Sonny Colbrelli, vainqueur de Paris-Roubaix en 2021 : “Parfois, je passe la main sur mon défibrillateur et je me rappelle que je suis encore là”
Victime d’un arrêt cardiaque un peu plus de cinq mois après sa victoire dans l’Enfer du Nord, l’Italien vivra la Reine des Classiques dans la voiture de l’équipe Bahrain-Victorious ce dimanche.
- Publié le 05-04-2024 à 14h17
Les deux images tracent un étrange parallèle au milieu desquelles semble se tendre le fil de la vie. Le 3 octobre 2021, Sonny Colbrelli gît au milieu de la pelouse du vélodrome de Roubaix, le visage maculé d’une boue collante qui s’est invitée tout au long d’une édition dantesque d’une Reine des Classiques reprogrammée à l’automne en raison de la pandémie de coronavirus. Un peu plus de cinq mois plus tard, le 21 mars 2022, l’Italien de chez Bahrain-Victorious s’écroule derrière la ligne d’arrivée de la 1re étape du Tour de Catalogne, à Sant Feliu de Guixols, au bout d’un long sprint face à Michael Matthews.
”Il n’était pas prévu que je me mêle au sprint ce jour-là car j’avais souffert d’une bronchite en amont de cette épreuve espagnole, a plusieurs fois raconté l’Italien. Mais comme je me sentais bien et que le final me convenait, j’ai voulu tenter ma chance. Je me souviens avoir pris une bouteille d’eau dans les mains de mon soigneur à l’arrivée puis c’est le trou noir…”
Un instant aux allures d’éternité durant lequel Colbrelli, victime d’un arrêt cardiaque, est heureusement pris en charge très rapidement par les services de secours. “Personne ne souhaite évidemment clore sa carrière de cette manière, nous souffle celui qui fêtera ses 34 ans dans un peu plus d’un mois. J’ai eu des moments sombres et certaines difficultés à accepter cette fin brutale. Mais aujourd’hui, je préfère voir la bouteille à moitié pleine que celle à moitié vide comme on dit… J’ai encore le bonheur de pouvoir étreindre mes enfants et prendre soin des gens que j’aime. Je goûte désormais à la vie avec un peu plus de gourmandise (rires)… J’ai pris 12 kilos par rapport à mon poids de forme, mais mon défibrillateur pèse à lui seul près de 900 grammes.” Une certaine théorie de la relativité qui gouverne la nouvelle vie du Cobra.
Son défibrillateur : “L’option de me faire retirer le dispositif n’était pas raisonnable”
”Cela fait maintenant plus de deux ans que je vis avec mon défibrillateur et je peux dire que j’ai appris à composer avec. De temps en temps, il m’arrive de passer la main sur la poitrine pour le sentir et me rappeler que je suis encore là. Je me revois alors allongé sur mon lit d’hôpital avec les médecins qui viennent m’annoncer la nécessité de l’implantation de ce dispositif. Certains anciens coureurs vivent parfois avec des broches ou des vis dans leur corps après leur carrière mais, personnellement, ce défibrillateur est le seul truc que j’ai 'en' moi. Si je fais l’impasse sur le fait que ce dispositif m’empêche d’être coureur cycliste professionnel, je mène pour le reste une existence tout à fait normale. Après mon opération, j’ai pas mal échangé avec le footballeur danois Christian Eriksen (NdlR : lui aussi victime d’un malaise cardiaque qui a nécessité la pose d’un défibrillateur mais toujours actif à Manchester United aujourd’hui). J’aurais aimé faire comme lui et continuer à vivre de mon sport, mais la législation italienne ne le permet pas. L’option de me faire retirer le système existait, mais je ne la considérais pas comme raisonnable. J’ai très vite pris contact avec votre compatriote Nathan Van Hooydonck lorsque j’ai eu vent de son accident au volant consécutif à un problème cardiaque. Comme moi, je crois qu’il a eu de la chance de bien s’en sortir… J’ai tenté de lui faire passer le message que la vie ne s’arrête pas au cyclisme et qu’il y a des choses bien plus importantes dans l’existence.”
