La DH en Bosnie, sur le traces de Vranjes: "Même quand il se bat, il sourit"
Guerre des Balkans, conflit avec les fans, pauvreté et fortes amitiés : plongée au cœur du passé d’Ognjen Vranjes avec ses meilleurs amis à Banja Luka.
- Publié le 01-12-2018 à 07h48
- Mis à jour le 01-12-2018 à 08h24
Guerre des Balkans, conflit avec les fans, pauvreté et fortes amitiés : plongée au cœur du passé d’Ognjen Vranjes avec ses meilleurs amis à Banja Luka. Partout où il passe, Ognjen Vranjes fait des vagues. Proche des fans puis détesté, adoré de ses coachs puis mis sur le côté, le tracé de Vranjes est aussi sinueux que les méandres de sa ville natale : Banja Luka.
Dans la grisaille de la capitale de la république serbe de Bosnie, nous avons été fouiller le passé du défenseur d’Anderlecht pour tenter d’expliquer sa situation actuelle. Une nouvelle épreuve. Loin d’être la première.
Volte-Face
"Il dit toujours ce qu’il pense. Si quelque chose l’ennuie, il le fera savoir. Vous trouvez qu’il a un côté froid. C’est avec le monde extérieur qu’il est comme ça" , sourit Dejan Kostic, un des meilleurs amis de Vranjes, qui nous précise qu’à Banja Luka, on l’appelle Dela et que tous les Ognjen sont surnommés Ogi. "Ogi, il faut le connaître et c’est à ce moment-là qu’il a vraiment confiance. C’est un gars très ouvert mais qui a l’air fermé. Il a deux visages. Un positif pour nous et un pour vous. C’est une sorte de barrière qu’il met pour se défendre. Il faut juste la franchir."
Peu avant notre départ vers la Bosnie, Dela nous avait confortés dans l’idée qu’il était le meilleur guide pour une plongée dans le passé de Vranjes. "Ogi et moi avons grandi ensemble et fait les 400 coups" , plaisante-t-il sur Whatsapp. "Quand vous arrivez, je vous montre tout ce que vous voulez voir."
Bagarre, drague et copains
Le rendez-vous est pris à l’arrache dans un restaurant italien à deux pas du stade Gradski de Borac, l’équipe locale qui truste la tête de la D2 bosnienne. "My friend, I see you" , lance Dela au téléphone alors qu’il vient de commander un plat qu’il transforme en bouillie.
Entre chaque bouchée, le molosse bodybuildé, chaîne en or autour du cou, fait l’éloge de son meilleur pote. Kostic, Vranjes et Ognjen Dubocanin, l’autre meilleur ami du joueur, forment un trio aussi redoutable que redouté dans les rues de la capitale de la république serbe de Bosnie.
"Disons que l’école n’était pas notre truc" , se marre Dela. "On préférait traîner en rue avec les copains. Jouer au foot, déconner, se bagarrer et draguer les filles. C’était ça notre quotidien."
Tous les jours, ils délaissaient leur quartier natal de Starcevica pour le centre d’une ville en pleine reconstruction et aussi marquée par son influence yougoslave que par les balafres d’un tremblement de terre qui a tout détruit sur son passage en 1969. "Il n’y a pas meilleur endroit pour vivre que Starcevica" , affirme Dela.
Le quartier natal de Vranjes est légèrement à l’écart du centre, à une vingtaine de minutes de promenade, au pied d’une colline qui surplombe la ville. Les locaux y vivent en communauté. "Tout le monde se connaît" , nous glisse-t-on alors que nous passons devant les immeubles de petite taille, une spécificité du quartier, où vit encore le père de Vranjes.
40 jours sans électricité
"Ici, on joue au football dans la rue. Deux cailloux et on a des buts."
Dela sourit quand on lui demande si le quartier est dangereux. "Ce n’est pas les favelas, mon ami. C’est même tout le contraire. Nous avons eu une belle enfance. Pauvre, mais belle."
Vranjes a connu la guerre. Durant les premières années de sa vie, il a vu son pays déchiré. Il a même dû vivre caché durant certaines périodes. Banja Luka n’a été que peu touchée par le conflit qui a explosé dans les Balkans au début des années 90. La ville a tout même un record de plus de 40 jours de rang sans électricité.
Il touche ses premiers ballons au quartier. La guerre dérègle un peu le système sportif et il ne peut s’affilier au club de Borac qu’à 7 ans. Boulimique, il ne s’arrête pas à ses entraînements chez les Bleu et Rouge.
Maracana et pognon
"On passait pas mal de temps au Maracana" , dit Dela.
Le nom est trompeur car il s’agit juste d’un terrain en gazon ( "et en boue" , précise-t-il) qui jouxtait l’école de Starcevica. L’agrandissement de l’établissement est en cours et le Maracana en a payé le prix : il est désormais bétonné et squatté par des véhicules de construction.
L’évocation de ce terrain fait sourire Dejan Kostic. "On s’est beaucoup bagarré là."
Les deux hommes y forgent leur caractère et leurs idées. Deux choses qui les rapprochent. "C’est un battant mais qui profite du moment, qui se rend compte des petites choses de la vie. Ogi, c’est un gars qui sourit tout le temps. Même quand on se battait, il souriait."
