“Grégoire Munster a les capacités pour intégrer le top 10 mondial”
Entretien exclusif avec Jourdan Serderidis, l’amateur grec de Tirlemont qui aide les jeunes pilotes belges.
- Publié le 17-01-2023 à 08h18
- Mis à jour le 17-01-2023 à 14h39
”Gentleman driver” et bienfaiteur du rallye en Belgique, Jourdan Serderidis s’apprête à disputer, en cette fin de semaine, son cinquième Rallye Monte-Carlo. Mais qui est vraiment ce mécène au grand cœur aussi belge au final que Max Verstappen ? Comment ce richissime homme d’affaires de bientôt 59 ans en est-il venu à rouler en rallye et à aider Grégoire Munster à gravir les échelons du Championnat du monde avec un programme officiel en WRC2 sur Fiesta puis le prêt de sa Ford Puma WRC1 ? Quelle a été l’influence de Sébastien Loeb ? Discussion sans filtre avec le patron de Arhs Group, société dont le chiffre d’affaires se compte en centaines de millions d’euros.
Jourdan vous avez un nom grec mais quels sont vos liens avec la Belgique ?
”Ils sont nombreux. Mon papa est Grec, mais ma maman est Belge. Je suis né à Tirlemont. Francophone, j’ai passé toute ma jeunesse en Belgique et j’ai fait mes hautes études à Charleroi puis à Liège. J’ai débuté comme chercheur à l’université. Puis j’ai quitté la Belgique en 1997 pour aller travailler au Luxembourg, où j’ai créé ma propre société en 2003. Jusqu’à mon divorce, il y a trois ans, j’habitais toujours en Belgique, mais désormais je suis domicilié au Luxembourg. Mais je roule encore sous licence belge. En Mondial, c’est toutefois le drapeau de votre passeport sur l’auto. Et mon team de course et mon équipier en rallye sont Belges.”
Quel est votre métier ?
”Je suis parti de rien pour monter mon entreprise informatique de développement de logiciels et de digitalisation pour des institutions ou des grandes banques, des grosses sociétés comme Proximus. Aujourd’hui, j’emploie 2 500 personnes pour différentes boîtes avec des filiales dans sept pays.”
Tout est parti d'une rencontre avec Loeb dans un sauna en Suède.
D’où est venue cette passion tardive pour le rallye ?
”Cela remonte à 2012. Je participais à un incentive de glisse sur un lac gelé en Suède et je me suis retrouvé dans le sauna de mon hôtel avec un certain Sébastien Loeb, qui faisait des tests avec sa DS3 WRC. On a entamé la conversation. Il était super sympa. J’ignorais totalement ce qu’était le rallye. Il m’a expliqué que ce n’était pas seulement du drift sur la neige. Je suis sorti de là en me disant que je voulais essayer. J’ai pris une licence, loué une auto et hop c’était parti.”
Et cinq ans plus tard, vous remportiez le titre mondial en WRC Trophy au volant de votre DS3 WRC ?
”Exact. C’était un peu l’ancêtre de la Master Cup. J’étais le plus lent des six pilotes engagés, mais mes rivaux ont tous commis des bêtises et je me suis retrouvé sacré après cinq manches. Je suis juste allé en Australie pour que mon équipier Fred Miclotte soit aussi couronné, car il avait manqué un rallye à mes côtés. C’est le seul trophée que j’ai conservé dans un endroit stratégique de ma maison. Aujourd’hui, le Monte-Carlo sera mon 30e rallye mondial.”
Dès 2014, vous avez créé votre propre team, SXM.
”Oui, pour Serderidis et Miclotte. Nous sommes associés à 50/50. Fred gère le quotidien de l’équipe. Je n’étais pas content de la collaboration avec Floral et, si vous en avez les moyens, cela coûte toujours moins cher au bout du compte de rouler avec votre propre matériel.”
Depuis, en plus de rouler vous-même, vous avez aussi aidé pas mal de jeunes.
”Je ne paie jamais tout. Je mets une couche supplémentaire. Je complète généralement les budgets. J’ai ainsi donné de bons coups de pouce à Kevin Demaerschalk, Sébastien Bedoret, Gino Bux avec qui on va essayer de viser le titre belge en 2023, mais aussi le Suédois Emil Bergkvist qui a été champion d’Europe et du monde Junior avec nous. D’ailleurs il avait gagné une Fiesta MKII qu’il nous a laissée. C’est avec cette auto que Pierre-Louis Loubet a disputé le Devoluy et Grégoire Munster le Janner Rallye.”
Mon amie Lara a été la baby-sitter de Grégoire Munster !
Grégoire est votre dernier protégé. Pourquoi avoir décidé de le soutenir ?
”Mon amie Lara (Vanneste, copilote en rallye) m’a proposé de l’aider, car elle connaît très bien la famille Munster depuis de longues années. Elle a fait jadis du baby-sitting pour Grégoire et l’emmenait voir les rallyes où roulait son père. C’est un jeune talent de 24 ans. Intelligent, travailleur, il fait tous les efforts nécessaires pour y arriver. Je veux l’aider à aller jusqu’au bout, à intégrer le top 10 mondial. J’ai l’impression qu’il en est capable. J’ai discuté avec M-Sport. Il a juste besoin de rouler beaucoup pour augmenter encore sa vitesse de pointe.”
En plus de son programme complet en WRC2 avec la Fiesta Rally2, il aura aussi l’occasion en fin de saison de disputer quelques épreuves avec votre Puma Rally1.
