Pourquoi le transfert avorté entre Lassana Diarra et Charleroi pourrait changer la face du football ?
Attention séisme ! Le monde du football tel que les supporters le connaissent pourrait changer de visage
- Publié le 02-05-2024 à 18h23
Quel est le point commun entre Jean-Marc Bosman et Lassana Diarra ? Au premier coup d’œil, pas grand-chose. Sauf que le premier a changé la face des transferts en 1995 tandis que le second risque bien d’en faire de même. Un autre point les rassemble : la Belgique. Contrairement à celui qui prône le nom du célèbre “arrêt Bosman”, l’international français n’a jamais porté les couleurs d’un club belge. Mais cela aurait pu.
En 2015, les Zèbres étaient intéressés par l’héritier de Makélélé chez les Bleus. Un transfert qui ne verra jamais le jour pour des raisons juridiques. Un coup dans l’eau qui pourrait aujourd’hui bouleverser le marché des transferts. Explications.
Le contexte
L’histoire commence bien loin du Mambourg. Pour comprendre ce qui se trame en 2024, il faut retourner en 2014/2015. À l’époque, Lassana Diarra est sous contrat avec le Lokomotiv Moscou. Un an après sa signature, les Moscovites choisissent de baisser son salaire sans raison particulière. Le joueur cherche à partir. Finalement, le contrat du milieu est rompu par sa formation.
Le club russe ne reste pas les bras croisés et demande 20 millions d’euros au Français en affirmant qu’il n’a plus exécuté son contrat. Il l’attaque devant la chambre des litiges de la FIFA et le Tribunal arbitral du sport (TAS). Un procès qui va durer pendant très longtemps.
Sans employeur, Lassana Diarra cherche à se recaser. Problème : les clubs acquéreurs ont peur. La raison est relativement simple, ils craignent de devoir aider solidairement Lassana Diarra à payer cette indemnité.
Pour savoir si un club doit verser une somme d’argent ou non, il faut se plonger dans le Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA. C’est l’article 17 qui fixe le cadre légal relatif aux conséquences d’une rupture de contrat sans “juste cause”. Concrètement, cet article protège les clubs de ruptures de contrat unilatérales.
Le règlement est clair : “Si un joueur professionnel est tenu de payer une indemnité, le joueur professionnel et son nouveau club seront solidairement et conjointement responsables du paiement de celle-ci. Le montant peut être stipulé dans le contrat ou être convenu entre les parties”.
Et la Belgique dans tout ça ?
Lorsque le contrat de celui que l’on surnommait Lass' a été rompu, plusieurs clubs y voient une opportunité en or. Si sa carrière patine, le CV du Parisien de naissance n’est plus à démontrer. Chelsea, Arsenal, Real Madrid… le joueur a une expérience qui pourrait aider de nombreux clubs. En 2015, le RSC Charleroi est aussi peureux que le reste de la meute. Mais le club tente sa chance et envoie une lettre d’engagement le 19 février. “L’offre de Charleroi représentait une occasion unique de se remettre en selle en pouvant disputer les derniers matches de la saison 2014-2015 […] et montrer à tous les candidats employeurs que, d’une part, il n’avait rien perdu de ses qualités sportives et que, d’autre part, un club souhaitant l’engager pouvait le faire sans risque juridique”, explique l’avocat du joueur devant les tribunaux.
Le club du Mambourg est chaud, mais pose tout de même une condition suspensive assez logique : ne pas être solidaire d’éventuelles indemnités à payer au Lokomotiv Moscou. Le clan Diarra ne peut le lui assurer. Les Zèbres retirent leur offre et Diarra restera inactif pendant quinze mois.
Une fois ce chapitre terminé, la chambre de résolution des litiges condamne Lassana Diarra à payer 10,5 millions d’euros à son ancien club. En revanche, il reçoit l’autorisation de chercher un nouveau défi pour reprendre sa carrière. Il trouvera finalement chaussure à son pied du côté du mythique Olympique de Marseille.
Sportivement, la carrière du joueur est donc relancée. Pas question pour lui de se laisser faire sur le plan juridique. Pour faire simple, le Français réclame 6 millions d’euros de préjudice à la FIFA (puisque c’est la FIFA qui fixe les règles) et à l’Union Belge en saisissant le tribunal de commerce du Hainaut. Le débat juridique ira jusqu’à la Cour d’Appel de Mons qui n’est pas compétente pour juger de cette affaire. Le dossier arrive finalement du côté de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Que se passe-t-il aujourd’hui ?
Une audience a eu lieu en janvier du côté de la CJUE. Pour résumer, la FIFA estime que ce règlement assure une certaine “stabilité contractuelle” et “le respect des obligations contractées tant par les joueurs que par les clubs”. De l’autre côté, Lassana Diarra assure qu’il va à l’encontre du droit à la libre circulation de l’Union Européenne.
Ce mardi, l’avocat général Szpunar de la CJUE a donné son verdict sur cette affaire. “Ces dispositions sont de nature à décourager et à dissuader les clubs d’embaucher le joueur par crainte d’un risque financier. Les sanctions sportives auxquelles sont confrontés les clubs embauchant le joueur peuvent effectivement empêcher un joueur d’exercer sa profession dans un club situé dans un autre État membre […] Ce faisant, le RSTJ, en limitant la capacité des clubs à recruter des joueurs, affecte nécessairement la concurrence entre les clubs sur le marché de l’acquisition des joueurs professionnels”, résume-t-il dans ses conclusions à la Cour. En d’autres termes, il suit la version du joueur.
Cela pourrait changer quoi à l’avenir ?
L’avocat général suit donc la version du joueur. Mais concrètement, cela pourrait changer quoi ? Pour faire simple, tout le marché des transferts serait bouleversé. Si la CJUE suit cet avis, les joueurs pourraient par exemple casser leur contrat de travail sans craindre d’être juridiquement coincé.
Pour certains observateurs, il s’agirait donc d’un “Bosman 2.0.”. Pour Martin Hissel, l’un des deux avocats de Lassana Diarra, cela irait même plus loin. “L’arrêt Bosman avait mis fin aux indemnités de transferts dans le cas d’un joueur libre”, a-t-il commencé sur RMC Sports. “Ici, c’est la possibilité pour des joueurs de quitter leurs clubs en cours de contrat qui est rendu possible. Ça va toucher un segment de joueurs beaucoup plus large. Le joueur sous contrat, comme dans tous les secteurs économiques, peut quitter son entreprise. Dans le monde du football, c’est tout le contraire. On leur donne un pouvoir qui à nos yeux leur revient légitimement.”