Ilkay Gündogan, à corps perdu
Il est l'une des stars du mercato malgré la saison difficile du Borussia Dortmund. Entre son talent fou, une mystérieuse blessure au dos, la peur d'une fin de carrière prématurée et une renaissance quasi christique, retour sur le parcours d'un des footeux allemands les plus en vogue à un an de l'Euro.
- Publié le 20-06-2015 à 13h34
- Mis à jour le 17-08-2016 à 22h22
Une infection des racines nerveuses du dos. Non, Ilkay Gündogan n'aime pas la facilité. Qu'il s'agisse de son jeu ou de ses blessures, l'international aime ne rien faire comme les autres, au point de se retrouver à chômer plus d'un an, entre août 2013 et octobre 2014. C'est en effet ce curieux mal de dos (le mot est faible) qui prive le joueur de Coupe du monde. Alors que l'Allemagne atteint son apogée footballistique, Illy est lui condamné à se retaper dans un hôpital ukrainien au fin fond de la Crimée. Mais avant cette escapade dans l'épicentre du conflit russo-européen, Gündogan, c'est une présence monstrueuse au milieu de terrain, à la fois moteur de la berline jaune et noire de Dortmund et croupier attitré du Borussia.
Le gars d'à côté
L'histoire aurait pu se dérouler à Schalke 04. Car c'est bien à Gelsenkirchen qu'il voit le jour le 24 octobre 1990, de parents d'origine turque. Mais là où Mesut Özil débute sa carrière chez les Königsblauen , Gündogan n'évolue que quelques mois à Schalke, alors qu'il n'est qu'un gamin. Suffisant pour lui causer quelques soucis des années plus tard lors de son transfert à Dortmund. Mais le bonhomme préfère en rire, avec ce Borusser pur jus qu'est Kevin Grosskreutz en guise de victime. "Je lui dit souvent: 'Kevin, je rentre à Gelsenkirchen, tu viens avec moi ?' Mais il n'a jamais accepté mon invitation" , se marre-t-il. Il file plutôt un poil à l'est pour être formé à Bochum, ancien club de Yıldıray Baştürk, sorte d' Illy 1.0. Chez les jeunes du VFL, il empile les buts, malgré un statut de playmaker . A dix-huit ans, il quitte sa province rhénane pour Nüremberg, bien décidé à empoigner la vie en deuxième division. Des débuts pros marqués par une montée en Bundesliga dès sa première saison. Tant mieux, Gündogan a de l'appétit...
Tant et si bien qu'il s'impose assez vite dans le XI de Dieter Hecking. En numéro dix, un peu plus défensif, voire sur le flanc, Gündogan fait ce qu'on lui demande: relayer, créer, distribuer le jeu sans relâche. Et plutôt bien, avec trois buts et trois passes décisives dans la poche. Nüremberg se sauve in extremis en mai 2010, grâce notamment à l'apport d'un joueur qui poursuit l'aventure en Bavière. Deuxième saison au sein de l'élite, deuxième réussite, avec un temps de jeu plus important, des stats améliorées (cinq buts, trois assists ) et une belle sixième place en fin de saison. Avec de tels états de service à vingt ans, la concurrence s'aiguise autour d'un gars qui commence à se montrer sous le maillot de l'équipe nationale espoir.
Les gros moteurs allemands vrombissent. C'est finalement un Borussia Dortmund en pleine révolution "jurgenkloppienne" qui décroche un transfert à hauteur de cinq millions d'euros. Champion d'Allemagne loin devant le Bayer Leverkusen, Jurgen Klopp a un plan bien précis en tête concernant sa nouvelle recrue: faire de lui le successeur attitré de Nuri Sahin, parti se planter sur le banc du Real Madrid. Même numéro (le huit), même profil, mêmes origines turques, le parallèle est vite fait entre les deux médians.
Another brick in the wall
Mais le cadeau se révèle vite empoisonné. "Trop lent", "ne transmet pas le ballon assez vite" , les critiques pleuvent sur les épaules de ce gaillard d'1,80m pour septante-neuf kilos. Il en vient même à être relégué en tribune. "Un moment difficile, mais nécessaire", de l'aveu du joueur. Le coach allemand ne se laisse pas abattre et réussit la mutation. Il stabilise Ilkay juste devant la défense, aux côtés de Sebastian Kehl.
Là encore, c'est une réussite totale. Le BVB fait encore mieux que la saison précédente, en conservant son titre de champion, agrémenté d'une victoire en Coupe d'Allemagne. C'est même Gündogan qui offre la place en finale au club, grâce à un but inscrit dans les dernières secondes en demi-finale. "Le plus beau moment de ma carrière jusqu'à présent" , déclare-t-il sur le site de la Bundesliga . Un doublé signé au nez et à la barbe d'un Bayern Munich en mode loser cette saison-là qui lui permet d'être définitivement adopté malgré son lieu de naissance et les galère des débuts. Pour Gündogan, c'est la consécration. Il est jeune, incontournable au sein d'un club stable et performant. Et Joachim Löw n'est lui non plus pas insensible à l’œil de lynx qui ravit le Mur jaune du Westfalen Stadion.
