1er mai 1994: Ayrton Senna, 25 ans après...
1er mai 1994 - 1 er mai 2019 : un quart de siècle nous sépare du décès d’Ayrton Senna. Un gouffre, une épopée, un monde. L’homme que l’on imaginait éternel est mort lors de ce Grand Prix de San Marino de sinistre mémoire. Le samedi déjà, Roland Ratzenberger périt au volant d’une modeste Simtek.
- Publié le 01-05-2019 à 11h39
- Mis à jour le 01-05-2019 à 11h52
1er mai 1994 - 1er mai 2019 : un quart de siècle nous sépare du décès d’Ayrton Senna. Un gouffre, une épopée, un monde. L’homme que l’on imaginait éternel est mort lors de ce Grand Prix de San Marino de sinistre mémoire. Le samedi déjà, Roland Ratzenberger périt au volant d’une modeste Simtek.
Ce fut un week-end maudit, le troisième de la saison, où aucun enchaînement ne parut naturel. Pour la première fois depuis ses débuts en 1984, dix ans plus tôt, Ayrton Senna paraissait dans le doute, prêt à pleurer, gérant avec difficulté ses émotions et prioritairement concerné, non par son rôle de favori mais bien par la succession des mauvais présages. Tout commença le vendredi avec le jeune Rubens Barrichello, Brésilien comme son idole. Durant les premiers essais qualificatifs, la Jordan décolla sur un vibreur à la Variante Bassa. La voiture fonçait à 225 km/h et le pilote perdit le contrôle de sa machine. Il percuta le haut d’une barrière de pneus, fit plusieurs tonneaux et se révéla inconscient. Bientôt, Ayrton Senna se rendit au chevet de son jeune compatriote avant de donner l’information majeure de ce vendredi : le nez cassé et le bras dans le plâtre, il reviendrait au circuit le samedi afin d’assister à la deuxième qualification.
Ratzenberger, l’anonyme
Le deuxième jour tourna plus mal encore. Vingt minutes après le début de la séance, l’Autrichien Roland Ratzenberger, en Formule 1 depuis le début de la présente saison, escalada un vibreur à la chicane Acque Minerale. Il est plus que probable que l’aileron arrière de la Simtek souffrit sous le choc mais Ratzenberger n’avait pas de temps à perdre et il ne revint pas au stand afin de vérifier l’état de sa monoplace. Il enchaîna un second tour rapide mais ne parvint pas à négocier normalement la Villeneuve Curva. C’est quasiment de face que la Simtek percuta le mur aux alentours des 314 km/h. La force de l’impact provoqua la mort immédiate de l’Autrichien, Roland Ratzenberger, âgé de 33 ans pour 34 à Senna. Ratzenberger, l’anonyme, n’en était qu’au troisième Grand Prix de sa carrière en F1. Il avait eu le temps de se constituer un joli palmarès dans les formules inférieures, en Tourisme notamment. Une fois encore, Senna signe la pole (sa 65e) devant Schumacher, Berger et Hill, l’équipier du Brésilien. Déjà trois fois champion du monde de F1 (1988, 1990 et 1991), Ayrton ne semblait pas concerné comme à son habitude par la perspective d’une 42e victoire, pas plus qu’il ne songeait à un 4e titre. Le début de la saison de Senna n’avait pas été exemplaire mais il n’était pas encore question de s’en faire. En l’absence de Prost, prenant une année sabbatique, Senna hérita de son baquet. Hélas, ils ne se retrouvèrent plus sur une grille de départ.
Senna : "Tu me manques, Alain"
Pierre Van Vliet, alors commentateur des GP sur TF1, avait flairé le bon coup. Dans l’émission dominicale, proposée par la chaîne française, une interview enregistrée quelques jours plus tôt créa un véritable feu d’artifice dans le cœur des passionnés. Senna dit à Prost : "Tu me manques, Alain !". La réconciliation entre les deux champions était en marche. Et si Senna n’avait pas envie de disputer le GP de San Marino, couru à Imola, il allait évidemment respecter ses engagements vis-à-vis de son employeur Williams même si le cœur n’y était pas. Et, comme si cela ne suffisait pas, il se fit réprimander par les commissaires sportifs parce qu’après l’accident mortel de Ratzenberger le samedi, Ayrton se rendit sur place. C’était en hommage au disparu mais aussi pour se rendre compte des dangers de la piste en cet endroit. Dimanche, Senna ne parvint pas à se concentrer. Il eut juste le temps de préparer un drapeau autrichien qu’il n’oublierait pas de brandir s’il passait la ligne finale en premier.
Au départ, le cafouillage reprit de plus belle. JJ Lehto (Benetton) cala et Lamy (Lotus) ne put l’éviter. Des débris blessèrent légèrement quelques spectateurs. Et nous n’avions encore rien vu. La Safety Car s’imposa en tête du peloton et permit aux commissaires de travailler sans prendre de nouveaux risques. La course fut relancée au cinquième tour et une boucle plus tard, la F1 ne serait plus jamais la même. Passant de 306 à 211 km/h, la Williams de Senna ne put virer au moment d’aborder la courbe à gauche, prise en pleine charge, dénommée Tamburello. Plus que probablement, la colonne de direction de la Williams se brisa au moment d’aborder ce virage plutôt facile à négocier pour des pilotes aguerris. Senna avait demandé à ses ingénieurs de raccourcir la colonne pour un meilleur confort de conduite. En tête de l’épreuve, Ayrton Senna fit entendre de par le monde la voix de son maître. A 14 heures 17, ce dimanche 1er mai 1994, la F1 bascula dans l’horreur. Le drapeau rouge déployé annonçait la fin de la plus belle histoire d’amour entre un homme et la compétition automobile. Le Grand Prix se poursuivit jusqu’à son terme mais qui s’en soucia. Devant les stands, à dix tours de l’arrivée, une nouvelle catastrophe fut évitée de justesse. Alboreto perdit une roue de sa Minardi et quatre mécaniciens furent hospitalisés. Heureusement, il y eut plus de peur que de mal. L’épreuve fut enlevée par Schumacher (Benetton) en route vers son premier titre de champion du monde. Larini (Ferrari) et Hakkinen (McLaren) composèrent le podium aux côtés de l’Allemand. Le champagne, évidemment, resta au frais et ne fut pas débouché. En salle de presse, les femmes pleuraient et les hommes se taisaient. On eut un mal fou à boucler nos papiers et pourtant, Senna nous guida de là-haut.
