Jeux paralympiques | La maman d'Eléonor Sana se confie: “elle a suvi 30 anesthésies générales en moins de trois ans”
Patricia, la maman d’Eléonor Sana, retrace le combat de sa fille frappée par un cancer de la rétine à six semaines…
- Publié le 09-03-2018 à 21h06
- Mis à jour le 09-03-2018 à 21h07
Patricia, la maman d’Eléonor Sana, retrace le combat de sa fille frappée par un cancer de la rétine à six semaines…
C’est dans le train qui la menait de Bruxelles à Amsterdam, avant de poursuivre son voyage vers Pyeongchang, que Patricia Kerres, la maman d’Eléonor Sana, a revécu pour nous l’histoire de sa fille malvoyante qui, à l’âge de 20 ans, participe à ses premiers Jeux paralympiques avec sa sœur Chloé comme guide.
“Eléonor est née avec un rétinoblastome bilatéral génétique. C’est la manifestation d’une maladie assez rare qui est le cancer de la rétine. En fonction de la maturité des organes, la maladie peut s’attaquer à un organe, puis à un autre. Mais la première manifestation de la maladie se produit au niveau de la rétine, puis elle peut attaquer le cerveau.”
Voilà pour le côté technique. Mais, au niveau de la vie de tous les jours, c’est dès les premières semaines de la vie d’Eléonor que Patricia a perçu un problème de santé chez sa fille.
“Comme Eléonor était mon quatrième enfant, je pouvais comparer avec son frère et ses sœurs. Vers ses six semaines, j’ai remarqué qu’Eléonor ne s’ouvrait pas au monde. Elle se mettait à hurler au contact de la lumière. Comme j’allaitais ma fille, une nuit, je suis allée avec elle dans la salle de bain. J’ai éteint les lampes et j’ai réalisé un test visuel avec un briquet et des allumettes. Eléonor ne réagissait pas aux stimuli. Dès le lendemain, je me suis rendue chez le pédiatre car je pensais que ma fille était aveugle. Après à peine deux secondes d’auscultation, le pédiatre a dit qu’on devait se rendre à l’hôpital. Nous sommes donc partis à Saint-Luc, à Bruxelles, avec Eléonor et sa sœur, Chloé qui avait 21 mois.”
Une fois arrivés à l’hôpital universitaire, les mauvaises nouvelles allaient s’enchaîner.
“On a d’abord rencontré un assistant qui ne parlait pas bien le français et la discussion était difficile vu mon état émotionnel. Puis on a rencontré le médecin en chef. On nous a dit : ‘Votre fille ne voit pas mais elle aura une belle vie. Pour la suite du traitement, vous irez dans un service où les enfants sont aussi soignés contre la leucémie.’ ”
Pendant deux jours, Patricia et son ex-mari, Pascal Sana, vont chercher des explications par rapport à la maladie de leur fille. Avant de recevoir, une nouvelle fois, une claque en plein visage.
“Je ne vais jamais oublier cette date , poursuit Patricia très émue en reparlant de ces événements. Le 11 septembre 1997, Eléonor avait 2 mois et 11 jours et nous sommes partis à l’hôpital de jour. Là on m’a dit : ‘Madame, on commence la chimiothérapie dans une semaine, votre fille souffre d’un cancer de la rétine.’ Sur le moment, mon monde s’est arrêté de tourner, je suis tombée dans un trou sans fin. Je pensais que mon bébé ne vivrait pas. Mais elle s’est battue comme une tigresse.”
Et Eléonor a passé des épreuves difficilement imaginables pour ceux qui ne l’ont jamais vécu.
“En moins de trois ans, elle a été mise sous anesthésie générale 30 fois pour 30 interventions diverses. Elle a subi des traitements au rayon laser, des chimiothérapies et des cryothérapies. Ses yeux ont été sauvés. Quand Eléonor est sortie de l’isolement elle pouvait voir 50 centimètres devant elle. On a alors commencé les séances de psychomotricité pour qu’elle appréhende le monde 50 centimètres par 50 centimètres. Comme le dit ma fille, elle voit à travers un paquet de céréales vide.”
Assez, avec sa force de caractère pour l’emmener aux Jeux paralympiques…
“Elle tombait de la poutre en gymnastique”
C’est complètement par hasard, il y a quatre ans, qu’Eléonor a commencé le ski de haut niveau…
Comme un signe du destin, le ski, dans un format vacances en famille, apporta déjà quelques belles sensations à la petite famille.
