Philippe Brunel a consacré un livre à Eddy Merckx: "C’est un éblouissement"
Journaliste au quotidien L’Équipe depuis plus de 40 ans, Philippe Brunel a construit une relation privilégiée avec le Bruxellois.
- Publié le 26-06-2019 à 15h08
Journaliste au quotidien L’Équipe depuis plus de 40 ans, Philippe Brunel a construit une relation privilégiée avec le Bruxellois. Merckx intime. Le titre de l’ouvrage qu’il lui a consacré (en 2002 aux éditions Calmann-Levy) laisse deviner la relation privilégiée qu’entretient Philippe Brunel avec le plus grand coureur belge de l’histoire. Journaliste à L’Équipe depuis 1977, il se souvient encore de sa première rencontre avec le Bruxellois.
"Tout juste entré au quotidien sportif, on m’avait envoyé le rencontrer chez lui, à Meise, pour une interview relative à ses ennuis avec le fisc et une mauvaise opération immobilière réalisée juste après avoir mis un terme à sa carrière. Le contexte était déplaisant tant pour lui que pour moi, mais cela n’a heureusement pas trop entamé la construction de rapports que nous entretenons désormais depuis plus de quarante ans…"
C’est que le plumitif français rencontrait alors celui qui "rendit indélébiles les souvenirs des étés" de son enfance et de son adolescence. "Ma passion du cyclisme est née avec Jacques Anquetil, poursuit Brunel. Mais plus par la fascination qu’exerçait sur moi la complexité de son personnage que la grandeur du champion qu’il était. Je suis donc devenu ensuite un Anquetilien converti au Merckxisme (rires). En 1969, déboule en effet ce Belge que j’avais déjà repéré plusieurs années plus tôt. Cela peut paraître étrange de dire cela aujourd’hui, mais je lisais déjà les journaux à l’âge de 7 ou 8 ans et j’avais compris avec son titre mondial chez les amateurs à Sallanches en 1964 qu’un phénomène était en approche… Il a en effet très vite rempli tout l’espace et installé une forme de chronique de la saison cycliste autour de sa personne puisqu’il en était l’acteur principal d’un bout à l’autre."
Une hégémonie pas toujours bien accueillie dans l’Hexagone. "La France sortait de ses années fastes et du duel Anquetil - Poulidor. Une opposition poujadiste et familière entre deux personnages qui parlaient aux Français, deux êtres opposés en qui ils se retrouvaient et s’identifiaient. Alors, quand arrive Merckx, la transition est brutale, une forme de nostalgie s’installe chez un public quelque peu décontenancé par ce champion qui intimide. Eddy ne parle alors pas beaucoup, il n’a d’ailleurs jamais véritablement été un homme de langage et dit souvent que ses actes parlent pour lui (rires). Son mutisme interpelle à une époque où naissent les premiers directs télévisés. Il devient une forme de bête médiatique par contrainte. Mais en même temps, il est photogénique, plus beau que les autres sur son vélo… Merckx est magnétique et a une dimension rock ‘n’roll. Il a quelque chose d’Elvis en lui avec ses larges favoris. En course, il bouge les épaules comme Presley se déhanche sur scène. J’ai encore à l’esprit des images de sa fuite légendaire vers Mourenx en 1969. Cela relevait de l’éblouissement et c’est ce qu’Eddy est avant tout pour moi. Tout semble alors parfaitement en place. Merckx est seul au milieu de la route, le ciel de juillet est bleu, le maillot jaune est un peu plus éclatant et à l’avant de la course, ses rivaux sont à la peine : les choses semblent limpides et plus évidentes que dans la vie. Il y a là quelque chose qui touche au religieux… Merckx se réalise dans son chef-d’œuvre, et son chef-d’œuvre, c’est lui."
Des mots forts que le journaliste et écrivain choisit avec grand soin. "Eddy a donné les clés de ce que devait être un champion cycliste, qui asservit ses rivaux, ne transige avec rien, ne spécule pas sur la victoire. Il a rendu les choses simples. Il y avait une forme de gratuité chez lui qui tranche avec la discipline plus calculée qu’est parfois devenu le cyclisme aujourd’hui. Où est le courage quand il ne s’accompagne pas d’une prise de risque, d’une mise en danger ? Or quand Merckx attaquait, il ne savait pas toujours où cela le porterait."
S’il sera bien présent à Bruxelles la semaine prochaine pour couvrir le Grand Départ du Tour 2019, Philippe Brunel tangue entre deux sentiments au moment de juger l’hommage qui sera rendu à celui qui est devenu son ami.
"Si cela ne tenait que moi, on pourrait saluer la carrière d’Eddy chaque année et même chaque semaine, sourit-il. Mais c’est précisément là que tient le problème. J’ai le sentiment que ce type de manifestations fait le plus souvent davantage plaisir au public qu’à Eddy lui-même. La grandeur du champion et le phénomène qu’il est l’encombrent. Il a d’ailleurs souvent dit ne pas considérer avoir accompli de choses tellement exceptionnelles et que des dizaines de médecins ou chercheurs abattaient un boulot bien plus essentiel. Il a perdu une forme de clandestinité dont tout le monde a un peu besoin. Cela ne doit pas tous les jours être simple d’être Eddy Merckx vous savez… (rires) Mais il est d’une telle bonté qu’il ne sait pas dire non. Je pense d’ailleurs qu’il s’agit là du trait qui définit le mieux sa personnalité. Eddy est bon. Dans tous les sens que ce mot peut recouvrir."