Egan Bernal, itinéraire d'un prodige
- Publié le 29-07-2019 à 12h03
- Mis à jour le 29-07-2019 à 16h02
Vainqueur du Tour de France à 22 ans, le Colombien aurait pourtant pu ne jamais être au départ de la Grande Boucle. Entre les craintes d’un père protecteur et la difficile combinaison d’études en journalisme avec une carrière de vététiste prometteuse, le coureur de chez Ineos a su lever tous les obstacles. Il lâche son père à l’entraînement à 9 ans
Ancien bon coureur chez les amateurs, le père d’Egan Bernal, German, fut tout heureux de constater qu’il avait réussi à transmettre sa passion à son fils aîné lorsqu’il vit celui-ci monter pour la première fois sur un vélo à l’âge de 5 ans. L’enthousiasme du jeune garçon fit toutefois gamberger un paternel protecteur, désireux que son rejeton ne vive pas les mêmes désillusions que celles avec lesquelles il avait dû composer, lorsqu’il comprit qu’il ne ferait jamais de sa passion son métier. Ainsi, c’est contre l’avis de son père mais encouragé par sa maman, Florites, que le jeune Egan s’aligne sur sa première course à 8 ans. Une épreuve qu’il remporte mais qui ne fait pas fléchir la position de German.
“Lorsque nous allions rouler ensemble, il était très dur avec moi et me criait dessus lorsque je lâchais sa roue dans une montée”, a souvent raconté le Colombien. “J’étais pourtant encore un enfant. Je revenais alors à la maison en pleurant. Un jour, ma maman m’a fait comprendre que si je voulais gagner son respect, il fallait que je le batte. Dans une montée sur les hauteurs de notre ville de Zipaquira, je l’ai alors attaqué à mi-pente et il n’est jamais parvenu à ma hauteur. Il a alors compris ma détermination, à quel point j’aimais le vélo et je prenais la chose au sérieux. Il m’a depuis toujours soutenu dans ma carrière.”
À un point tel que les deux hommes vivent désormais ensemble à Andorre lorsque le vainqueur du Tour est en Europe.
Une montée référence de 22 kilomètres
Si sa ville natale de Zipaquira est perchée à 2 700 mètres d’altitude, Egan Bernal a l’habitude de s’entraîner un peu plus en altitude encore. Le coureur de chez Ineos aime ainsi se tester, depuis plusieurs années déjà, sur une montée de 22 kilomètres (à 7,5 % de moyenne) qui conduit au sommet de la montagne, à 3 600 m, et qui permet ensuite de basculer vers la prochaine ville, Pacho, là où est née sa maman et où a longtemps vécu José Gonzalo Rodriguez Gacha, l’un des plus célèbres trafiquants de drogue au cœur des années 80.
Depuis qu’il est professionnel, Bernal y est le plus souvent escorté par son père et un policier à moto afin de le protéger d’une circulation anarchique et des poids lourds qui défoncent l’asphalte à la force de leurs multiples ascensions. “Egan a toujours dit que s’il était un jour capable d’avaler l’ascension menant à Paco en moins d’une heure, il serait alors en mesure de remporter le Tour de France”, racontait sa maman, Florites, en juin au quotidien L’Équipe.
En février dernier, le coureur de la formation Ineos est passé sous cette barre symbolique en franchissant le sommet après cinquante-cinq minutes d’ascension. On connaît la suite…
Une prolongation hors norme de 5 ans
Recruté par le Team Sky en janvier 2018, après sa victoire sur le Tour de l’Avenir et des débuts pro en Europe dans les rangs de la formation pro continentale italienne Androni Giocattoli-Sidermec de Giannu Savio, Egan Bernal prouve très rapidement aux dirigeants de la formation britannique qu’ils ne se sont pas trompés dans leur recrutement et ont mis la main sur une authentique pépite. Sixième du classement final du Tour Down Under pour sa première épreuve sous le maillot noir/azur, il remporte dans la foulée la Colombia Oro y Paz devant un certain Nairo Quintana avant de se classer deuxième du Tour de Romandie et de remporter celui de Californie. Équipier de luxe de Thomas et Froome pour sa première Grande Boucle, il y fait très forte impression. Dave Brailsford, le manager de l’armada britannique, décide donc de faire une proposition totalement hors norme à Bernal : un contrat réévalué portant sur les… 5 (!) prochaines saisons (fin 2023). "Il s’agit effectivement d’un contrat exceptionnel, mais Egan est un talent exceptionnel", commente alors le boss de ce qui s’appelle encore le Team Sky. "Il s’agit d’un signal clair de la confiance que nous avons en lui pour les prochaines années. Il sera au cœur de notre projet pour les années à venir, l’âge n’est pas un problème. Nous voyons en lui notre prochain leader pour les grands tours."
Le Gallois ne pensait pas si bien dire…
Une compagne ancienne vététiste
Lorsque nous avions rencontré Gianni Savio, le manager de la formation Androni et le découvreur européen d’Egan Bernal, il nous avait soufflé que la plus grande richesse du Colombien, outre son exceptionnel talent, était sans doute sa compagne, Xiomara. “C’est la belle-fille dont toutes les mamans rêvent pour leur fils”, avait alors souri le truculent sexagénaire italien. “Elle est belle, posée, intelligente, aimante, dévouée et a les deux pieds solidement ancrés au sol. En plus de supporter Egan à 100 % dans sa carrière, elle ne l’attirera jamais vers un monde bling-bling comme certaines vamps dont s’acoquinent parfois certains coureurs (rires)…”
Ancienne vététiste de haut niveau, elle avait rencontré Bernal en équipe nationale de cross-country il y a cinq ans. Les deux amoureux ne se sont, depuis, jamais quittés. Si elle continuait de vivre jusqu’à maintenant en Colombie, Xiomara pourrait bientôt également accompagner Egan Bernal lors de ses séjours européens en Andorre.
Il voulait devenir journaliste
Après avoir conclu sans encombre des études secondaires à l’âge de 16 ans, Egan Bernal s’inscrit à l’Université de Bogota, à une trentaine de kilomètres de chez lui, où il commence des études en journalisme. Le jeune homme concilie alors difficilement ses obligations académiques et son programme d’entraînement. Pas encore totalement conscient de son incroyable talent, le Colombien juge trop risqué de tout miser sur le cyclisme et préfère se concentrer, en 2013, sur ses études… avant qu’un mécène ne l’invite à poser le choix inverse.
Pablo Mazuera, un homme d’affaires actif dans le secteur musical (la photo), propose un salaire à Bernal en plus de la prise en charge des billets d’avion lui permettant de participer à des compétitions internationales. Un an plus tard,
le coureur devient vice-champion du monde de cross-country chez les juniors en Norvège…