Ses souvenirs de sa victoire à Roubaix : “Je peine à me reconnaître sur les photos…”
”L’année de mon succès en 2021, cela faisait un bon moment que les conditions n’avaient plus été aussi dantesques dans le Nord. C’est un petit peu comme si nous avions hérité de la boue des dix éditions précédentes (rires)… Il m’arrive encore parfois de replonger le nez dans les photos de cette journée et je m’amuse alors à tenter d’identifier les coureurs un à un. Je vous invite à vous essayer à l’exercice, ce n’est vraiment pas évident ! Je peine même parfois à me reconnaître moi-même sur certaines images tant nous étions absolument méconnaissables. Quand on me demande si Paris-Roubaix constitue ma plus belle victoire, j’offre toujours la même réponse : la plus belle victoire de ma vie, ce sont mes deux enfants (sourire)… Mais je comprends le sens de la question et oui, en termes de palmarès, la Reine des Classiques est assurément la plus belle course que j’ai remportée. Les images de son déroulement sont d’ailleurs encore très nettes dans mon esprit, je pourrais vous en rebobiner le fil kilomètre par kilomètre ou presque. La traversée d’Arenberg, l’attaque de Florian Vermeersch dans le finale et ce sprint à trois sur le vélodrome avec van der Poel et le Belge… Ce sont des instantanés que je garderai toujours en moi.”
Comment il vivra Paris-Roubaix dimanche : “Je serai dans la seconde voiture en course”
”Dans la foulée de l’arrêt brutal de ma carrière, l’équipe a toujours pris soin de moi et m’a même créé une place dans sa structure puisque je suis officiellement son ambassadeur. Cela signifie que je suis, par exemple, en contacts privilégiés avec certains sponsors. En parallèle à cette activité, je poursuis le cursus qui doit me mener à l’obtention du diplôme requis pour l’UCI afin d’endosser le rôle de directeur sportif. C’est un job qui me plairait vraiment beaucoup, j’en suis convaincu. Ce dimanche, sur Paris-Roubaix, je prendrai place dans la seconde voiture de l’équipe évoluant à l’échelon course, aux côtés de Vladimir Miholjevic, notre performance manager. C’est un vrai privilège de déjà pouvoir goûter aussi souvent au terrain, car c’est un petit peu comme si j’étais en stage immersif. Je tente aussi de faire bénéficier autant que possible nos jeunes coureurs de mon expérience et mon vécu. On sait à quel point ces deux paramètres sont essentiels sur l’Enfer du Nord. Je tente de les aiguiller par exemple sur certains choix de matériel, sur la posture à adopter en machine dans les différents secteurs, sur la bonne fréquence à utiliser. J’ai toujours aimé le sens de la transmission que véhicule le cyclisme.”
Evenepoel a évolué positivement sur le plan de son caractère et de son sens tactique.
Sa victoire sur Evenepoel à l’Euro de Trento : “J’ai davantage battu Remco avec ma tête qu’avec mes jambes”
”L’édition 2021 des championnats d’Europe était particulière pour moi puisque disputée en Italie, à Trento. Réussir à y devancer Evenepoel au bout du sprint à deux qui a décidé du titre continental représentait donc quelque chose de fort à mes yeux d’autant que la course avait été extrêmement usante, assurément l’une des plus difficiles qu’il m’a été donné de disputer dans ma carrière. Dans chaque bosse, je devais serrer les dents pour parvenir à tenir la roue de Remco. C’était vraiment souffrir, souffrir, souffrir… Ce jour-là, je pense avoir battu votre compatriote davantage avec ma tête qu’avec mes jambes. Je continue évidemment de suivre de près ses prestations et j’ai le sentiment qu’il a beaucoup grandi ses trois dernières saisons. Son caractère comme son sens tactique me semblent avoir évolué dans le bon sens. C’est vraiment un grand champion ! Il suffit pour sen convaincre de regarder ce qu’il a déjà accompli, ce qu’il fait et ce qu’il va réussir dans le futur…”
Son engagement en politique : “Je ne le referai plus…”
”En février 2023, je me suis engagé sur les listes de Forza Italia (NdlR : le parti de l’ancien président du Conseil Silvio Berlusconi) dans la perspective des élections régionales en Lombardie. La proposition m’avait été faite par un sénateur de ma région de Brescia. Je me suis investi dans le projet mais n’ai pas été élu. Ce n’est pas une expérience que je réitérerai car j’avais débuté cette aventure avec une idée fixe : m’occuper de l’importance du sport dans notre société, notamment auprès des plus jeunes. Or, j’ai pu constater que la meilleure manière d’avoir une emprise sur cette thématique était de demeurer moi-même directement impliqué dans le sport. C’est bien plus efficace !”