L'aigle du Bosphore
En octobre 2011, soit quelques jours avant ses vingt-et-un ans, Ilkay honore sa première sélection contre... la Belgique, où il joue six minutes entre Hazard, Witsel et Dembélé. Et la Turquie ? Contrairement à Sahin, mais comme Özil, Gündogan opte bel et bien pour la Mannshaft , sans espoir de retour en arrière. Des regrets ? "Je suis fier de mes racines turques, tout comme de mon héritage allemand. Mais je suis né et j'ai vécu en Allemagne. Ma mentalité est allemande" , dit-il à l'époque. " J'ai joué pour l'Allemagne dès les U18 et je voulais gagner ma place en équipe A" , poursuit-il dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Cet amour du maillot frappé de l'aigle ne se démentira jamais...
Sélectionné pour l'Euro 2012 ( "un rêve devenu réalité" , même s'il ne jouera cependant pas la moindre minute), il est également nommé Ambassadeur pour l'intégration par la fédé allemande. On le voit notamment apparaître dans un clip de promotion pour l'entente entre les différentes franges de la population, avec le football en guise de lien social. Onze capes et trois buts plus tard, Illy est l'un des joueurs qui compteront sans doute beaucoup dans la sélection de Löw d'ici un an. Un sélectionneur qui ne tarit pas d'éloges sur lui en 2013. " lkay a progressé de manière incroyable, aussi bien avec le BVB qu'en équipe nationale" , dit-il en conférence de presse. "Il a beaucoup gagné en confiance en soi et joue à un top niveau. Toutes les conditions sont réunies pour qu'il devienne un joueur de classe mondiale."
Mais le milieu de terrain a une revanche à prendre après avoir loupé la Coupe du Monde. Car entre ce doublé historique et le but de Mario Götze face à l'Argentine, deux ans se sont écoulés. Pour le meilleur et (surtout) pour le pire.
Plein le dos...
La saison 2012-2013 débute sur les mêmes bases que la précédente. Piqué au vif, le Bayern reprend toutefois son bien tant en Allemagne (avec vingt-cinq points d'avance !) qu'en Europe. Et cette fois, l'impertinent Borussia ne pourra rien y faire. Vainqueur d'une demi-finale grandiose face au Real, avec une victoire 4-1 à domicile qui fait passer les Merengues pour des scolaires face à des pros, le club échoue lors de la dernière marche malgré un but de... Gündogan. C'est également le Bayern qui met fin au parcours des Borussen en Coupe. On ne flingue pas impunément l'orgueil de l'ogre bavarois... Il n'empêche, malgré ce triple échec, Ilkay a définitivement pris le contrôle du milieu de terrain de Dortmund. Ses passes exquises, sa vision panoramique et ses qualités de percussion font de lui l'élément essentiel de l'équipe.
Trois matches, deux buts, une passe dé' et une Supercoupe d'Allemagne. Son bilan 2013-2014 est quasi parfait... Mais cette rencontre de gala remportée face à Munich et ce goal mis au Paraguay seront les seuls faits d'arme du joueur. Car au beau milieu de l'été 2013, quelque chose craque chez Gündogan. C'est le dos qui lâche. Pas les ligaments du genou, pas les ischios, mais la colonne vertébrale. Il faut plusieurs semaines avant de déterminer un diagnostic précis, qui tombe tel un couperet: inflammation des racines nerveuses.
Une résurrection en Crimée
Un "truc" un peu incompréhensible qui le pousse à demander de l'aide... en Ukraine. "Je suis allé là-bas pour avoir l'avis d'un expert" , explique-t-il au SportBild . "Ma cousine est volleyeuse professionnelle (NdlR: il s'agit de la championne Naz Aydemir) et elle a souffert de la même blessure il y a quelques années. Elle a été bien soignée." C'est ainsi qu'Ilkay passe plusieurs jours dans un hosto pour enfants au beau milieu de la Crimée, qui est encore une région prisée pour ses plages et son climat.
A quelques mois d'un conflit aux relents de Guerre froide, le miracle se produit: après avoir passé un an à ruminer sur son physique qui le lâche, le médian revit. "Je me sens beaucoup mieux et je vais profiter de l'été (NdlR: les mois de juin, juillet et août 2014) pour me refaire une condition physique. Je veux débuter la saison prochaine. J'y crois." Il a raison... Le 18 octobre 2014, Ilkay Gündogan redevient officiellement joueur de foot, au prix d'un an de sacrifices. " Parfois, j’avais l’impression d’avoir 90 ans" , relate-il au Kicker. "J’avais même mal lorsque j’enfilais mes chaussures, pour dormir aussi, je ne pouvais rien faire sans avoir mal. J’avais du mal à marcher."
Aujourd'hui, le natif de Gelsenkirchen s'est relevé de ses blessures, au point de retrouver la forme de ses plus belles années. Cinq passes décisives, trois buts, trente-trois rencontres et une libération pour un joueur de vingt-quatre ans seulement qui a déjà quasiment tout vécu: une ascension éclair, un titre de champion, une grosse déception en C1 , un Euro et une longue blessure. Un as qui est désormais pressenti pour prendre le relais de Xavi au Barça. Une parabole digne du paralytique qui donne une dimension christique à Ilkay Gündogan. Lève-toi et marque...
Aurélie Herman