”Effectivement. J’ai demandé conseil à Sébastien Loeb et il m’a dit que si j’en avais les moyens je devais le mettre le plus rapidement possible dans une WRC1. Il m’a dit que lui, c’est grâce à ses exploits en Toyota Corolla au Sanremo, je pense, qu’il a été engagé par Citroën. Je laisserai Malcolm Wilson gérer son programme, car il y a pas mal de stratégie en WRC2 et décider ce qu’il doit faire, mais l’idée est de lui offrir deux rallyes avec la Puma WRC1 fin 2023. Pour l’instant, nous faisons de gros efforts pour l’aligner en WRC2. Il a la pression de confirmer son potentiel. J’espère le voir régulièrement sur les podiums. J’ai confiance en lui. Même avec ma Puma WRC1 je m’attends à ce qu’il soit là.”
Regrettable que la fédération belge ne vous aide pas et que Greg roule toujours sous licence luxembourgeoise.
”J’avoue que j’ai du mal à comprendre. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. J’espère que le RACB changera d’avis. Grégoire a besoin de se sentir soutenu. Ce n’est pas que financier…”
Grégoire fera deux rallyes cette année avec ma Puma WRC1.
Quel sera votre programme à vous ?
”Je démarre ici, au Monte-Carlo, puis je disputerai un petit rallye sur la neige en Estonie avec Ott Tanak. Ensuite ce sera le Mexique, le Circuit des Ardennes avec une nouvelle Rally2, la Sardaigne, le Kenya et bien sûr l’Acropole. Je disputerai également une épreuve sur terre en France ou en Grèce pour préparer mon rendez-vous grec. Après je ne sais pas. Cela dépendra aussi de Grégoire.”
Votre ambition sur ce Monte-Carlo ?
”Un top 20. Et si je fais un rallye incroyable, le top 15. Grégoire lui devrait logiquement se rapprocher du top 10.”
Avez-vous le sentiment d’exploiter mieux la Skoda WRC2 ou la Ford Puma WRC1 ?
”Bonne question. Cela dépend des rallyes. Sur la terre, en Sardaigne, j’ai terminé 20e avec la Fabia. Sur des rallyes rapides comme l’Espagne, j’étais moins bien avec la Ford. Mais quand c’est plus technique, qu’il faut rouler malin comme au Monte-Carlo, j’ai le sentiment que je m’en sors mieux avec la Puma. Je suis plus proche des autres en WRC2, mais il faut dire qu’en WRC1 ce ne sont que des monstres. Et puis j’ai très peu de tests.”
Avez-vous l’impression de prendre encore des risques en pilotant ?
”Les risques que vous prenez dépendent de vos capacités. Je ne me sens pas en danger, même si j’ai déjà pris quelques belles gamelles, notamment deux fois au Monte-Carlo. Je ne tente pas des choses que je ne sais pas faire. Maintenant, moins vous testez, moins vous êtes en sécurité.”
Vous vous voyez rouler encore combien d’années ?
”Je ne me suis pas fixé de date limite. Tant que je m’amuse et que je progresse à mon niveau je continuerai. 2022 a été ma meilleure saison. J’ai terminé 7e du Rallye du Kenya, devant mon idole Loeb qui avait connu des soucis. J’étais fou de joie. Le jour où j’ai le sentiment de reculer, ce sera fini et honnêtement cela ne me posera aucun problème. Je ne suis pas obsédé. En 2018, j’avais déjà dit que j’arrêtais, car je ne voyais plus bien de nuit. Mais Nicolas Gilsoul m’a conseillé de porter des lunettes spéciales et je vois désormais dans le noir comme en plein jour. Mon complexe nocturne s’est donc envolé.”
Quels sont vos autres hobbies ?
”J’aime les voyages, la plongée. J’ai joué pas mal au football quand j’étais plus jeune. Je pratique aussi le tennis et le vélo.”
Le WRC1 ne coûte-t-il pas vraiment trop cher ?
”Si vous avez la possibilité d’acheter votre voiture comme moi, c’est beaucoup moins cher que de louer. Un rallye avec la Puma me coûte l’équivalent d’une location en WRC2. Et si je peux la revendre après je ferai bingo.”
Sébastien Loeb vous remplacera-t-il sur la troisième voiture en Suède ?
”Il est clair que Malcolm a une haute estime pour Sébastien et que ce dernier veut rouler. Maintenant, je ne suis pas dans les finances de l’équipe. Je ne sais pas s’ils ont trouvé un accord. C’est juste une question d’argent. En tout cas, ce ne sera pas avec ma voiture. Le seul à qui je la prêterai, c'est Grégoire.”
Le Dakar vous tente-t-il ?
”Non, car c’est un sport d’endurance et je ne me vois pas partir deux semaines et demie au niveau du boulot.”
Je vois Tanak champion cette année. Neuville est le plus rapide, mais doit encore apprendre à contenir ses émotions.
Qui voyez-vous champion du monde en 2023 ?
”Ott Tanak ! En rallye, le talent du pilote fait encore la différence. La Puma est super bien née, mais il a manqué l’an dernier un pilote capable de la perfectionner, d’adapter les réglages pour les différents types de terrain comme ont pu le faire les pilotes des deux autres constructeurs.”
Pourquoi Thierry Neuville court-il depuis huit ans après le titre mondial ?
”C’est bien dommage. Parfois ce n’est pas passé très loin. Pour moi, c’est lui le plus rapide. Il a beaucoup de panache. Peut-être parfois trop. Pour être sacré, il faut pouvoir garder ses émotions pendant les rallyes et avoir la chance du champion, deux choses qui lui ont manqué. Mais cela peut peut-être encore venir. Pourquoi pas cette année ?”
Connaissant votre fortune et votre passion, vous devez être souvent sollicité ?
”Je reçois une proposition de sponsoring tous les deux jours, une centaine par an. En général, on me fait un compliment et puis la semaine d’après on me demande de l’argent. Je suis habitué…”