Rik Verbrugghe à la rencontre des lecteurs de la DH: "Evenepoel, c’est une incroyable maturité avec une touche de naïveté"
Le sélectionneur national a rencontré jeudi les gagnants de notre concours transformés en journalistes le temps d’un entretien.
- Publié le 15-11-2019 à 06h57
Le sélectionneur national a rencontré jeudi les gagnants de notre concours transformés en journalistes le temps d’un entretien. "Ce n’est quand même pas commun à toutes les disciplines qu’un sélectionneur national vous propose et vous serve un café avant de prendre le temps de converser durant près d’une heure…"
Dans un sourire, Guillaume Delnatte s’amuse de l’opportunité que lui a offerte jeudi La DH-Les Sports +. En compagnie de deux autres fidèles de la rubrique cyclisme de nos médias, sélectionnés par le biais de notre page Facebook, le Mouscronnois s’est attablé avec Rik Vebrugghe dans son splendide magasin Veloloft de Nazareth pour un entretien à bâtons rompus. Un moment lors duquel les lecteurs ont, cette fois, endossé la casquette de journaliste pour poser toutes leurs questions.
Comment se présente pour vous, sélectionneur national, la prochaine saison 2020 ?
"Il s’agira forcément d’une année spéciale puisqu’elle sera olympique et donc marquée par un grand objectif de plus dans le calendrier. Au sein de la fédération, on parle des JO depuis plus d’un an déjà. Le prestige de ce rendez-vous n’a cessé de grandir ces dernières années dans les yeux des coureurs pros. Les sponsors ont, à mon sens, compris que les retombées d’un titre olympique sont considérables puisqu’elles durent quatre ans et les équipes sont donc plus enclines à intégrer cette épreuve dans la réflexion globale qui prévaut lors de l’élaboration d’un programme. Pour être très concret, je suis pleinement plongé dans ces discussions puisque je suis allé rendre visite à Wout Van Aert chez Lieven Maesschalck afin d’évoquer le sujet avec lui. Je voulais savoir où il en était dans sa revalidation, discuter avec Lieven des perspectives réalistes et également évoquer le sujet des Jeux. Je l’ai senti extrêmement motivé par la perspective de Tokyo 2020, tant pour l’épreuve en ligne que pour le chrono puisque les cinq coureurs que j’emmènerai au Japon constitueront mon noyau pour les deux épreuves (NdlR : les chronomen devront ainsi s’aligner sur la course en ligne) . Je vois Victor Campenaerts la semaine prochaine pour évoquer le même sujet. Il s’agit de deux coureurs capables de décrocher une médaille dans le contre-la-montre, mais le recordman de l’heure n’a pas la même approche que Van Aert. Il souhaite se concentrer prioritairement sur l’effort en solitaire. Evenepoel partage en revanche la même optique que le coureur de chez Jumbo-Visma. Il faudra donc faire des arbitrages…"
Un test event a lieu l’année dernière à Tokyo. Qu’en avez-vous appris ?
"J’ai pu mesurer à quel point les conditions météorologiques peuvent être changeantes. On annonçait un climat tropical, chaud et humide, qui n’était finalement pas de mise le jour de la course, mais bien une semaine plus tard. La programmation de ce rendez-vous est également particulière puisque la course en ligne aura lieu une semaine après l’arrivée du Tour de France sur les Champs-Élysées. La récupération entre ces deux événements sera essentielle et il conviendra donc de mettre les choses au clair avec les équipes. Certains coureurs devront ‘gérer’ leur Grande Boucle dans la perspective de Tokyo et ne pas se livrer à fond chaque jour."
Comment cela se discute-t-il ?
"En décembre et janvier, je vais prendre mon bâton de pèlerin pour aller rencontrer les coureurs et les équipes lors des différents stages hivernaux organisés pour l’essentiel en Espagne. Une concertation entre les différents acteurs est essentielle. Je souhaite que tout soit balisé autant que faire se peut. On a, par exemple, déjà étudié les horaires des vols Paris-Tokyo. Les coureurs belges qui participeront à la Grande Boucle et enchaîneront avec les Jeux prendront un vol le lundi matin en direction du Japon."
Sera-ce le cas de Remco Evenepoel ?
