Deflandre - Clement: ils ont joué la finale… à Anvers
Il y a neuf ans, Éric Deflandre et Philippe Clement s’étaient déjà affrontés au Heysel mais comme joueurs cette fois.
- Publié le 18-03-2016 à 11h28
- Mis à jour le 18-03-2016 à 17h14
Il y a neuf ans, Éric Deflandre et Philippe Clement s’étaient déjà affrontés au Heysel mais comme joueurs cette fois.
"Tu vas bien, Éric ? Tu vois, j’ai choisi un décor rouge pour que tu te sentes à l’aise. Je suis heureux de te revoir."
Enjoués, décontractés, Philippe Clement et Éric Deflandre se font spontanément la bise dans cette brasserie d’Anvers - zone neutre élue par le Brugeois - où, pendant plus de deux heures et demie, les deux entraîneurs adjoints des finalistes de la Coupe, copains redevenus complices, ont préfacé l’apothéose de dimanche sans jamais se tirer la bourre. "Félicitations pour votre belle saison, Phil . Je te retrouve avec plaisir. Au bord du terrain, on n’a pas le temps de se parler. Je sais seulement que tu veux devenir T1 plus vite que moi."
Les deux hommes présentent de nombreux points communs : ils ont été équipiers à Bruges et en équipe nationale, ils se sont affrontés dans une finale de Coupe - remportée par le Brugeois en 2007 - et ils sont, tous deux, T2 d’un grand club.
"Côtoyer Éric constituait une promesse de bonne humeur", se souvient Philippe Clement. "Éric savait instiller une bonne ambiance dans le vestiaire. Il est plus démonstratif que moi. Mais, sur le terrain, il était toujours sérieux. Je me rappelle un de ses tocs : quand il pénétrait sur la pelouse, il propulsait toujours le ballon à cinquante mètres. Si j’avais fait cela, je me serais blessé à tous les coups. C’était des petites nuances entre nous. Mais j’aime les gens différents de moi qui, comme moi, sont toujours positifs."
Amusé, Éric Deflandre acquiesce : "J’ai envie de profiter de la vie au maximum. M’échauffer ? M’étirer ? Je n’ai jamais fait cela. Robert Waseige, mon entraîneur de Liège, devenait fou : Tu vas te claquer, petit veau ! m’apostrophait-il. J’adore mettre de l’ambiance. Je suis la filière de la Licence Pro. Nous composons un groupe de vingt à vingt-cinq postulants. Tous les mois, mes copains célèbrent mon anniversaire avec gâteau, bougies et souhaits. C’est devenu une tradition. En quatre mois, j’ai ainsi pris quatre ans. Mais ne vous y trompez pas : Phil sait s’amuser, lui aussi. La différence est qu’il est plus discret que moi."
Philippe Clement précise : "Joueur, je parlais davantage que toi."
Éric Deflandre confirme : "Tu étais plus un leader que moi. "
Éric Deflandre évoque leur période commune à Bruges : "Nous formions une vraie bande de copains. Souvent, après les matches, nous allions manger tous ensemble, avec nos femmes. Nous avions noué des contacts étroits avec nos fans. Quand l’entraîneur demandait qui voulait passer la soirée dans un club de supporters, quatre joueurs au moins levaient spontanément la main. Un moment, j’étais parrain de neuf clubs !"
Philippe Clement confirme : "Nos sorties n’étaient pas organisées. Elles étaient spontanées. Ces soirées faisaient office de team building . On y parlait d’autre chose que de football."
Au moment de se quitter, Éric Deflandre a lancé à Philippe Clement : "On boit un verre ensemble après le match, hein Phil ?"
L’invitation risque de ne pas pouvoir être honorée. "Sauf si Éric revient faire la fête avec nous à Bruges…" sourit Philippe Clement.
