La prise de pouvoir de Bernal: "J’ai préféré attaquer pour ne pas avoir de regret"
À 22 ans, Egan Bernal s’apprête à devenir le premier Colombien vainqueur du Tour.
- Publié le 27-07-2019 à 10h02
- Mis à jour le 27-07-2019 à 12h16
À 22 ans, Egan Bernal s’apprête à devenir le premier Colombien vainqueur du Tour. Sur ce qu’il a montré ces deux derniers jours, Egan Bernal ne peut plus perdre le Tour, sauf énorme surprise ou erreur tactique ce samedi vers la station de Val Thorens où la 106e Grande Boucle devrait le couronner comme le premier vainqueur colombien.
Le jeune coureur d’Ineos est passé par tous les sentiments au cours d’une journée qu’il n’oubliera certainement jamais.
Revenu à Tignes sur la ligne d’arrivée qu’il rêvait de franchir en vainqueur, Bernal découvrit sa fiancée Xiomara, qu’il étreignit longuement, puis son père avec lequel il eut une accolade très émouvante.
À 22 ans, l’enfant de Zipaquira est occupé à écrire l’histoire. Il ne lui reste plus qu’un écueil, certes de taille, ce samedi, pour devenir le lendemain le premier coureur de son pays à enlever le Tour de France. Une performance que l’on avait prédite à Lucho Herrera, il y a plus de trente ans, puis pas très loin de laquelle Nairo Quintana et Rigoberto Uran sont passés ces dernières années sans pouvoir y parvenir. S’il s’impose dimanche aux Champs-Élysées, Egan Bernal peut s’attendre ensuite à un retour exceptionnel dans son pays où il deviendra pour toujours un héros national.
"Je n’ai pas compris ce qui se passait", finit-il par raconter. "J’avais attaqué et je m’étais lancé à toute allure dans la descente quand on m’a dit d’arrêter. J’étais concentré, j’allais très vite. J’entendais qu’on parlait beaucoup à la radio, mais c’était en anglais, je ne faisais pas trop attention à ce qu’on disait. Je ne comprenais pas, je ne voulais pas stopper. J’ai d’abord dit non, mais on a insisté en disant que l’étape était neutralisée. Je ne voulais pas, puis j’ai prêté un peu plus attention à ce qu’on me disait à l’oreillette. Finalement, on m’a expliqué en espagnol, j’ai bien sûr compris que c’était la bonne décision, mais sur le moment, cela semblait bizarre. Ensuite, j’ai appris que j’étais maillot jaune quand je suis monté dans la voiture. Mais je ne l’ai cru qu’en recevant le maillot. C’était incroyable, je ne réalise toujours pas bien, c’est un rêve."
Même pendant l’interview, le vainqueur de Paris-Nice et du Tour de Suisse ne pouvait que difficilement cacher son émotion.
"Demain (ce samedi), il y a encore une étape très dure", poursuivit Egan Bernal. "Nous ne sommes pas encore à Paris, mais quand on m’a donné le maillot et le lion (NdlR : la peluche que reçoivent tous les porteurs du maillot jaune), j’ai eu envie de pleurer. Demain, je vais essayer de faire de mon mieux, je sais que c’est encore une grosse étape, qu’on n’a pas encore gagné le Tour, mais je n’arrive pas à y croire. Je n’aurais jamais imaginé me retrouver dans cette situation à 22 ans."
À la peine dans les Pyrénées, l’équipe Ineos a donc complètement renversé la vapeur lors des deux premières étapes alpines. L’ancienne formation Sky possède le maillot jaune et est en position très favorable pour que, pour la septième fois en huit éditions, un de ses coureurs s’impose à Paris, après les succès de Bradley Wiggins (2012), Chris Froome (2013, 2015, 2016 et 2017) et Geraint Thomas (2018). "Je vais défendre le maillot demain", disait encore le Colombien, sans même savoir que le parcours de l’étape serait écourté dans la soirée. "Nous sommes dans une très bonne position. Je pense que l’équipe est forte pour pouvoir contrôler, mais on ne sait jamais. Quand on est leader et qu’il n’y a qu’une seule étape de montagne devant soi, la logique me dit qu’il faut défendre."
Bernal a attaqué de loin, alors que souvent ces dernières années, tout se joue sur la dernière montée. "Je pouvais courir sur la défensive et attendre la montée à Tignes (NdlR : il ne savait évidemment pas qu’elle serait annulée), j’aurais sans doute conservé ma place sur le podium, mais j’aurais fini le Tour avec des regrets et des interrogations. En attaquant, je risquais de tout perdre, mais je ne voulais avoir aucun remords. Je me suis dit : ‘J’ai 22 ans, si ça ne marche pas, j’aurai encore beaucoup d’occasions dans le futur.’ Finalement, tout a été arrêté, voilà le résultat. J’espère d’abord gagner le Tour mais je veux profiter de la course, j’adore le cyclisme et la course, ce sentiment d’adrénaline, de compétition, d’incertitude. Je ne veux pas penser au futur."
L’an passé , dans la Rosière, Geraint Thomas avait anticipé et piégé en quelque sorte Chris Froome qui fut ensuite pieds et poings lié avec son équipier en jaune. Ce vendredi, le Gallois a mis le premier le feu aux poudres et s’il s’était alors envolé, Bernal aurait été aussi coincé.
"Je savais qu’il allait attaquer, car il se sentait très bien, on en avait parlé le matin, avec l’équipe", termina Egan Bernal. "Nous voulions attaquer Alaphilippe et ne pas lui laisser le temps de récupérer. Si je me sentais bien, je pouvais aller avec ‘G’ moi aussi. Maintenant, s’il veut attaquer ce samedi, il peut bien sûr le faire, mais ça serait de la folie. Je respecterai sa décision, on est tous libres, mais je pense que l’équipe devra faire attention. Il est sur le podium. Je pense qu’une attaque de sa part n’aurait pas trop de sens."