Eddy Merckx, source d'inspiration de Bernard Hinault : "Adolescent, je consommais du Merckx dès que je pouvais"
Pour le Français, quintuple vainqueur du Tour lui aussi, Merckx aura constitué une véritable source d’inspiration.
- Publié le 25-06-2019 à 07h00
- Mis à jour le 25-06-2019 à 07h03
Pour le Français, quintuple vainqueur du Tour lui aussi, Merckx aura constitué une véritable source d’inspiration. Fin octobre dernier, sur la scène du Palais des Congrès de Paris, qu’ils partageaient entre anciens quintuples vainqueurs du Tour de France avec Miguel Indurain lors de la présentation du tracé de la Grande Boucle 2019, leur complicité est apparue comme une évidence. Un temps gêné d’être le personnage central d’un événement tenu devant plusieurs milliers de spectateurs, Eddy Merckx s’est immédiatement détendu lorsque Bernard Hinault le rejoignit sur l’estrade. Quelques mots du Français glissés à l’oreille du Bruxellois suffirent alors pour illuminer son visage d’un sourire franc. "Avec Eddy, la bonne humeur est toujours au rendez-vous" , souffle le Breton dans un clin d’œil.
Bernard Hinault, vous aviez 14 ans lorsque Eddy Merckx a remporté son premier Tour de France, en 1969. Qu’évoquait alors pour vous le champion belge ?
"Même si je pratiquais déjà le vélo, je n’étais pas encore véritablement coureur puisque je n’avais pas de licence à cette époque et ne participais pas encore à des compétitions. Eddy était cependant déjà mon idole, l’un de mes deux modèles avec Jacques Anquetil. Il m’a donné envie de faire comme lui. J’ai essayé, mais je n’ai accompli qu’une partie du chemin puisque je n’ai pas gagné autant (rires)... Quand on regarde le palmarès d’Eddy, on ne peut que rêver quand on est jeune."
Comment suiviez-vous ses exploits lorsque vous étiez adolescent ?
"De toutes les manières qui s’offraient à moi... Presse, radio ou télévision : je consommais du Merckx dès que je pouvais (rires). Je me souviens aussi avoir assisté à l’arrivée de la deuxième étape du Tour 1972, sur le vélodrome de Saint-Brieuc. J’avais couru une épreuve d’attente plus tôt dans la journée avant d’assister au final des professionnels. J’étais un peu déçu car il n’avait pas remporté l’étape et s’était vu souffler le maillot jaune par Cyrille Guimard ce jour-là, mais j’avais approché le mythe à 15 ou 20 mètres. J’ai encore les images bien en tête..."
Votre éclosion au plus haut niveau a coïncidé avec les toutes dernières années de la carrière d’Eddy Merckx. Vous n’avez ainsi jamais disputé le Tour de France ensemble ?
"Non, c’est vrai. Mais le Critérium du Dauphiné libéré 1977 a tout de même constitué un moment commun très fort, du moins à mes yeux (rires). Cette année-là, j’avais été victime d’une chute dans le col de Porte à la suite d’une erreur de trajectoire qui m’avait envoyé 7 ou 8 mètres plus bas que la chaussée... J’avais pu remonter sur mon vélo et boucler l’étape, mais le lendemain mes adversaires ne m’ont pas épargné. Je souffrais des séquelles de ma cabriole mais serrais les dents, encouragé par un certain... Eddy Merckx. Quand le maître, le Dieu, vous dit de vous accrocher et de ne pas lâcher sa roue, cela impressionne ! C’est Eddy qui m’a permis de remporter le classement général cette année-là pour 9 petites secondes sur Bernard Thévenet. Même si j’avais déjà enlevé de beaux succès avant cela, cette victoire a été très importante dans ma carrière car elle m’a fait comprendre que j’étais capable d’accomplir de belles choses en haute montagne."
Le Belge avait vu clair cette année-là puisqu’il vous avait désigné comme son successeur...
"Oui, et cela a été un immense honneur. À pas encore tout à fait 23 ans, voir votre idole et un quintuple vainqueur du Tour de France vous désigner comme tel, cela fait forcément quelque chose. Mais il fallait ensuite assurer derrière (rires)..."
