Les vainqueurs de la Coupe 93 se souviennent: "On était les rois de Liège"
Il y a 23 ans, le Standard remportait la Coupe de Belgique dans des circonstances assez incroyables: face à son plus grand rival wallon, Charleroi, et dans le stade de son ennemi national, Anderlecht. Ce sacre a mis un terme à 10 ans de disette en bord de Meuse. Il faut dire que la fête qui a suivi a été mémorable avec une ville de Liège entièrement colorée de rouche. Souvenirs.
- Publié le 19-03-2016 à 16h27
- Mis à jour le 19-03-2016 à 20h03
Il y a 23 ans, le Standard remportait la Coupe de Belgique dans des circonstances assez incroyables: face à son plus grand rival wallon, Charleroi, et dans le stade de son ennemi national, Anderlecht.
Ce dimanche, sur le coup de seize heures, le Standard tentera de soulever la septième Coupe de Belgique de son histoire. Même s’il est loin de partir avec la faveur des pronostics, le club liégeois aimerait que cette génération marque à jamais son temps, comme ce fut le cas, précédemment, pour les grands noms qui ont soulevé ce trophée avec le maillot principautaire sur les épaules.
Tout le monde se souvient, encore aujourd’hui, des Sinan Bolat, Eliaquim Mangala, Steven Defour et Axel Witsel qui ont ajouté cette ligne à leur palmarès il y a cinq ans, couronnant une équipe qui a certainement été l’une des meilleures de ces dernières décennies. Tout comme personne n’a oublié, il y a vingt-trois ans, la fin d’une malédiction, marquée par un succès décroché face à Charleroi en finale grâce à des réalisations d’Henk Vos et de Philippe Leonard en seconde période.
Ce succès de 1993 résume, à lui seul, le pouvoir d’une victoire en Coupe de Belgique. À première vue, cette équipe était née pour se contenter de places d’honneur, derrière Bruges et Anderlecht. Pourtant, ce succès reste celui qui a marqué le plus les esprits. Pourquoi ? Les raisons sont tellement nombreuses que les acteurs principaux ne parviennent pas à trouver un point d’accord. "Cela faisait douze ou treize ans que le Standard n’avait plus rien gagné (NdlR : dix ans pour être précis) et je pense que c’était même le premier depuis la fameuse affaire Waterschei", explique Marc Wilmots, aligné en pointe par Arie Haan face aux Zèbres. "Nous courions après une telle consécration depuis tellement de temps que les supporters ont pu laisser éclater leur joie et évacuer pas mal d’années de frustration. À cette époque, le club avait terminé plusieurs fois vice-champion mais il lui manquait toujours un petit quelque chose pour décrocher le Graal."
Hellers: "Gilbert Bodart et moi, on était dans tous nos états"
À la fin du dernier siècle, les Rouches avaient également été gagnés par une petite malédiction. À trois reprises, ils avaient décroché leur ticket pour la finale de l’épreuve mais s’étaient inclinés face à La Gantoise et Anderlecht. Ces défaites avaient été très mal encaissées, à un point tel que les fans pensaient être définitivement condamnés à être réduits à un rôle de simple spectateur du succès des autres. "Mais cette fois-là, nous sommes parvenus à inverser la tendance. Cela me faisait surtout plaisir pour des garçons comme Gilbert Bodart et Guy Hellers, de vrais monuments du club mais qui avaient dû encaisser tous ces coups durs au fil des années", poursuit le sélectionneur fédéral. "C’est vrai que cela reste un grand souvenir", enchaîne le défenseur luxembourgeois. "A un moment, je me suis dit que je n’arriverais jamais à remporter le moindre trophée tant les déceptions avaient été nombreuses. Vous imaginez donc très bien le plaisir qui a été le mien lorsque l’arbitre a sifflé la fin de la rencontre (il sourit). Avec Gilbert, nous étions dans tous nos états. Oui, cela nous procurait un grand sentiment de plaisir mais, personnellement, j’étais, avant tout, très fier pour le club. C’était un honneur de pouvoir ajouter une ligne au palmarès du Standard. Pour être honnête, j’étais assez confiant avant cette finale de 1993. Dès la préparation, j’avais senti que tout le monde était bien concerné. Je ne me suis pas trompé…"
Cela, c’est pour le caractère historique de cette consécration mais il ne peut expliquer, à lui seul, le caractère incroyable de cette Coupe de Belgique. Car tout était bien réuni pour que les Principautaires n’oublient jamais ce 6 juin 1993. "Je me souviens qu’il faisait très chaud. Au moins trente ou trente-cinq degrés. Les pompiers avaient même dû asperger les supporters", se remémore Patrick Asselman, rentré à vingt minutes du terme à la place de Frans van Rooij. "Et puis, c’était un match très spécial. Il faut simplement imaginer que le Standard avait l’occasion de battre son plus gros ennemi, Charleroi, dans le stade de son deuxième plus gros ennemi, Anderlecht. C’était unique même si, moi, j’aurais préféré évoluer au stade Roi Baudouin", raconte Thierry Pister.