Deflandre: "Je suis fait pour cela"
Éric Deflandre s’assume pleinement dans son rôle de T2. Il n’est pas pressé de franchir le pas : "J’avais 39 ans et je jouais au FC Liège. J’y aurais volontiers évolué une saison de plus. Mais, depuis deux ans, le Standard voulait que je devienne formateur des U15 et que j’entraîne les jeunes défenseurs. J’ai souscrit à son offre car je voulais rester dans le milieu du foot et lui redonner ce que j’avais reçu de lui. Au Standard, je pouvais le faire dans le super contexte de l’Académie."
Rapidement, poussé par Christophe Dessy, Éric Deflandre est monté en grade. Quand Axel Lawarée l’a invité à assumer des fonctions plus importantes encore, Éric Deflandre a répondu avec empressement : "J’étais liégeois et ancien pro. J’avais un bon contact avec les joueurs. J’ai pris mon travail à cœur. Plus le temps passe, plus je me dis que je suis fait pour cela."
Le T2 de Yannick Ferrera explicite son rôle avec enthousiasme : "Je me sens très utile dans ma fonction de lien entre l’entraîneur et les joueurs. Ces derniers acceptent mes critiques car j’ai un vécu. Ce n’est pas le cas de tous les T2 . Ce que j’ai appris avec les jeunes m’aide beaucoup sur le plan psychologique."
éric Deflandre gère beaucoup de débriefings vidéo individuels : "Je leur montre à la fois du positif et du négatif. Du positif car les joueurs sont souvent vulnérables mentalement. Plus on les met en confiance, plus on en tire du positif. Mais il faut aussi que le joueur voie les erreurs qu’il a commises. À ce moment, l’interaction est très importante. Le joueur doit pouvoir s’exprimer."
Le Liégeois ajoute : "Quand la critique émane de moi, ancien défenseur, le joueur l’accepte mieux que si c’est le coach qui la formule car les contacts ne sont pas les mêmes : l’adjoint ne compose jamais l’équipe."
Éric Deflandre ne veut pas brûler les étapes : "Il y a un an et demi, j’aurais pu partir à Malines. Je ne l’ai pas souhaité. Je reste la stabilité. Mais je sais qu’un jour, il y aura une place pour moi comme T1 dans le football belge"...
Clement: "Quitter Bruges sans un titre ? Difficile"
Philippe Clement a remporté cinq finales de Coupe, quatre comme joueur - trois avec Bruges - et une comme T2. Il les a toutes savourées : "Il en est deux, toutefois qui m’ont davantage marqué que les autres : celle de l’an dernier, contre Anderlecht, et ma première, avec Genk, en 1998 contre Bruges. Deux ans auparavant, le Racing était encore en D2. La finale était mon dernier match avec ce club. Je voulais partir en beauté. 40.000 personnes s’étaient massées au centre de Genk pour fêter l’événement. Je n’oublierai jamais non plus la saison dernière. Trois jours auparavant, on s’était imposé à Besiktas. En finale, quand Anderlecht a égalisé, on était morts. Que devait-on faire ? Défendre et attendre les prolongations ou jouer notre va-tout ? On a choisi d’attaquer. Quand Refaelov a marqué, l’explosion a été folle sur le terrain, sur le banc et au sein de la direction."
Philippe Clement a évolué dix ans à Bruges avant de partir au Germinal Beerschot. Le Club est allé le rechercher en 2011. "En février de cette année-là, Bart Verhaeghe et Vincent Mannaert m’avaient téléphoné pour évoquer Bruges et son organisation. Quand j’ai réalisé que Birger Maertens avait été le dernier joueur issu de l’académie à être devenu titulaire et que son éclosion remontait à 2001, j’ai muselé mon envie de jouer encore et je suis devenu entraîneur des Espoirs du Club, investi de réels pouvoirs. Je suis fier du travail que nous y avons presté, mon équipe de l’académie et moi : Engels, Mechele, Coopman, Dierckx et Bolingoli pour ne citer qu’eux émanent de l’académie. Oulare aussi, qui est parti pour huit millions d’euros."