“Eléonor a appris à skier entre les jambes de son papa, raconte tout en souriant Patricia. Quand elle a grandi, on lui disait de suivre son papa qui portait une veste rouge bien voyante. Mais parfois elle se trompait et ne suivait pas la bonne personne et on la perdait au croisement de deux pistes.”
Tombée dans une famille de sportifs, Eléonor a tout naturellement suivi le rythme.
“Elle a pratiqué la danse, la gymnastique, l’escalade et l’athlétisme. En gymnastique, elle possédait un bon niveau au sol, aux barres et au saut, mais à la poutre, elle tombait et donc perdait des points lors des compétitions. Elle a alors compris qu’il lui serait difficile dans un sport pour les personnes valides d’être bien classée. On a donc cherché un handisport. En gymnastique et escalade il n’y avait rien. L’athlétisme et la natation n’intéressaient pas ma fille. Puis j’ai contacté le comité paralympique qui nous a proposé le ski. On a trouvé cela assez fou.”
Ni plus, ni moins que la suite des événements finalement.
“Nous avons été invités en septembre 2014 à une journée de détection à Landgraaf aux Pays-Bas. Nous y sommes partis en famille. Eléonor, âgée de 16 ans, pour montrer ses capacités et les autres enfants pour s’amuser. À un moment, Stéfan Sazio, le coach actuel des filles, a proposé à Chloé de servir de guide à sa sœur, pour jouer disait-il. À la fin de la journée, il proposait à Eléonor de venir suivre un stage à Tignes à la Toussaint et à Chloé de les accompagner pour prendre le rôle de guide.”
La folle aventure commençait pour les sœurs de glisse.
“À leur retour de Tignes, elles ont participé à leur première compétition avec des tenues premier prix de chez Décathlon. Elles y ont décroché un podium. Quatre mois plus tard mes filles participaient aux Championnats du Monde au Canada. Cela n’a pas été une réussite. Chloé est tombée et, à cause ou grâce à cela, elle a attrapé le virus de la compétition. En 2016, Eléonor et Chloé ont skié 60 jours, c’est passé à 90 en 2017…”
“Elles gagnent des boîtes à meuh”
Si vivre d’un sport d’hiver est presque impossible pour un sportif valide en Belgique, cela l’est encore moins pour des athlètes qui pratiquent un handisport. “Financièrement, la Ligue Handisport prend en charge certains frais mais ce n’est pas facile car cette structure doit gérer 30 disciplines avec les subsides d’une Ligue, explique la maman des sœurs Sana. Et le ski coûte cher, surtout quand on doit tout faire fois deux. Progressivement, on a pu compter sur l’aide de mécènes touchés par notre histoire. Jonathan Libert, notre contact à la Ligue Handisport, se démène beaucoup pour nous trouver des budgets. L’an dernier, on a aussi organisé un souper pour récolter de l’argent. Mais on ne peut pas tout faire. On a, par exemple, renoncé à une compétition aux USA car cela revenait trop cher. Il fallait 12.000 euros. Et ce n’est pas avec les prize-money des compétitions que nous allons renflouer les caisses. Les filles y gagnent, comme dirait Eléonor, des boîtes à meuh.”
“Pas facile pour Chloé au début”
Si, sur les pistes et en dehors, Eléonor et sa sœur Chloé forment un duo de choc, cela n’a pas toujours été le cas… “Au départ, Eléonor et Chloé n’étaient pas proches, explique la maman. Et c’était un peu logique. Chloé a vite perdu son statut de cadette en même temps qu’une perte d’attention suite à la maladie de sa petite sœur. C’était difficile à accepter pour elle. Le ski a permis à mes deux filles de se rapprocher.” Mais leur association sportive pourrait prendre fin en même temps que les Jeux. “Chloé, qui est en 2e année pour devenir institutrice, arrêtera normalement la compétition après PyeongChang. On verra ce qu’Eléonor fera. Si elle est prête à poursuivre avec un autre guide. Une personne en qui elle aurait confiance. Leur coach ne voudra pas recommencer à zéro comme il y a quatre ans avec les deux filles. Il faudrait une guide déjà expérimentée.”