Le Poggio, le toboggan de Milan-Sanremo
Dernier tremplin pour les audacieux, le Poggio est le haut lieu de la Primavera.
- Publié le 22-03-2019 à 08h05
- Mis à jour le 22-03-2019 à 14h01
Dernier tremplin pour les audacieux, le Poggio est le haut lieu de la Primavera. Posée sur un muret de pierres jaunes à l’angle des Via Duca d’Aosta et Grossi Bianchi, la cabine téléphonique du hameau de Poggio a le monnayeur bien vide. Lorsqu’on pousse sa porte de verre pour en décrocher le combiné, le selfiesmile a aujourd’hui le plus souvent remplacé le sonore "pronto". Samedi, sur le coup de 16 h 45, tous les amateurs de cyclisme espèrent pourtant qu’y retentira à nouveau l’appel du suspense
Derrière ses contours sans charme, cette cabina telefonica matérialise toute l’indécision d’une épreuve de près de 300 kilomètres qui se joue le plus souvent en quelques secondes. C’est là, au sommet de la dernière difficulté de Milan-Sanremo, que les regards voyagent entre les coureurs et la trotteuse pour quantifier les écarts entre les différents favoris.
Apparu sur le parcours de Milan-Sanremo pour la première fois en 1960, le Poggio en a depuis toujours rythmé la finale et souvent tendu l’invisible fil sur lequel les funambules de l’offensive tentent de progresser pour rejoindre la Via Roma et ainsi piéger les sprinters.
"Je me souviens encore de ma première ascension de l’un des lieux les plus mythiques de notre sport, raconte Maxime Monfort. Je vivais alors dans la région de Nice et étais parti en direction de l’Italie lors d’un entraînement. Arrivé en haut, je dois bien avouer que j’étais un peu déçu (rires)... Si le sommet du Poggio n’était pas distant de 5,4 km de l’arrivée du premier monument de la saison, je ne sais pas trop qui en parlerait ."
C’est qu’avec ses quatre bornes à 3,7 % de moyenne, le dernier tremplin des audacieux est parfois qualifié de "talus" par les grimpeurs.
Le dos tourné à la Méditerranée, le Poggio a les allures de balcon fleuri de Sanremo.
"Je sais que des serres horticoles en jalonnent les flancs, mais je vous assure que l’on n’a pas vraiment le temps de profiter du paysage une fois en course, sourit Jean-Luc Vandenbroucke, le seul à pouvoir accompagner Eddy Merckx dans sa fuite lors du dernier des sept succès du Cannibale sur la Via Roma, en 1976. Ce n’est que longtemps après que j’ai appris qu’on y faisait pousser des mimosas par milliers (rires). Cette année-là, à tout juste vingt ans, je disputais le tout premier monument de ma carrière chez les pros. J’ai vécu sur les pentes du Poggio l’un des plus beaux moments de ma vie. Sept ans plus tôt, je courais derrière Eddy Merckx pour lui quémander un autographe au retour de son premier Tour de France victorieux et voilà que je me retrouvais, seul, dans la roue du plus grand coureur de tous les temps à cinq kilomètres de l’arrivée de ma première Primavera. Je n’avais alors jamais gravi le Poggio de ma vie, même en reconnaissance, car on terminait à cette époque Paris-Nice le mercredi avant de mettre le cap sur Milan le lendemain. Mais mes souvenirs sont encore si précis que je peux encore faire défiler presque chaque mètre de ce bandeau d’asphalte si je ferme mes yeux. Il faut dire que j’ai encore participé par la suite à douze autres Milan-Sanremo… Chaque année, lorsque je vois la course y passer, une réelle émotion m’envahit. Ce lieu est magique !"
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L'oeil du coureur, par Vincenzo Nibali: "Une énorme dose d’adrénaline !”
Le dernier vainqueur de Milan-Sanremo nous décrit la montée et la descente de la plus célèbre difficulté de la Primavera. Quand le nom du plus célèbre Capo de Milan-Sanremo est prononcé par Vincenzo Nibali, le lieu prend soudainement un peu plus d’emphase encore. “ Po-ggio” , le dernier vainqueur de la Primavera découpe l’appellation en deux syllabes bien distinctes comme pour, dans une forme de métaphore, en décomposer sa nature même. “Parler du Poggio, c’est bien évidemment évoquer son ascension, mais aussi aborder sa descente, lance ainsi le Sicilien. Ces deux parties sont autant déterminantes l’une que l’autre dans le déroulement de la course. Cette difficulté est intimement liée à l’histoire du premier monument de la saison cycliste. Dites Cipressa, Turchino, Via Roma ou Poggio à n’importe quel amateur de cyclisme et il songera alors automatiquement à la Primavera. Pour un coureur italien, ce lieu est sans doute un peu plus symbolique encore. Je me souviens par exemple que lorsque j’ai attaqué ses pentes pour la première fois en course en 2006, j’ai réellement été envahi par une forme d’émotion.”
Lorsque le Requin de Messine détaille le Poggio avec son œil de coureur et comment celui-ci se vit en course, son débit se fait alors aussi rapide que la vitesse à laquelle s’attaquent les premières rampes.
“Il est essentiel d’être bien positionné, tout à l’avant du peloton, lorsque l’on quitte la SS1 qui longe le bord de mer pour virer vers la droite. Les premières pentes s’avalent à très haute vitesse : on est ici à plus de 50 km/h dans les tout premiers virages qui étirent alors considérablement le peloton. Le Poggio n’est pas une bosse difficile puisqu’il fait un petit peu moins de quatre kilomètres à 3,7 % de déclivité moyenne. Mais comme on l’attaque après sept heures de selle, cela change considérablement la donne. Juste après le sanctuaire, la route se fait un peu plus raide sur 500 à 700 mètres. C’est, à mon sens, l’endroit idéal pour poser une attaque et y créer une décision. On vire ensuite à la célèbre cabine téléphonique pour attaquer une descente extrêmement technique, composée de 23 virages et 7 épingles sur près de trois kilomètres. Elle requiert une très grande attention car on peut facilement y partir à la faute, d’autant que la lucidité est parfois un peu moins présente après 300 kilomètres de course. Si je devais résumer le Poggio en un seul mot, celui-ci vaudrait pour son ascension comme pour sa descente : adrénaline. On en prend une énorme dose sur le Poggio !”