Des acteurs du Clasico de la honte se souviennent: "Ses premiers mots furent: ‘Je rejouerai au foot?’"
Voici comment Marcin Wasilewski a failli devoir arrêter sa carrière après un Clasico de triste mémoire, il y a exactement dix ans.
- Publié le 29-08-2019 à 07h54
- Mis à jour le 29-08-2019 à 12h14
Voici comment Marcin Wasilewski a failli devoir arrêter sa carrière après un Clasico de triste mémoire, il y a exactement dix ans. Ce vendredi, cela fera dix ans, déjà, que Marcin Wasilewski a failli devoir mettre un terme à sa carrière après un Clasico de triste mémoire… Comme l’a confié l’ancien défenseur polonais d’Anderlecht dans La DH, tout est finalement rentré dans l’ordre. Retour dix ans en arrière…
Prélude : Les tests-matchs.
Le 24 mai 2009, le Standard remporte son deuxième titre de suite à l’issue des tests-matchs (1-1 et 1-0, penalty de Witsel). Mais le match retour laisse un goût amer aux véritables amateurs de football. "J’ai pleuré dans ma voiture en rentrant", disait Jan Mulder. "J’avais assisté à une guerre, pas à un match de foot." Defour avait taclé Biglia, Bolat avait mis Boussoufa K.-O., et Wasilewski avait donné deux coups de coude en fin de match : à De Camargo et à Jovanovic.
"Les matchs entre Anderlecht et le Standard étaient des guerres", dira De Camargo plus tard. "Les joueurs étaient transfigurés, comme transportés dans un autre univers. Ils avaient du sang dans les yeux."
30 août 2009 : Anderlecht - Standard
18 h. Roger Vanden Stock invite la direction du Standard à un repas dans son bureau pour aplanir les différends qui existent entre les deux clubs. En plus des tests-matchs, il y a eu une tentative du Standard de transférer Jelle Van Damme. Luciano d’Onofrio ne se présente pas au Parc Astrid. Et les dirigeants rouches n’arrivent pas à l’heure. Les sujets chauds ne sont pas abordés. Roger VDS est déçu.
20 h 57. Une dizaine de minutes après la blessure de Jan Polak (ligaments croisés déchirés après un duel avec De Camargo), Defour pousse le ballon trop loin pour Witsel. Wasilewski s’élance pour dégager le ballon en glissant, Witsel écrase la jambe du Polonais avec sa semelle. Le drame s’est produit.
Les joueurs qui se trouvent dans les environs de Wasyl détournent vite le regard. L’image est atroce. Le tibia de Wasyl est plié en deux. Wasyl a une double fracture ouverte du tibia et du péroné.
Comme la scène s’est produite à quelques mètres du banc, le physiothérapeute Jochen De Coene est aussitôt aux côtés du Polonais, qui hurle de douleur. "Son regard me suppliait de faire quelque chose" , dira De Coene. "Comme un nouveau-né qui se sent tout désemparé."
L’arbitre du match, Efong Nzolo, est perdu. Pendant que le docteur Kristof Sas rejoint De Coene, il lance à Nzolo : "Sa jambe est cassée, hein !" Là-dessus, l’arbitre gabonais sort une carte rouge pour Witsel au lieu d’une jaune.
Sas, redevenu médecin d’Anderlecht depuis la saison passée, n’oubliera jamais ces premiers moments. "Sa jambe était dans une position non naturelle. Il n’y avait pas de doute : il s’agissait d’une fracture ouverte. Hélas, il a vu sa jambe. D’ailleurs, on voit la peur dans son regard sur les photos. Le plus important était de redresser la jambe et de l’immobiliser, afin d’éviter des dégâts aux nerfs et aux vaisseaux sanguins. Quand vous regardez les images, vous voyez que je tiens la partie inférieure de sa jambe, jusqu’au moment où l’attelle est fixée. On a enlevé sa chaussure, mais on lui a laissé les bas, pour ne pas faire de dégâts supplémentaires. Il perdait un peu de sang, mais pas trop."
Pendant toutes ces minutes, Ondrej Mazuch tient le bras de Wasyl. Les autres joueurs, eux, sont sous le choc des événements. Van Damme fait un sprint de l’autre côté du terrain pour venir aider son copain, Boussoufa se cache les yeux, Deschacht tente de calmer les esprits. Biglia et Zitka (qui avait eu une fracture au même endroit l’année d’avant), eux, pleurent.
Milan Jovanovic, le seul qui critiquera le tacle de son coéquipier Witsel, discute avec Proto et Juhasz. Il demande son remplacement à Laszlo Bölöni, qui le lui refuse. Benjamin Nicaise, lui, parvient à faire taire le kop du Standard qui, ignorant la gravité de la blessure, scande ironiquement le nom du Polonais.
"Jusqu’à ce jour, je suis convaincu qu’Axel n’avait pas l’intention de blesser Wasilewski", dit Mohammed Sarr. "Mais on savait que c’était grave. On voyait la jambe pliée et le sang qui passait à travers la chaussette. À ce moment, on n’espérait qu’une chose : qu’il pourrait encore jouer au football."