Leonard: " Je n’ai pas voulu blesser Olivier Suray"
Sur le plan footballistique, par contre, tout le monde s’accorde à dire que cette finale n’a pas été la plus belle de l’histoire. L’enjeu était trop important pour un Charleroi au palmarès vierge au plus haut niveau et un Standard à la recherche de son glorieux passé. "On n’a pas vu le plus beau Standard mais bien le Standard efficace, et c’est bien ça le plus important", coupe Marc Wilmots. "C’était un match très compliqué", continue Philippe Leonard. "Les Carolos avaient une très belle équipe avec notamment Nebosja Malbasa, qui avait été bien tenu par Dinga, Pär Zetterberg ou encore Dante Brogno. Charleroi nous avait fait beaucoup de mal et nous n’en menions par large durant les vingt ou vingt-cinq premières minutes de jeu. Heureusement, Gilbert Bodart avait sorti quelques belles parades."
La rencontre, très physique, était également perturbée par plusieurs faits de jeu, dont un duel entre Philippe Leonard et Olivier Suray, touché et contraint de céder sa place juste avant l’heure de jeu. Aujourd’hui, les supporters carolos ne comprennent toujours pas comment le Standardman n’a pas été exclu à la suite de ce duel. "On fait un épaule contre épaule et en retombant, je touche sa cheville. Franchement, je ne l’ai pas du tout fait exprès mais Alphonse Constantin, l’arbitre, m’a ensuite dit d’être vigilant car il me tenait à l’œil. Je me disais qu’il était complètement dingue car ce n’était pas volontaire. Je n’ai jamais blessé quelqu’un au cours de ma carrière. Par la suite, j’ai souvent été insulté lorsque j’ai joué à Charleroi. Quand je devais aller chercher une balle sortie en touche, j’entendais souvent des bruits qui m’indiquaient clairement qu’on était en train de me cracher dessus. Mais bon, j’ai toujours préféré le prendre à la rigolade…"
Cette polémique s’était encore accentuée lorsqu’Alphonse Constantin a rejoint le Standard quelques années plus tard en qualité de directeur du club. "Mais pour accuser, il faut des preuves. Et nous, nous n’étions au courant de rien du tout", jure Marc Wilmots. "Quoi qu’il arrive, nous méritions ce succès. Charleroi n’avait pas eu beaucoup d’occasions durant les nonante minutes. Oui, il paraît que l’arbitre aurait pu siffler un penalty en faveur des Zèbres mais bon, ça n’aurait fait que 2-1...", confirme Thierry Pister.
Wilmots: " les ponts de la E40 étaient rempli de supporters du Standard "
Ce passage n’a en rien diminué la joie liégeoise au coup de sifflet final. "Je ne me souviens même pas de tout tant il s’est passé de nombreuses choses. Mais j’ai quand même un regret", pointe Patrick Asselman. "Je connaissais très bien Marc Wuyts car nous avions évolué ensemble chez les jeunes d’Anderlecht. Dès la fin de la rencontre, nous avons échangé nos maillots mais le problème, c’est que je suis sur toutes les photos avec une vareuse de Charleroi sur les épaules. C’est quand même dommage, non ? Si c’était à refaire, j’aurais attendu notre rentrée au vestiaire pour procéder à l’échange…"
D’autres ont préféré prendre un peu de recul au bout des nonante minutes, à l’image de Philippe Leonard. "Je me souviens que beaucoup de joueurs couraient partout et posaient devant les photographes. Moi, j’ai pris un peu de recul. Je suis allé m’asseoir, seul, sur le banc des réservistes. Ce n’était pas pour me différencier des autres mais j’avais besoin de quelques secondes de calme pour vraiment réaliser ce que nous venions de faire. Il se passait tellement de choses dans ma tête", se souvient le gaucher. "J’ai quand même un petit trou noir", rigole Guy Hellers. "Les bouteilles tournaient assez rapidement et une heure après le coup de sifflet final, je ne savais plus trop où j’étais. Je me souviens que lorsque nous étions sur la route pour revenir à Liège, nous avions dû faire une petite pause dans une station-service pour acheter quelques trucs pour nous régénérer."
