Darren Cahill, ancien coach d'Agassi et Hewitt: "Tout est devenu plus professionnel"
- Publié le 28-05-2018 à 12h55
- Mis à jour le 28-05-2018 à 13h52
Avant le début de la quinzaine parisienne, nous donnons la parole à des entraîneurs importants du circuit. Aujourd’hui : l’Australien Darren Cahill, ancien coach d’Andre Agassi et Lleyton Hewitt, qui s’occupe depuis trois ans de la numéro 1 mondiale Simona Halep Darren Cahill est l’un des coachs les plus sous pression de ce Roland-Garros 2018 : sa joueuse, Simona Halep, est toujours en chasse d’un premier titre du Grand Chelem et est de nouveau la grande favorite à Paris. Lui qui en a vu tant d’autres garde beaucoup de calme et de sérénité face aux enjeux.
Comment aborder un tournoi du Grand Chelem avec une joueuse qui n’est là que pour le gagner ?
"Cela dépend un peu de la forme du moment : on peut accumuler les heures d’entraînement si la confiance est un peu basse ou au contraire en faire moins si la confiance est au top afin de juste s’assurer que la condition physique et la tête restent à 100 %. Là, Simona est en grande confiance en arrivant sur le tournoi, c’est son tournoi préféré au monde, elle y a connu beaucoup de succès, n’a pas été loin de gagner deux fois. Elle adore Paris. Je n’ai donc pas à travailler sur sa motivation, c’est plus une question de s’occuper de ce qu’elle fait sur le court, de faire en sorte qu’elle joue de la bonne façon, que sa confiance reste au top et que son corps soit prêt pour deux semaines qui sont toujours très éprouvantes."
On parle souvent de la pression subie par les joueurs, mais les coachs en ont aussi…
"Oui mais la plus grande partie de la pression reste quand même sur leurs épaules. Et c’est notre job de leur en enlever le plus possible, de s’assurer qu’ils prennent les choses le plus simplement possible. Je sais que pour les gens ce coup du ‘je prends match après match’ sonne comme un cliché, mais c’est comme ça que cela doit être. Si l’on complique tout, cela devient trop difficile de garder l’intensité, la concentration et la forme pendant deux semaines face à sept adversaires différents. On y va jour par jour en s’assurant d’être un peu meilleur à chaque fois, on se concentre sur ce premier match et on ne pense pas plus loin."
Quels sont vos trucs pour enlever de la pression ?
"J’utilise beaucoup la vidéo. Je montre à Simona combien elle avait bien joué ici l’an dernier, combien elle aime cet endroit, combien elle bougeait bien. Je lui montre aussi comment elle avait réussi à se sortir de matchs difficiles, et ça n’a pas besoin d’être à Roland-Garros, ce peut aussi être à Melbourne ou dans d’autres tournois où elle a bien joué dans le passé. La vidéo est un bon moyen de se souvenir de ce dont on est capable, car parfois les joueurs de tennis ont tendance à l’oublier."
Y a-t-il des choses qui ont changé dans votre manière de coacher depuis vos débuts ?
"L’entraînement physique est devenu bien plus intelligent ces dix dernières années. C’est une des raisons pour lesquelles on voit bien plus de joueurs et de joueuses jouer un bien meilleur tennis après trente ans comparé à ce que l’on voyait avant. On a plus d’informations de nos jours et les athlètes comprennent mieux leurs corps, comprennent mieux comment soigner les blessures. Tout est devenu plus professionnel. Planifier sur une période de cinq ans est devenu plus important aussi : ce n’est pas seulement s’entraîner pour demain, c’est aussi effectuer le meilleur travail possible pour se mettre sur la bonne voie plus tard. Il faut investir dans sa condition physique dès le plus jeune âge. Pour le reste, le coaching n’a pas trop changé. Les meilleurs sont ceux qui réussissent à simplifier au maximum. Les émotions jouent aussi un grand rôle dans ce sport, donc il faut commencer par les calmer."
Le coaching, c’est beaucoup de psychologie ?
