Bertrand Crasson: "Anderlecht doit investir dans des joueurs du top européen"
À 47 ans, l’ex-international mauve Bertrand Crasson est de retour en Belgique après six ans en Thaïlande. Interview sans œillère.
- Publié le 27-10-2018 à 07h18
- Mis à jour le 27-10-2018 à 10h29
À 47 ans, l’ex-international mauve Bertrand Crasson est de retour en Belgique après six ans en Thaïlande. Interview sans œillère. Les années passent. Les rides, le cheveu toujours coupé ras mais grisonnant en attestent. Le muscle encore seyant, Bertrand Crasson n’a finalement pas tellement changé. Après six années comme coach, assistant et/ou directeur sportif en Thaïlande, l’ex-Anderlechtois est de retour en Belgique. Pour décrocher sa licence UEFA A, pour se (re)faire un réseau, pour rester au pays ou en simple transit.
Rendez-vous dans un grand centre commercial aux portes de Bruxelles. Les grandes baies vitrées du tea room chez Paul ne laissent plus passer les rayons de soleil d’un été indien que l’on aurait aimé éternel. La grisaille a repris le dessus. Depuis trois mois, il a (momentanément) tourné la parenthèse asiatique. Il garde un œil toujours affûté et souvent un brin cynique sur le foot belge, Anderlecht son club de cœur, les Diables Rouges. Comme dans le tube de Julio Iglesias, il n’a pas vraiment changé, Bertrand. Et il parle.
Bertrand, vous êtes devenu très rare en Belgique ces dernières années. Marre de notre pays ?
"À un moment donné, j’avais envie de changer d’air, de voir autre chose. Après avoir été consultant durant six ans pour Proximus (NdlR : il faisait les interviews en bord de terrain) , j’avais le sentiment d’avoir fait le tour de la Belgique. J’ai eu l’occasion pendant six ans d’apprendre le métier de coach en Thaïlande. Au BEC Tero d’abord où j’ai eu l’occasion de m’occuper de la formation des jeunes, dont la moitié évolue aujourd’hui en équipe nationale, mais aussi d’être l’adjoint de Sven-Goran Eriksson, un coach du top mondial, avant de coacher une équipe première en D2. L’expérience humaine a été exceptionnelle, le foot en Asie explose littéralement, le niveau de jeu est de bonne qualité et les infrastructures sont au top."
Aujourd’hui, vous êtes de retour en Belgique afin de passer votre licence A comme entraîneur, n’avez-vous jamais eu le mal du pays?
"Au début, franchement non. Sauf la famille évidemment (NdlR : il a 3 enfants : Barbara qui bosse dans un cabinet d’architecte, Sacha qui finit ses études aux Beaux-Arts et Sienna qui vit avec sa mère à Pukhet) . Je ne ressentais pas le besoin de maintenir des contacts. À l’exception d’Alin Stoica, de Pär Zetterberg ou d’Olivier Doll, le fil s’est distendu. C’est décevant mais c’est la vie."
Quand vous êtes parti de l’autre côté de la terre, Anderlecht, votre club de cœur, appartenait à la famille Vanden Stock, aujourd’hui c’est l’homme d’affaires Marc Coucke. Cela doit vous faire bizarre.
"Tout change. Les bruits circulaient depuis un certain temps que plusieurs repreneurs potentiels se pressaient au portillon. Cela prouve que le club reste attractif. Quoi qu’il arrive, quel que soit le propriétaire, un club appartient à ses supporters. Coucke, c’est un gros changement, il reçoit un lourd héritage. Tout ce qui compte, c’est l’équipe. Si elle est bonne, le reste suit naturellement. Malheureusement, quand je vois qu’Anderlecht éprouve des difficultés à s’imposer en championnat de Belgique, je pense que le renouveau et le retour au premier plan prendront plus de temps que prévu. Coucke est de la trempe de Duchatelet. Il sait où peut être le profit mais cela passe par une bonne équipe."
Si je comprends bien, vous n’êtes pas fan du Sporting actuel.
