre que le pavé voisin de la chapelle néo-baroque et de la grande croix de bois est ici une authentique religion.
"Grammont a longtemps été un haut lieu de pèlerinage pour les catholiques", commente Véronique Fontaine, l’échevine des Sports de la commune. "Ceux-ci sont désormais bien moins nombreux que les cyclos qui y défilent en procession (rires) ."
Ce kilomètre de pavés (9,2 % de déclivité moyenne) qui traverse la cité flandrienne de ses catacombes jusqu’à son point culminant possède le même pouvoir attractif qu’un aimant. "Nous sommes sollicités par de très nombreux organisateurs de courses, poursuit Mme Fontaine. Nous devons même parfois prendre garde à ce que deux pelotons ne se retrouvent sur les pentes du Mur au même moment (rires). Chaque année, une septantaine d’épreuves environ pimentent leur tracé avec le Mur."
Celle qui a érigé l’ascension au rang de mythe s’en est pourtant, un temps, détournée. Si Gand-Gand (l’ancêtre du Nieuwsblad) fut la première course à s’attaquer au Mur de Grammont, c’est bien le Tour des Flandres qui lui donna tout son lustre, à partir des années 1970. "Lorsque l’arrivée du Ronde a été déplacée vers Audenarde en 2012 et que le Mur a disparu du tracé, cela a été un véritable choc pour tous les habitants de la commune, mais plus largement pour de nombreux amoureux de cyclisme, se souvient l’élue flandrienne. Plusieurs centaines de personnes se sont ainsi réunies pour protester contre le choix des organisateurs lors d’une manifestation aux allures de… cortège funèbre (rires) ."
C’est que la chose relève du sacré. "Le Mur est incontestablement le symbole de notre ville à l’international. Il relève d’une forme de patrimoine et a d’ailleurs été officiellement référencé comme monument classé en 1995. En 2004, une enveloppe de près de 1 250 000 euros a été consacrée à sa rénovation et des fans japonais étaient même allé jusqu’à acheter certains anciens pavés ! Nous trouvions donc particulièrement injuste de le voir ainsi dégradé…"
Le passage par le purgatoire ne dure heureusement que cinq ans puisque le Mur a fait son retour sur le parcours du Tour des Flandres en 2017 et a servi, cette année-là, de tremplin vers la victoire à Philippe Gilbert. "Pour continuer à faire rimer Grammont et vélo durant ce lustre de froid, nous avons intensifié nos relations avec d’autres organisateurs, comme ceux du BinckBank Tour. Mais rien n’égale la portée du Ronde… Ce jour-là, ce sont près de 30 000 personnes qui transforment l’endroit en chaudron, même si près de 100 kilomètres séparent son sommet de l’arrivée. Samedi, lors du Circuit Het Nieuwsblad qui emprunte l’ancien final du Ronde, il constituera l’avant-dernière difficulté, juste avant le Bosberg. Mais ce n’est pas la même chose…"
Une analyse que partage Kevin Van Wayenberge. Grammontois pure souche, ce quadragénaire s’installera samedi dans le virage du Kapelmuur, juste en face des photographes.
"Toujours précisément au même endroit", sourit celui qui revendique également près de deux cents ascensions sur son vélo. "Pour être certain de ne pas me faire piquer ma place, j’arrive sur place six à sept heures avant le passage des coureurs lors du Ronde. C’est un peu long, mais je prends quelques bières avec moi (rires) . Pour le Nieuwsblad, je peux arriver un peu plus tard car le public est moins nombreux. Mais pour moi, qu’importe la course, j’ai toujours le sentiment d’assister à un moment magique, un morceau de l’histoire du vélo. Le Mur, c’est incontestablement le plus beau des monts flandriens. J’ai d’ailleurs demandé à ce que mes cendres y soient dispersées après ma mort…"
“Un lieu qui inspire et fait rêver”
Adolescent, Oliver Naesen allait se mesurer au mythe des images plein la tête.
“Si je ferme les yeux, je peux faire défiler presque mètre après mètre les images de l’ascension du Mur…” Installé au bord de la piscine d’un hôtel de Mascate, au soir d’une étape du dernier Tour d’Oman où il a peaufiné sa préparation pour l’ouverture de la saison belge, Oliver Naesen s’essaie à l’exercice. “Il faut toutefois que je parvienne à oublier le soleil et la chaleur car il fait souvent un peu plus froid à Grammont qu’ici” , s’esclaffe le coureur de chez AG2R-La Mondiale.
Membre phare d’un groupe d’entraînement baptisé De Parelvissers (traduisez les Pêcheurs de Perles) au sein duquel il côtoie très régulièrement Greg Van Avermaet, le coureur de Berlare a fait du Mur l’un de ses repères.
“Depuis que je suis pro, je dois le gravir une bonne quinzaine de fois par saison”, poursuit celui qui détient le deuxième meilleur temps d’ascension, derrière Philippe Gilbert (voir chiffre ci-dessous) . “Il pimente en effet l’un des circuits que nous avons l’habitude d’emprunter avec Greg (Van Avermaet) et les autres. Mais je grimpais cette difficulté encore plus souvent lorsque j’étais plus jeune. En 2006, lorsque j’évoluais dans la catégorie débutants, je longeais la Dendre depuis la région de Berlare pour rejoindre Grammont car je ne connaissais pas bien les autres itinéraires et j’avais peur de me perdre (rires)… Je montais le Mur puis je rentrais à la maison, à nouveau en longeant la rivière… J’avais alors gravé dans la rétine les images de Tom Boonen s’envolant vers la victoire au même endroit avec le maillot de champion du monde sur les épaules. Ce lieu inspire et fait rêver des milliers de jeunes cyclistes !”
Quand il s’attaque à ce mont en course, Oliver Naesen tente de mettre à profit sa parfaite connaissance de l’endroit. “Lorsque l’on traverse le pont qui enjambe la Dendre et que l’on rentre dans la ville, il devient urgent de se replacer et de remonter dans le peloton si on souhaite gagner quelques places car une fois arrivé sur le Markt, cela devient nettement plus compliqué tant l’effort se fait alors bien plus intense. Bien que la pente soit raide, il est tout de même possible de gérer son effort jusqu’au virage gauche, là où la déclivité est la plus sévère et où Cancellara avait attaqué Boonen en 2010. À cet endroit, tout le monde est à bloc ! On prend ensuite quelques profondes respirations sur le court replat qui précède le Kapelmuur que l’on attaque à nouveau à fond…”
LE CHIFFRE: 2:48
C’est le temps record enregistré sur le réseau Strava pour l’ascension du Mur. Un chrono réalisé par Philippe Gilbert le 28 mars 2017, lors de la 1re étape des Trois Jours de La Panne qu’il a remportée.