"Honnêtement, j’essaie de ne pas en faire. S’il y a besoin, c’est mieux d’aller voir un expert. Les joueurs de nos jours peuvent se le permettre financièrement. Si le coach ne peut pas résoudre un problème, alors on va chercher l’expert du domaine qui va pouvoir aider. Je ne suis pas là à m’accrocher à mon job, je veux juste aider ma joueuse : s’il y a quelque chose que je ne peux pas faire, alors je fais venir quelqu’un d’autre, que ce soit un autre coach ou un psy ou un préparateur physique. Il faut être ouvert afin que le joueur ou la joueuse avance. J’ai un ego comme tout le monde, mais l’important, c’est ma joueuse."
Vous avez coaché des hommes et des femmes sans faire de différences finalement…
"Le jeu est le même, la pression est la même, les attentes sont les mêmes. La différence dans le jeu vient du fait que les hommes peuvent boucler les points et les matchs plus facilement du fait de la différence de puissance. Chez les femmes, sauf si vous vous appelez Serena Williams, vous n’avez pas ce luxe, alors vous devez trouver un autre chemin. On voit du coup plus de hauts et de bas, mais ça rend le tout très intéressant aussi ! Simona est aussi professionnelle que n’importe quelle autre personne avec qui j’ai travaillé. Je ne la coache en revanche pas forcément de la même manière que je le faisais avec les hommes : j’ai été marié depuis suffisamment d’années pour savoir qu’il faut approcher les choses un peu différemment (sourire), qu’il faut un peu plus de patience."
Quelles sont vos relations avec les autres coachs ?
"Certains de mes meilleurs amis sont des coachs. Si l’on ne partage pas ses informations, c’est que l’on n’est pas en train d’essayer de s’améliorer. Quand tu penses que tu sais tout sur tout, alors c’est le moment de raccrocher la raquette et de prendre ta retraite. J’ai pas mal d’amis coachs avec lesquels je partage des informations tout le temps. Je cherche tout le temps à m’améliorer."
Simona a perdu deux finales à Roland-Garros, une à l’Open d’Australie, mais à chaque fois elle est revenue, a pris la première place mondiale, gagné d’autres titres : comment avez-vous fait pour qu’elle s’en remette ?
"Je lui donne tout le crédit. Elle est no 1 mondiale après tout cela et peu auraient réussi à tenir le coup. Elle est très forte, se bat face à des filles toutes plus grandes et costaudes qu’elles, quasiment. Chaque jour elle doit se battre pour avoir le droit de gagner un match de tennis, et parfois ce peut être épuisant. Mais quand on voit ses résultats depuis cinq ans, franchement, il y a de quoi être fier d’elle."
Comment réussit-on à convaincre des nos 1 mondiaux qu’ils peuvent encore s’améliorer ?
"Il suffit de prendre l’exemple de Federer et de Nadal : ils cherchent à s’améliorer tout le temps. Regardez Nadal : il passe quatre heures sur les courts tous les jours alors qu’il a déjà gagné dix fois Roland-Garros. Tout ça parce qu’il veut le onzième. Et on ajoute Novak Djokovic, lui aussi l’un des plus grands de tous les temps : sa forme quand il dominait, c’était le meilleur tennis que j’avais jamais vu joué par qui que ce soit. On a beaucoup de chance d’avoir ces exemples dans ce sport, pas besoin d’aller regarder ailleurs."
Le tennis féminin est sans doute le meilleur sport professionnel pour les femmes en termes de retombées financières et d’exposition… Idéal pour les coachs aussi j’imagine ?
"Le tennis féminin a parcouru un immense chemin depuis trente ou quarante ans, grâce à des femmes courageuses qui se sont battues pour ça. Mon but ultime, ce serait qu’il n’y ait plus qu’un seul circuit : quatre tournois du Grand Chelem, neuf Masters Series, égalité du prize money. Et bien plus d’argent descendrait sur les catégories inférieures de tournois, puis les Challengers et les Futures. Le tennis masculin est meilleur quand les femmes sont là aussi, les tournois combinés sont les plus réussis. Et puis les mêmes règles pour tout le monde, car en ce moment, même moi qui vis dans ce monde, je ne comprends pas tout tellement il y a de règlements ! Moi, j’aime le tennis alors peu importe si je regarde les hommes ou les femmes. Ce serait bien que tout le monde s’unisse et pousse dans le même sens au lieu de se disputer. Peut-être qu’on y arrivera !"