Pister: " Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là..."
L’ambiance dans le groupe était incroyable. Comme si tout le monde avait besoin d’évacuer toutes ces années de frustration. "La femme d’un journaliste était entrée dans le vestiaire et on l’avait immédiatement jetée dans les douches. C’était génial", rigole Thierry Pister. "Dans le car, on a aussi entonné tous les chants à la gloire des joueurs. On avait vraiment une super équipe. Personnellement, et je crois que c’est aussi le cas pour une bonne partie du groupe, cela reste le sommet de ma carrière. J’ai gagné quelques championnats de troisième division mais ici, toute la ville de Liège a tenu à participer à cette fête. Le stade de Sclessin était noir de monde."
Les images de liesse populaire en 2008 et 2009, cette génération de 1993 les a également connues. "C’était une folie typiquement liégeoise. Je ne sais pas combien il y a de ponts sur l’autoroute entre Bruxelles et la Cité Ardente mais ils avaient tous été envahis par les supporters du Standard. C’était tout bonnement incroyable", se souvient Marc Wilmots. "André Duchêne, le président du club, avait réservé un hélicoptère pour que nous puissions survoler toute la ville. Cela a peut-être duré dix, quinze ou vingt minutes mais, pour moi, cela ressemblait à une éternité. A un moment, je me suis dit que j’allais piquer un parachute pour m’échapper. C’était ça ou je refaisais toute la décoration intérieure…", grimace Guy Hellers.
La fête a duré de très longues heures. D’abord durant un repas entre tous les membres du club. "Il y avait une énorme bouteille de champagne sur la table. Elle faisait au moins dix litres. Nous étions tous conscients qu’il fallait profiter de ce moment car, dans une carrière, cela n’arrive pas tous les jours. D’ailleurs, moi je ne l’ai connu qu’une seule fois…", dit Patrick Asselman, qui se souvient particulièrement d’un moment des festivités. "Une heure ou deux après notre victoire, j’ai vu mon papa avec une petite Coupe de Belgique. C’était un moment très émouvant, nous nous sommes embrassés. On s’est dit que j’avais enfin gagné quelque chose durant ma carrière. Ça, je ne l’oublierai jamais."
Tout le monde n’en a pas profité de la même façon. Marc Wilmots est ainsi rentré chez lui vers vingt-deux heures. "Ma compagne était en examen et je sentais qu’elle avait besoin de moi. J’ai donc rapidement pris la direction de Namur pour la soutenir durant ses études. C’était bien plus important car des fêtes, on peut encore en connaître de nombreuses durant son parcours footballistique. A Schalke, je me souviens qu’il y avait deux semaines de festivités et, à la fin, on était même presque content que tout ça se termine. Heureusement, elle a réussi ses examens et été diplômé. C’était bien là le principal même si c’était quand même dommage que ça coïncide avec la finale de la Coupe", raconte le sélectionneur des Diables rouges. Philippe Leonard a, lui, rendu les armes au milieu de la nuit. "Vers trois ou quatre heures du matin. J’étais encore sage à l’époque", sourit-il.
Par contre, Thierry Pister n’a pas tenu à manquer une seule seconde de la fête. "Pourtant, je n’étais pas un gros sorteur. Nous avons déjeuné vers sept heures du matin chez Leon Semmeling et je pense ne pas avoir beaucoup dormi…", dit-il. "La liesse populaire ne s’est pas limitée à cette seule soirée. Deux ou trois semaines plus tard, je buvais un verre en compagnie de mon papa lorsque vingt ou trente supporters m’ont aperçu et ont commencé à chanter à la gloire du Standard. On était les rois de Liège"
Voilà certainement tous les ingrédients qui font de ce succès de 1993 l’un des plus grands de l’histoire du club principautaire !