Lorsqu’il est devenu T2, Philippe Clement a continué d’assumer des responsabilités dans l’académie : "Les passerelles fonctionnent d’autant mieux entre les Espoirs et l’équipe fanion que la philosophie est identique entre les deux entités. On y travaille de la même manière dans l’une et l’autre sphère."
Philippe Clement est ambitieux. Le poste de T1 l’intéresse. Il a même noué un bref flirt avec Courtrai la saison dernière : "Je suis resté à Bruges car j’y assume de vraies responsabilités. Le quatuor que je forme avec Bart, Vince et Michel Preud’homme est unique en Belgique. Michel et moi constituons un vrai duo, un binôme parfait. Nos idées divergent parfois mais aucune divergence ne nous a jamais séparés. Michel conserve toujours le dernier mot. Il apprécie que je lui dise toujours la vérité."
Philippe Clement sera T1 un jour : "Mais quitter Bruges sans être champion serait difficile…"
"La forme du moment n’est pas déterminante"
Éric Deflandre : "Méfions-nous grandement du jeu profond du Club…"
Comment les deux clubs abordent-ils cette finale et que représente-t-elle pour eux ?
La Coupe constituait-elle un gros objectif cette saison ?
Éric Deflandre : "Non. L’objectif majeur était les PO1. Compte tenu de notre position au classement, nous avons dû revoir nos ambitions. Dès notre premier match, à Coxyde, Yannick Ferrera a clairement expliqué que pour accrocher un ticket européen, nous allions devoir disputer six finales."
Philippe Clement : "On en poursuivait trois : le titre, les poules de l’ Europa League et la Coupe. Le titre était prioritaire. Si on est champion, la fête sera énorme comme elle le fut au Standard quand celui-ci a conquis un nouveau sacre, après vingt-cinq ans."
Philippe, une deuxième Coupe après celle de l’an dernier recèlerait-elle la même saveur ?
"Oui, car il n’y a pas encore accoutumance. Ce n’était pas le cas en 2004 quand nous avons battu Beveren. Quand nous sommes revenus à Bruges, nous avons été accueillis par... dix suporters. À l’époque, nous avions remporté deux titres et deux Coupes avec Trond Sollied. Battre Beveren était… normal."
De quoi votre équipe doit-elle se méfier en priorité ?
É. D. : "De beaucoup de choses. De la profondeur de son jeu, qui permet souvent à Bruges de faire la différence. La gestion du jeu dans notre dos est précisément notre point faible. Du fait, aussi, que Bruges tourne à plein régime depuis janvier et qu’il mérite sa première place. On ne part pas favoris, mais Bruges ne nous sous-estimera pas. Michel Preud’homme est malin : il déjouera ce piège. Il est un super coach."
P. C. : "Le Standard recèle beaucoup de joueurs aux qualités individuelles affirmées, qui peuvent faire basculer un match sur une action. Ses qualités offensives sont patentes."
Quels joueurs ne peuvent pas manquer cette finale ?
É. D : "Il m’est très difficile de répondre. Je ne voudrais pas mettre certains mal à l’aise. J’ai envie que chacun se sente important."
P. C. : "Éric est devenu diplomate avec l’âge. Chez nous, c’est Timmy ! Son expérience lui permet de changer les choses sur le terrain. En parlant, en motivant ses équipiers ou en les calmant."
La saison régulière du Club Bruges a-t-elle été la meilleure depuis l’instauration des PO ?
P. C. : "Non, car jusqu’en février, tout le monde nous a critiqués. Mais on savait où on allait. On a modifié nos batteries par rapport à la saison dernière. Après avoir disputé une cinquantaine de matches, nos joueurs étaient morts pour les PO1 . Nous avions encore dû nous déplacer à Kiev pendant ces PO1 . C’est la raison pour laquelle, jusqu’en janvier, nous avions décidé de favoriser la rotation. On ne voulait plus que la fatigue cause des blessures, comme cela avait été le cas avec Vazquez et Odjidja."