21 h 03. Après avoir été soigné sur le terrain pendant six minutes, Wasilewski quitte le terrain sur un brancard de la Croix-Rouge. Les minutes qui suivent restent à jamais gravées dans la mémoire du docteur Sas. "La première question qu’il m’a posée était : ‘Pourrai-je encore jouer au football ?’ Je lui ai dit que oui, mais qu’il faudrait du temps. Alors que je n’étais pas si sûr que cela. Je lui ai aussitôt mis un baxter avec des antidouleurs, une variante de la morphine. À la fois pour réduire son immense douleur physique, mais aussi pour atténuer le stress émotionnel par rapport à la suite de sa carrière."
21 h 21. Les joueurs rentrent au vestiaire (le score était de 1-1, buts de Mbokani et Gillet), ils ont hâte de venir réconforter leur coéquipier. Mais l’accès au cabinet médical leur est interdit par le staff. La scène est trop lugubre. Par contre, les hurlements de Wasyl paralysent le vestiaire. Roger Vanden Stock, lui, prend ses responsabilités et s’aventure dans le cabinet médical. Il est hystérique, les joueurs doivent le calmer. "La seconde mi-temps ne nous intéressait plus", lâchera Boussoufa. "On ne faisait que penser à notre ami."
L’impact psychologique sur les joueurs est énorme. Le docteur Sas dit : "Pendant des mois, ils en ont souffert. On leur a organisé des séances collectives et individuelles, soit avec nous, soit avec le coach Ariël Jacobs, pour les aider à gérer émotionnellement ce qu’ils ont vu et entendu. Ils ont mis du temps à s’en remettre."
21 h 30. Herman Van Holsbeeck avertit les proches de Wasilewski, dont Michel Thiry, son agent. "J’étais à la frontière tchèque, je rentrais de vacances", raconte Thiry. "Herman était la troisième personne qui m’appelait. ‘On l’a entendu crier jusqu’en dehors du stade’ , m’annonçait-il, en panique. Du coup, j’ai vieilli de dix ans."
21 h 45. Une ambulance transporte le Polonais à l’hôpital Parc Léopold à Bruxelles pour des radiographies. Puis, il est transporté à l’hôpital OLV Middelares à Deurne, où le docteur Van Melkebeek (qui était spectateur du match) l’opère une première fois. La plaie est désinfectée, la jambe est stabilisée. En tout, il devra subir six opérations.
22 h 20. L’arbitre Nzolo siffle la fin du match. Anderlecht et le Standard partagent la mise (1-1), mais tout le monde ne parle que d’une chose. Bölöni refuse de voir les images de la phase. "Je les regarderai chez moi", dit-il à la chaîne payante qui retransmet le match. "Et ce que je pourrais dire ne change rien à la réalité. Witsel ? Il pleurait comme un enfant quand nous sommes rentrés au vestiaire."
Les Anderlechtois sont scandalisés. "Une honte", s’exclame Van Damme. "J’ai vu des gens avec de mauvaises intentions", ajoute Van Damme. "J’espère que la sanction pour Witsel sera en proportion avec l’acte", disent-ils tous.
Witsel a le courage d’affronter les médias. "Je regrette la faute. Je m’en excuse. Mais ce n’était pas volontaire." Defour pointe même du doigt l’arbitre Nzolo. "Il y avait eu deux fautes sur moi avant cette phase. Si Nzolo les avait sifflées, il n’y aurait pas eu de jambe cassée, ni d’exclusion."
31 août 2009
Witsel et Defour reçoivent des menaces de mort. La police patrouille dans le quartier où ils habitent. Dégoûté, Ariël Jacobs envisage d’arrêter comme coach.
Wasyl, lui, souffre. Jelle Van Damme et José Garcia, le team-manager, sont les seuls Anderlechtois qui sont autorisés dans sa chambre. Son épouse est également présente. "Il a fort mal", déclare Garcia. "Il reçoit beaucoup de morphine. Il ne parle que de sa jambe. Non, il n’a rien dit de Witsel."
La Pologne, elle aussi, est sous le choc. Le Néerlandais Leo Beenhakker, coach fédéral, lance un message positif. "Wasilewski est mon Arnold Schwarzenegger, et Schwarzenegger revient toujours." Wasyl envoie un message à quelques journalistes polonais : "Ce qui ne tue pas vous rend plus fort." Son combat a continué.
Michel Thiry doit reporter sa visite d’un jour. "Je m’étais tellement fâché sur Stephane Pauwels au téléphone, qui avait traité Wasilewski de ‘bouche r’ et de ‘décou peur’ avant le match, que j’ai raté mon avion."
1er septembre 2009
Le Comité sportif suspend Witsel pour onze matchs belges et quatre en C1 et lui inflige une amende de 2500 euros.
Thiry passe toute la journée avec Wasyl. "Je l’ai vu souffrir du matin au soir, malgré la morphine. Le lendemain, il se ferait opérer. Le soir, il m’a dit : ‘Je ne veux pas te voir demain.’ C’était typiquement la pudeur de Wasyl. Il ne voulait pas qu’on voie sa souffrance. On voyait qu’il se sentait mal, il essayait de se bouger dans son lit, il était tout pâle. Je ne me souviens plus combien de kilos il a perdus en quelques jours : cinq, sept, dix ? En tout cas, c’était un mort-vivant. Mais jamais il ne m’a dit que ce serait la fin de sa carrière."
2 septembre 2009
Wasyl subit une nouvelle opération. Le Standard lance un communiqué officiel avec comme message : "Witsel n’est pas un assassin."
4 septembre
Le Comité d’appel réduit la peine de Witsel à huit journées et à 250 euros d’amende et l’autorise à jouer en C1.