La Formule 1 ne fut plus jamais la même. Il y a 25 ans déjà. Immédiatement, le Brésil mit ses habits de deuil. Le dieu du sport rentra bientôt au pays. Sa dernière demeure l’attendait pour qu’il repose en paix.
Une longue liste noire de 35 pilotes
Jules Bianchi, mort le 17 juillet 2015, est le dernier pilote de F1 victime de sa passion pour la vitesse, vingt et un ans après Senna. Avant Jules Bianchi, victime de son accident du 5 octobre 2014 au GP du Japon sur le circuit de Suzuka, Ayrton Senna et l’Autrichien Roland Ratzenberger, décédés, respectivement, le 1er mai et le 30 avril 1994 sur le circuit italien d’Imola, avaient été les deux derniers noms d’une liste de désormais 35 pilotes de F1 victimes de leur passion :
- Années 50 : 6 (hors 500 Miles d’Indianapolis, voir note) – Charles de Tornaco (Bel/Ferrari), essais privés, Modène (1953) – Onofre Marimon (Arg/Maserati), essais du GP d’Allemagne, Nürburgring (1954) – Eugenio Castellotti (Ita/Ferrari), essais privés, Modène (1957) – Luigi Musso (Ita/Ferrari), GP de France, Reims-Gueux (1958) – Peter Collins (G-B/Ferrari), GP d’Allemagne, Nürburgring (1958) – Stuart Lewis-Evans (G-B/Vanwall), GP du Maroc, Casablanca (1958)
- Années 60 : 12 – Harry Schell (USA/Cooper), essais de l’International Trophy, Silverstone (1960) – Chris Bristow (G-B/Cooper) et Alan Stacey (G-B/Lotus), GP de Belgique, Spa-Francorchamps (1960) – Giulio Cabianca (Ita/Cooper), essais privés, Modène (1961) – Wolfgang von Trips (All/Ferrari), GP d’Italie, Monza (1961) – Ricardo Rodriguez (Mex/Lotus), essais du GP du Mexique, Mexico (1962) – Carel Godin de Beaufort (P-B/Porsche), essais du GP d’Allemagne, Nürburgring (1964) – John Taylor (G-B/Brabham), GP d’Allemagne, Nürburgring (1966) – Lorenzo Bandini (Ita/Ferrari), GP de Monaco (1967) – Bob Anderson (G-B/Brabham), essais privés, Silverstone (1967) – Jo Schlesser (Fra/Honda), GP de France, Rouen Les Essarts (1968) – Gerhard Mitter (All/BMW), essais du GP d’Allemagne, Nürburgring (1969)
- Années 70 : 10 – Piers Courage (G-B/De Tomaso), GP des Pays-Bas, Zandvoort (1970) – Jochen Rindt (Aut/Lotus), essais du GP d’Italie, Monza (1970) – Jo Siffert (Sui/BRM), World Championship Victory Race, Brands Hatch (1971) – Roger Williamson (G-B/March), GP des Pays-Bas, Zandvoort (1973) – François Cevert (Fra/Tyrrell), essais du GP des USA, Watkins Glen (1973) – Peter Revson (USA/Shadow), essais privés du GP d’Afrique du Sud, Kyalami (1974) – Helmut Koinigg (Aut/Surtees), GP des USA, Watkins Glen (1974) – Mark Donohue (USA/Penske), essais du GP d’Autriche, Osterreichring (1975) – Tom Pryce (G-B/Shadow), GP d’Afrique du Sud, Kyalami (1977) – Ronnie Peterson (Suè/Lotus), GP d’Italie, Monza (1978)
- Années 80 : 4 – Patrick Depailler (Fra/Alfa Romeo), essais privés, Hockenheim (1980) – Gilles Villeneuve (Can/Ferrari), essais du GP de Belgique (1982) – Riccardo Paletti (Ita/Osella), GP du Canada (1982) – Elio de Angelis (Ita/Brabham), essais privés, Circuit Paul Ricard (1986)
- Années 90 : 2 – Roland Ratzenberger (Aut/Simtek), essais du GP de Saint-Marin, Imola (1994) – Ayrton Senna (Bré/Williams), GP de Saint-Marin, Imola (1994)
- Années 2000 : 1 – Jules Bianchi (Fra/Marussia), après neuf mois de coma suite à son accident au GP du Japon, circuit de Suzuka, le 5 octobre 2014 (2015).
Note : les huit pilotes décédés pendant les 500 Miles d’Indianapolis entre 1953 et 1959 n’ont pas été comptabilisés, pendant cette période où la fameuse mais très spécifique épreuve américaine, disputée sur un anneau de vitesse, était intégrée au Championnat du Monde de Formule 1… que ne disputaient pas la plupart des pilotes américains.