(soupirs) "Il y a deux ou trois jeunes joueurs qui me plaisent bien comme Bakkali, Amuzu ou Saelemaekers mais il sont jeunes. Mais Anderlecht doit impérativement investir dans de vrais joueurs du top européen. Ce n’est pas assez fort pour battre Bruges et Genk par exemple. Ils ont transféré beaucoup de joueurs moyens. Contre Zagreb, j’ai eu l’impression de voir des juniors contre des hommes. Physiquement, ce n’est pas assez costaud. Jeudi, contre le Fener, même phénomène. Certes, les jeunes doivent encore prendre du coffre mais, globalement, l’équipe perd physiquement pied en deuxième mi-temps."
Et l’entraîneur ?
"Je juge le coach, pas la personne. Je ne suis pas partisan de la défense à trois. À Genk jadis, il a déjà connu des problèmes. Je pense qu’il a des difficultés avec la pression. Il ne peut pas en tant que coach d’Anderlecht être négatif avec ses joueurs, il doit les soutenir. Sur le bord du terrain, il souffle tout le temps. Si tu donnes à tes joueurs, ils vont te le rendre."
Il a quand même été champion avec Gand.
"Champion ? Ben non. Il a commencé les playoffs à la 4e place avant de décrocher le titre via ce système. Quand tu es 4e après 30 matches, tu n’es pas champion à mes yeux."
Vous parlez d’acquérir des joueurs du top européen, est-ce le même topo pour le coach ?
"Exactement. Le club a alloué des montants importants pour des joueurs moyens. Pourquoi ne pas tenter un grand entraîneur bien payé. Il ne faut jamais dire qu’un entraineur de renom ne voudra pas venir. Il faut oser. J’ai côtoyé Eriksson qui a un CV comme une armoire, ça c’est le top. Il faut ce calibre-là car il va attirer des joueurs du top. Si vous avez un coach qui possède un réseau de 3e zone, vous aurez une équipe de 3e zone."
"Prêt pour coacher en D1 ou à l’étranger"
Bertand (re)vit à Bruxelles depuis plusieurs mois mais ses valises sont prêtes. La Belgique est une option mais des pistes mènent à l’étranger. "Je dispose de la licence B mais je souhaite acquérir la A qui m’ouvrira des portes en Asie ou aux Émirats. Malheureusement, depuis trois mois, impossible d’organiser ces cours accélérés qui durent un mois par manque de candidats. Ces cours ne sont ouverts qu’aux anciens ou actuels internationaux mais seuls Stoica et moi sommes disponibles. En Espagne ou au Portugal (où Conceicão, après avoir tenté la Belgique, a choisi de passer son diplôme), on arrive à le faire. Ici, cela semble compliqué."
Durant sa carrière, il en a croisé des coaches. Du top jusqu’à l’arnaque. Aujourd’hui, il est indulgent. "Il y a du bon dans tous les coaches que j’ai eus. Presque. Certains étaient très forts sur le plan tactique mais nul en people management. Et ils n’ont jamais eu et n’auront jamais de résultats. D’autres n’étaient pas des foudres de guerre dans l’organisation mais fonctionnaient comme de bons pères de famille en conservant l’ambiance dans le groupe."
Un club de D1 belge va-t-il penser à Bertrand Crasson comme T1 ? "Pas forcément. Il faut un CV, avoir fait ses preuves. J’ai de l’expérience avec mes six ans en Thaïlande où j’ai touché à tout. Je suis intimement convaincu que je peux réussir en D1 belge. Maintenant, ce n’est plus une question de compétences mais de relations. Je travaille sans agent. En Belgique ou en Asie, les problèmes d’une équipe, d’un groupe sont les mêmes à gérer." L’ancien défenseur se définit-il comme coach défensif ou offensif ? "Je rappelle quand même le principe de base : il faut des résultats. Si tu as un bon gardien et une bonne défense, tu es plutôt bien parti. Mais une défense, cela se travaille ensemble. Quand je vois de grands clubs, je remarque que cet aspect organisationnel de la défense n’est pas souvent au centre des préoccupations du coach. Je regarde beaucoup de matches et l’équipe où le projet de jeu est le plus clair, c’est l’Atletico Madrid. Ça, c’est du beau boulot."