Élevé par une mère au foyer et un père footballeur de niveau national, Vranjes n’a pas connu la joie du luxe. Et heureusement, si on écoute ses amis. "S’il n’avait pas été footballeur, il aurait quand même fini par être footballeur. Ogi est un battant et voulait devenir riche. D’autant plus parce qu’il est né pauvre et qu’il sait que l’argent ne viendra qu’en bossant. Je ne pense pas qu’il aurait fait tous ces efforts s’il avait vécu dans une famille de classe moyenne."
L’argent, la célébrité, la passion. Toutes ces choses boostent le gamin quand il porte le maillot de Borac. Il saute les catégories et atteint l’équipe première. "On croyait en lui, on savait que c’était possible mais on avait quand même des doutes" , sourit Dela, qui précise que Vranjes n’était tout simplement pas un talent pur.
Des cookies et du Coca pour fêter le contrat
Pas footeux, Kostic ne manque toutefois pas le premier match de son pote. Et encore moins la célébration qui a suivi. "Son premier chèque du club, il l’a dépensé avec nous. On a acheté du Coca-Cola, du chocolat et des cookies."
Des plaisirs simples pour une bande qui a toujours considéré Vranjes comme un mec sérieux quand il fallait être sur le terrain. Chaque jour, il s’astreignait à deux entraînements avec Borac avant une séance supplémentaire de son côté.
"Nous étions adolescents et tout ce qui nous intéressait, c’était de sortir. Ogi était avec nous en boîte mais à minuit, il était parti pour ne pas être dans le dur le lendemain. On disait toujours de lui qu’il était très responsable."
Vranjes change toutefois au fil des matchs. La notoriété lui est montée à la tête et ses proches ne le reconnaissent plus. Son départ pour l’Étoile rouge Belgrade est un moment clé. "Il a changé mais est redevenu lui-même depuis quelque temps."
Dela et lui entrent même en conflit au point de ne plus se parler durant de longues années.
Jalousie et conflit avec les Vautours
À Banja Luka, sa réputation se ternit. Les locaux jalousent sa réussite. Un trait typiquement bosnien. "Ceux qui disent qu’ils l’adorent ne disent pas spécialement la vérité" , nous prévient-on.
Les habitants de Banja Luka lui reprochent d’être devenu riche "et de ne pas avoir partagé" , soupire Dela. "C’était le premier argument car ils voulaient tous leur part du butin. Puis, il y a l’équipe nationale…"
À Banja Luka, on est plus Serbe que Bosnien. "Quand les deux pays s’affrontent, on est pour la Serbie" , lance notre guide.
Le passé rejaillit au quotidien dans la république serbe de Bosnie. Sur les murs, les tags ne trompent pas : ici, on est supporter de Borac ( "Borac est notre cœur" ) et de la Serbie.
"Les habitants de Banja Luka lui ont reproché de jouer pour l’équipe nationale" , dit Dejan Lukendic, directeur sportif du club de Borac et ancien équipier de Vranjes. "Et quand il s’est fait tatouer la carte de la République serbe de Bosnie, c’est le reste du pays qui a dit qu’il était indigne de l’équipe nationale. Tout le monde veut devenir footballeur alors quand un mec de la rue parvient à s’en sortir, il est jalousé. Selon moi, la logique s’arrête à la frontière bosnienne."
Selon des sources venues de Bosnie, il s’est également fait tatouer le visage de Momcilo Dujic, un commandant responsable du massacre de nombreux Bosniaques et Croates. Ses amis le défendent. "Il s’agit en fait d’un prêtre orthodoxe qui a défendu les Serbes lors des massacres" , dit Ognjen Dubocanin. "Il est considéré comme le protecteur de la croix orthodoxe. Il faut arrêter de mélanger, croyances, politique, nationalités et football."
Bref, personne n’est content. Sauf Vranjes qui poursuit son petit bonhomme de chemin. Un trajet qui aurait pu tourner court lorsqu’il est pris à parti par les Vautours il y a deux ou trois ans de cela. Les ultras de Borac, omniprésents en ville et dont le symbole est extrêmement respecté, l’insultent lorsqu’il revient s’entraîner avec son premier club. Vranjes riposte et le tout dégénère.
"Nous ne nous parlions plus mais il a fait appel à moi" , dit Dejan Kostic. "J’ai réglé le souci et tout est rentré dans l’ordre avec les Vautours. Nous sommes redevenues amis Ogi et moi. Il a toujours son caractère et son côté têtu mais c’est mon frère."
Malgré l’argent, son père est veilleur de nuit
Chez les Vranjes, le football coule dans le sang.
Stojan (32 ans), son frère, évolue actuellement à Sarajevo après être passé par le Legia Varsovie, Cluj et, bien entendu, Borac. "Ils étaient inséparables" , se souvient Damir Memisevic, T2 de Borac. "Ognjen et lui jouaient dans la même catégorie car il était toujours surclassé. On savait que les frères allaient réussir. Leur style est toutefois incomparable. Stojan est gaucher, plus offensif et plus joueur." Ce talent, ils le tiennent de leur père, autrefois joueur à Borac. Zeljko n’était pas, pour ainsi dire, une idole pour ses fils. "Il a toutefois joué un rôle crucial dans leur équilibre" , dit Dejan Kostic, ami d’enfance d’Ognjen Vranjes. "C’est un homme simple aux valeurs traditionnelles. Il s’est toujours contenté de peu alors qu’Ognjen en veut toujours plus. Pour illustrer à quel point Zeljko est resté simple : il vit toujours dans la même maison et est veilleur de nuit au stade. Il veut continuer à gagner son argent, être indépendant sans devoir vivre aux crochets de ses fils."