Vous souvenez-vous de la toute première course que vous avez disputée à ses côtés ?
"Je crois qu’il doit s’agir de Paris-Nice 1975. Je me retrouvais alors dans le même peloton que celui qui, précisément, m’avait donné envie de disputer des épreuves comme celles-là. Mon maître..."
Qu’est-ce qui vous inspirait autant chez le Bruxellois ?
"Absolument tout ! Il s’agit du meilleur coureur qui ait jamais existé. Eddy était capable de tout gagner, et ce de toutes les manières. Cela en dit assez long, non (rires) ? Que peut-on faire de mieux ? Il est encore aujourd’hui l’incarnation même du champion cycliste, de la gagne. Sa soif de victoires et son panache ont autant construit sa légende que son talent pur."
Vous partagez avec Eddy Merckx, Jacques Anquetil et Miguel Indurain le record de victoires sur le Tour de France avec vos cinq succès. Cela signifie-t-il que vous êtes nécessairement, d’une manière ou d’une autre, des champions du même bois ?
"D’une certaine façon, oui. Il y a cet amour de la gagne qui doit nécessairement vous animer. Comme Eddy, j’ai su m’imposer sur des terrains très différents lors de ma carrière en remportant des classiques comme Paris-Roubaix ou Liège-Bastogne-Liège en plus de dix grands tours (NdlR : 5 Tours, 3 Giros et 2 Vueltas). La victoire constituait notre plaisir."
Est-ce pour démontrer votre polyvalence et vous rapprocher du palmarès du Cannibale que vous vous êtes attaqué à Paris-Roubaix en 1981, une épreuve que vous aviez qualifiée de connerie ?
"Non, pas vraiment. À cette époque-là, lorsque vous apparteniez à une certaine caste de coureurs, on vous obligeait à vous aligner sur certaines courses. Ce n’était pas comme maintenant... Cette année-là, j’étais champion du monde en titre et souhaitais également honorer le maillot arc-en-ciel. Un peu comme Eddy l’avait fait autrefois."
Où vous situez-vous dans l’histoire du cyclisme par rapport à Eddy Merckx ?
"Eddy est incontestablement au-dessus de moi puisque son palmarès recense bien plus de victoires que le mien (NdlR : 216 contre 525). Compter plus de 500 victoires pros, c’est absolument phénoménal et cela restera inégalé. Même sa moisson sur les grands tours m’apparaît très difficilement reproductible."
Vous avez rapidement entretenu une forme de complicité avec Eddy. Peut-on parler d’amitié ?
"Sur le Dauphiné 1977, que j’évoquais en amont, un truc spécial s’est passé entre nous. Cela marque, un lien s’est créé autour d’une forme d’admiration réciproque. Souvent, les grands champions nourrissent du respect pour les accomplissements de leurs semblables. Cette course nous a rapprochés. Nous ne sommes pas chaque jour l’un chez l’autre, mais chaque fois que nous nous revoyons c’est avec grand plaisir. Je suis invité par ASO pour le Grand Départ bruxellois mais je serais venu même sans cela. C’est une manière de lui rendre hommage."
Que vous inspire précisément ce coup d’envoi du Tour depuis notre capitale, cinquante ans après la première victoire de Merckx sur la Grande Boucle ?
"Il s’agit-là d’un hommage totalement légitime. L’année du centenaire du maillot jaune, on ne pouvait trouver plus belle personnification de cette tenue mythique qu’Eddy. Souvent, ce genre de geste est posé après la disparition de la personne à qui on souhaite rendre hommage. C’est dommage… En juillet, Eddy va pouvoir se rendre compte de ce qu’il représente pour beaucoup de gens (rires). Même si je suis persuadé qu’il n’a pas besoin de cela, lui qui aime tant la discrétion et est demeuré d’une exceptionnelle humilité…"
À côté du champion et du cycliste, quel personnage avez-vous précisément découvert au fil des années ?
"Un homme humble et discret qui n’apprécie rien de plus que les petits bonheurs simples du quotidien. Eddy a aussi énormément de passion et d’amour pour sa famille et ceux qui l’entourent. Il est empli des meilleures valeurs, c’est vraiment ce qu’on appelle très simplement quelqu’un de bien."