Éric, pourquoi la saison du Standard a-t-elle été aussi chaotique ?
É. D. : "Elle a été truffée de changements. De joueurs, de coach, de système de jeu. Pour réaliser une bonne saison, il faut de la stabilité à tous les niveaux. Il faut que le staff puisse travailler dans la continuité. Le club s’y emploie. Il veut retrouver un esprit liégeois. Les retours d’Axel Lawarée, de Daniel Van Buyten et d’Olivier Renard vont dans ce sens. Il faut aussi que les joueurs se sentent concernés pour qu’ils soient conquérants. Cette saison, on a manqué de leaders, d’arracheurs de ballon. De pittbuls. Pour battre Bruges, on devra afficher un autre caractère qu’à Malines."
La forme du moment est-elle un facteur déterminant ?
P. C. : "Non, c’est l’envie qui primera. En finale, un joueur doit se persuader qu’il peut écrire l’histoire. Bien sûr, l’expérience et le talent comptent aussi."
É. D. : "Je suis d’accord. Peu importe qu’on ait été mauvais la semaine précédente. On sera motivé à fond pour ne pas rater ce rendez-vous. Surtout que personne ne nous attend."
En 2007, le Standard était favori
Éric Deflandre n’a oublié ni le but d’Ishiaku ni la métamorphose du Club Bruges
Philippe Clement et Éric Deflandre se sont déjà retrouvés comme adversaires, à ce stade de l’épreuve, sur la pelouse du plateau du Heysel. C’était le 26 mai 2007 . "Avec Genk, j’ai déjà battu Bruges par 4-0, en 1998. Il suffit que j’émarge à une équipe pour que celle-ci s’impose !" sourit le Brugeois.
Aucun des deux acteurs n’a oublié les circonstances de cette finale.
"La pression était énorme pour nous", se souvient Philippe Clement . "Si nous ne l’emportions pas, nous n’étions pas européens alors qu’aujourd’hui, le Standard peut encore se rattraper, grâce aux PO2 . En 2007, le Standard alignait une belle équipe avec Defour, Witsel, Fellaini, Conceição. Bruges avait raté sa saison. Cette année-là, le Club ne possédait pas une véritable équipe, comme aujourd’hui. Les onze joueurs qui la composaient n’étaient pas résolus à se battre l’un pour l’autre. Ishiaku et Balaban jouaient ensemble devant. L’un d’eux devait aider l’entrejeu. Bosko y a rechigné… jusqu’à la finale. La mentalité a changé en demi-finale, après une défaite à La Gantoise (3-1). J’avais parlé aux joueurs pour les convaincre qu’on jouait notre avenir. La mentalité avait changé du tout au tout. Au retour, tout le monde a donné son maximum. On a gagné 2-0 : l’anticlimat était devenu un grand climat !"
Éric Deflandre fait la moue : "Pour nous, la déception fut énorme. Je n’ai pas oublié ce but d’Ishiaku dès la 17e minute de jeu. Nous étions les favoris, ne serait-ce que parce que nous avions sorti Anderlecht en demi-finale. Mais nous n’avons pas bien joué. Le match est resté longtremps fermé. Nous ne nous sommes pas créé beaucoup d’occasions. Bruges était très bien organisé. En ayant su museler nos points forts, il a remporté la bataille tactique du centre du terrain."
Le technique
Club bruges : Stijnen; Priske, Maertens, Valgaeren, Klukowski, Englebert, Clement, Blondel, Leko, Balaban (89e Vermeulen), Ishiaku (84e Yulu Matondo).
Standard : Renard; Deflandre (74e Lukunku), Sarr, Dante, Oussalah (46e Dupre), Conceicao, Defour, Fellaini, Witsel, De Camargo, Jovanovic.
Arbitre : M. Vervecken.
Avertissements : Fellaini Blondel, Defour, Stijnen, Dante.
Le but : 17e Ishiaku (1-0).