Le message d’Asselman
Depuis l’arrivée de Bruno Venanzi à la présidence, lors du dernier été, le club tient à mettre ses anciens joueurs en vitrine. Eric Gerets, Laurent Ciman ou encore Witsel ont été invités à donner le coup d’envoi d’une rencontre de championnat pour être, une nouvelle fois, ovationnés par l’incroyable public de Sclessin. D’anciens grands noms principautaires, comme Daniel Van Buyten et Olivier Renard, figurent même dans l’organigramme à des fonctions plus qu’importantes. Malgré ce net intérêt pour les anciennes gloires locales, les héros de la Coupe de Belgique 1993 n’ont jamais vraiment été mis à l’honneur."Et honnêtement, c’est un grand regret en ce qui me concerne", dit Patrick Asselman. "Depuis que j’ai quitté le club, je n’ai plus jamais eu de contact. C’est par exemple dommage qu’on ne nous ait pas invités pour la finale de ce dimanche face à Bruges. Nous n’avons plus vraiment l’occasion de nous réunir tous ensemble, mais dès que c’est le cas, les anecdotes fusent dans une excellente humeur."
Wilmots: "Le Standard fait partie de ma vie"
Entre 1991 et 1996, Marc Wilmots a porté les couleurs du Standard. Pour lui, un passage en bord de Meuse résonnait pratiquement comme une évidence. "Ce club fait partie de ma vie, j’ai toujours voulu y jouer", explique-t-il. Bien entendu, sa fonction d’entraîneur fédéral ne lui permet pas de prendre position pour la finale de ce dimanche, mais il est évident qu’il ne pourra cacher son passé liégeois.
Marc Wilmots continue à suivre d’un œil attentif l’actualité du club liégeois. À ce titre, un joueur semble lui avoir particulièrement tapé dans l’œil, mais il ne pourra l’observer durant la finale programmée ce dimanche. "Corentin Fiore restait sur deux bons mois sur le flanc gauche défensif et c’est dommage qu’il soit suspendu pour cette finale face au Club Bruges. C’est quelqu’un que nous suivions, notamment lorsqu’il évolue chez les Espoirs avec Enzo Scifo. Il a une excellente mentalité et certainement un bel avenir dans le monde professionnel."
La finale de 2016: "Le Standard peut faire quelque chose"
Dimanche, tous suivront d’un œil attentif la finale entre le Standard et Bruges. Il est bien entendu inutile de préciser pour qui leur cœur vibrera…
Marc Wilmots : "Le Standard avait l’occasion de vivre une semaine magnifique avec une qualification pour les playoffs 1 et un succès en Coupe de Belgique. Même si la situation actuelle est embêtante, il ne faut pas la dramatiser non plus car le club peut encore décrocher un ticket européen via les playoffs. OK, c’est un parcours du combattant mais c’est possible. Bruges, de son côté, veut absolument remporter le sacre national. Si Michel Preud’homme parvient à enchaîner la Coupe et le championnat en deux ans, je crois qu’il pourra être très fier. Oui, la pression est un petit peu plus du côté liégeois mais c’est une finale, donc tout le monde sera stressé."
Patrick Asselman : "Avec OHL, nous avons affronté Bruges lors de la dernière journée de la phase classique et honnêtement, je n’ai pas été spécialement impressionné. Si le Standard forme un vrai collectif, il peut faire quelque chose de beau. Finalement, la lourde défaite concédée à Malines pourrait même être une bonne chose pour les Liégeois, car ils sont toujours plus forts lorsqu’ils sont dos au mur."
Thierry Pister : "C’est un match de Coupe et tout peut arriver. Même si Bruges affrontait le dernier, il souffrirait. Le Standard a souvent été performant face aux équipes de tête et si j’étais à la place de l’entraîneur, je me servirais de la défaite 7-1 concédée en championnat pour motiver mes joueurs. Ce sera du vrai 50-50."
Philippe Leonard : "Le Standard aura beaucoup de pression car il est passé à côté de son premier objectif, c’est-à-dire une qualification pour les playoffs 1. Ce qui me fait peur, c’est que les joueurs ont déjà eu du mal à composer avec la pression lors de leur déplacement à Malines, donc je me demande ce qu’ils vont faire en finale devant cinquante mille personnes. Mais bon, avec cette équipe, on ne sait jamais à quoi s’attendre…"
Guy Hellers : "Cela va être très, très difficile et psychologiquement, la défaite à Malines va faire mal. Le coach devra donc travailler à ce niveau et également bien analyser le jeu de Bruges. Et je sais que Michel Preud’homme parvient toujours à très bien préparer son équipe pour les grands événements."