"On ne veut pas former des 'footballeurs à sacoche' au RSCA": plongée au coeur du centre de formation des jeunes anderlechtois (PHOTOS)
La cellule sociale d’Anderlecht a lancé un projet pour "continuer à nourrir intellectuellement" les talents qui ont fini l’école mais qui ne sont pas encore dans le noyau A.
- Publié le 28-12-2017 à 10h20
- Mis à jour le 28-12-2017 à 10h31
La cellule sociale d’Anderlecht a lancé un projet pour "continuer à nourrir intellectuellement" les talents qui ont fini l’école mais qui ne sont pas encore dans le noyau A. Reportage. Même si Francis Amuzu a illuminé les deux dernières rencontres de l’année, Anderlecht a sorti trop peu de jeunes ces derniers mois. Vu l’investissement financier et humain, le Sporting devrait être capable d’aligner plus de gamins sortis du centre de formation. De ce constat est née une remise en question : que doit faire le RSCA pour mieux utiliser les promesses de Neerpede ?
Deux grandes leçons ont été tirées de ce brainstorming. La première est connue depuis pas mal de temps : Anderlecht a trop et trop vite gâté ses jeunes. Fini les contrats offerts trop rapidement qui ont donné l’impression à beaucoup de talents que le plus dur était déjà fait, loupant ainsi une étape importante de leur formation.
La seconde leçon a aussi été tirée, plus discrètement : Anderlecht a arrêté de croire que la formation d’un joueur se limite strictement au terrain de football. "Cela peut paraître évident mais c’est peut-être plus compliqué à comprendre dans le monde du sport : si tu n’es pas bien en dehors du terrain, tu n’es pas bien sur le terrain", résume Jean-François Lenvain, responsable de la cellule sociale au RSCA.
Jusqu’à 18 ans et leur diplôme du secondaire, les jeunes Anderlechtois vivent à un rythme infernal : l’école le matin, entraînement à midi, vite manger un bout, retour à l’école, second entraînement, manger en vitesse en étudiant puis au lit. "Je me souviens du match à Arsenal avec l’équipe première en Ligue des Champions", reprend Lenvain. "On venait de faire un résultat fantastique (3-3). À la sortie du bus qui ramenait les joueurs de Zaventem à Neerpede, il y avait deux profs qui attendaient Kawaya et Tielemans pour rattraper le retard. Il n’y avait pas une minute à perdre. On presse les jeunes comme des citrons et la cellule sociale est là pour veiller à ce qu’il reste du jus."
À 18 ans, une fois le diplôme du secondaire en poche (95 % des jeunes du RSCA l’obtiennent), tout change subitement. "D’un coup, il a beaucoup trop de temps libre. Et à 18 ans, ils ne sont pas encore tous prêts à jouer en équipe première, loin de là. C’est la post-formation qui débute et elle est très importante. Si tu t’embêtes à cette période-là, tu peux vite perdre le fil de ta carrière. Certains peuvent prendre du poids, d’autres peuvent carrément faire de mauvaises rencontres en traînant trop longtemps aux mauvais endroits. Bref, tu peux gâcher le bénéfice de toute ta formation en quelques mois."
Comment éviter que les jeunes se relâchent trop après leurs études ? C’est la question que la cellule sociale du RSCA s’est posée. "On pense d’abord naturellement à la poursuite des études mais c’est vraiment compliqué avec le système belge de continuer son parcours scolaire au-delà du secondaire quand on est footballeur. Même quand tu as le potentiel intellectuel, le rythme est pratiquement impossible à tenir. C’était donc à nous de proposer aux jeunes des activités pour rester dans le mouvement."
Le projet lancé par la cellule sociale, c’est de continuer à nourrir intellectuellement les jeunes du club après leurs études. "On se rend compte de plus en plus que le talent ne suffit pas dans le football moderne. Si tu n’as pas une tête bien faite, tu échoues très souvent, même quand tu es un super talent du foot. Et on veut aussi aider ceux qui ne réussiront finalement pas dans le football pro. Tu as ton diplôme à 18 ans, tu te laisses deux ou trois ans pour réussir. Et qu’est-ce qu’il se passe quand ça ne marche pas ? On s’est rendu compte qu’il était très difficile de reprendre des études une fois que tu avais arrêté le travail intellectuel. Il est donc vraiment important de continuer à structurer ces gamins une fois l’école terminée."
La vie des jeunes diplômés du Sporting ne se limite donc plus aux entraînements et au match du week-end. "On a reçu un budget de la direction pour multiplier les activités avec ces Purple Talents", enchaîne Jan Verlinden, ancien joueur professionnel (Malines, Twente…) devenu personal trainer dans la cellule sociale. "On ne veut pas former des ‘footballeurs à sacoche’. On veut dépasser le cliché du footballeur qui ne sait pas réfléchir par lui-même en dehors du terrain."
Le Sporting a donc commencé à proposer toute une série d’activités aux joueurs diplômés. "Ils sont tous actifs chez les U21 mais le projet intéresse un garçon comme Pieter Gerkens aussi. Les membres de l’équipe A sont aussi les bienvenus. Rien n’est obligatoire mais ça peut à chaque fois aider les joueurs dans leur développement", précise Verlinden. Et Lenvain conclut : "Il faut arrêter de croire que le meilleur moyen de récupérer d’un entraînement est de rester pendant des heures dans son lit ou dans son divan."
Au cours de sciences: "Ne plus prendre des pilules sans savoir"
Les jeunes ont aussi rencontré des kinés et des médecins, en collaboration avec l’ULB. "En général, les footballeurs font ce qu’on leur demande. Si un préparateur physique leur dit de faire tel exercice, ils le font sans se poser de questions. Et quand un médecin leur demande de prendre telle pilule, ils le font aussi sans sourciller. C’est important qu’ils comprennent ce qu’ils font. Savoir ce qu’est la VO2max, les tests sanguins, les compléments alimentaires, etc. Ils seront conscients que certaines choses peuvent aider et que d’autres peuvent être dangereuses pour leur santé. Un garçon comme Gerkens était très intéressé par toutes ces informations."
Au cours de finance: "On leur apprend à lire leur contrat"
Via son partenariat avec BNP Paribas, le RSCA apprend les bases de la finance à ses jeunes joueurs. "Des choses qui leur seront utiles dans leur carrière", précise Jean-François Lenvain. "On leur explique par exemple la différence entre le brut et le net. Certains l’ignorent et des agents véreux n’hésitent pas à en profiter. Ils disent aux gamins qu’ils vont gagner autant en montrant le contrat mais c’est le brut. Quand le jeune voit ce qu’il touche réellement, cela crée des problèmes. Et quand un joueur est perturbé par ce genre de choses dans les coulisses, il n’est pas bon sur le terrain. Cela arrive plus souvent qu’on ne le pense. C’est important de savoir lire un contrat. On en profite pour leur faire comprendre la valeur de l’argent. Ils doivent assimiler qu’un contrat de 2.000 € par mois, ce n’est pas la norme à 18 ans. Et on leur explique qu’il n’y a pas beaucoup de métiers où tu peux toucher un tel salaire sans diplôme."
Au cours culturel: "Une expo au Bozar sur le hip-hop"
En octobre, les jeunes Anderlechtois se sont retrouvés au Bozar, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. "C’était une expo sur le hip-hop, cela fait partie de leur culture mais cela montrait comment le mouvement était né. On veut sortir les jeunes et leur montrer qu’il y a beaucoup de jolies choses. On va les emmener à des matchs de basket et de hockey sur gazon aussi. Ils doivent comprendre qu’il n’y a pas que le football dans la vie. On aimerait aussi les confronter à l’expérience de grands champions comme Steve Darcis et Kim Gevaert. Ils ont déjà pu écouter Jacques Borlée et ce fut enrichissant. On va aussi les sensibiliser au don de sang, au travail de Child Focus, à la conduite défensive et toutes sortes de choses importantes dans la société actuelle."
Au cours de langues: "Essentiel pour rêver de Premier League"
La cellule sociale profite du temps libre des jeunes pour donner des cours de langue. "Là aussi, c’est une collaboration avec l’ULB. Cela permet d’avoir des professeurs compétents. Les francophones apprennent l’anglais, les néerlandophones l’espagnol. Ils rêvent tous de la Liga ou de la Premier League et c’est essentiel de maîtriser la langue. Ils pourraient même se voir délivrer des certificats d’aptitudes en langue au bout du compte. Un garçon comme Leander Dendoncker a appris l’espagnol tout seul de son côté, mais c’est rare et c’est bien de pouvoir les encadrer."
Au cours de cuisine: "Attention, le Pizza Hut n’est pas loin…"
Courant novembre, les jeunes ont reçu des leçons de cuisine. "Il y avait cinq modules et ils les enchaînaient pour apprendre les bases. On leur apprenait par exemple à se préparer un petit-déjeuner sain et à savoir comment prendre un lunch utile. C’est Stéphanie Scheirlynck, une diététicienne réputée, qui s’occupe aussi de quelqu’un comme Greg Van Avermaet, qui donne les leçons. Plusieurs de nos jeunes vivent seuls; c’est important qu’ils comprennent les bienfaits d’une nourriture saine. Le Pizza Hut n’est pas loin de Neerpede. Tu peux vite prendre de la graisse…"
Au cours de médias: "Se confronter à son image face caméra"
Les joueurs vont aussi apprendre à maîtriser un monde médiatique en perpétuelle évolution ces dernières années. "On va d’abord leur apprendre à s’exprimer devant une caméra. Ils vont donc faire des exercices avec une vraie caméra pour ensuite se voir et analyser leur comportement. L’image qu’ils renvoient est importante. Ils verront ce qu’on peut penser d’eux. Mais cela ne se limite pas à l’exercice médiatique. On va leur apprendre tous les dangers potentiels des réseaux sociaux mais sans les diaboliser. On va par exemple leur apprendre à faire du montage de petits films qu’ils pourront diffuser sur leur réseau."