"Non, car il ne sera pas au départ du Tour de France. On envisage dès lors de lui offrir une approche optimale pour un rendez-vous qui constituera l’un de ses grands objectifs de l’année. Il pourrait ainsi arriver au Japon une bonne dizaine de jours avant la course en ligne afin de digérer les six heures de décalage horaire avec la Belgique mais aussi de s’acclimater plus confortablement aux conditions météorologiques."
Il s’agit d’un authentique phénomène. Qu’est-ce qui vous surprend le plus chez lui ?
"Ses qualités sont tellement flagrantes et évidentes que je ne peux pas dire qu’elles me surprennent. On remarque très vite qu’il s’agit d’un talent incroyable disposant d’un plus gros moteur que la majorité du peloton comme on dit dans le jargon cycliste. Sa maturité est en revanche saisissante. Lorsque je dialogue avec lui, j’ai parfois le sentiment de converser avec un gars de 30 ans qui a déjà dix ans de professionnalisme derrière lui. Il a un plan de carrière très clair. Mais une forme de naïveté liée à ses 19 ans et au fait qu’il découvre le peloton pro vient parfois pimenter le tout. C’est assez amusant (rires)…"
“Enlever l’oreillette, c’est enfermer l’entraîneur dans son vestiaire”
Le débat technologique a animé une bonne partie de la rencontre.
Formateur dans l’âme, Rik Verbrugghe connaît également les exigences du plus haut niveau. Une double position qui en fait un interlocuteur particulièrement éclairant au moment d’évoquer une thématique qui s’invite dans chaque débat : le maintien ou la suppression de l’oreillette en course.
“Même si elle est récurrente, la question me passionne toujours autant (rires). Chez les jeunes, mon sentiment est partagé. Il est important de permettre à un jeune de développer sa science de la course en apprenant à en lire le déroulement seul. Mais d’un autre côté, si un formateur disposant de suffisamment d’expérience est capable de mettre le doigt sur ses erreurs dans l’action, il retiendra assurément mieux la leçon que si le débriefing a lieu une demi-heure après l’arrivée…”
L’avis du sélectionneur national est, en revanche, bien plus tranché pour ce qui est du maintien ou non de cet outil chez les pros.
“Retirer l’oreillette sur une grande course, c’est un peu comme si vous enfermiez un entraîneur de foot dans son vestiaire durant un match et qu’il devait se contenter d’une mise en place tactique en amont. Sur certaines courses, il est relativement aisé de demander à un coureur de redescendre à la voiture pour communiquer avec lui, mais lors du dernier Mondial disputé dans le Yorkshire, c’était en revanche impossible. À l’arrivée, certains coureurs belges ne savaient même pas que Philippe Gilbert avait été victime d’une chute… Cela dit tout ! Pour qu’un gars puisse prendre les bonnes décisions en course, il faut qu’il soit en possession de toutes les informations. Ce qui n’est pas toujours le cas. En enlevant l’oreillette, on avantage à mon sens les petits coureurs ou les petites équipes qui profitent alors d’une certaine forme de confusion. Il ne s’agit pas ici de science de la course.”
“Teuns est capable de faire un podium sur un grand tour”
“Je connais particulièrement bien Dylan pour l’avoir dirigé dès les espoirs, au sein de l’équipe de développement de BMC. J’ai rapidement détecté qu’il disposait d’une capacité de récupération intéressante et qu’il avait de belles choses à accomplir sur les courses par étapes. J’étais son directeur sportif chez Bahrain lors de la saison écoulée et je savais que ses victoires sur le Dauphiné et le Tour lui serviraient de déclic. Elles vont également l’aider à avoir davantage confiance en ses capacités pour la suite de sa carrière. J’avais dit qu’il était capable d’aller chercher un top 10 sur la Vuelta et il n’en était pas loin (12e) . Mais il peut viser plus haut pour la suite. Il est capable de faire un podium sur un grand tour.” “Les courses sont plus belles car le leadership n’est plus unique”
“J’entends beaucoup dire que la saison 2019 a été particulièrement belle et les courses spectaculaires. Cela est bien évidemment dû au tempérament offensif de certains acteurs comme Alaphilippe ou Van der Poel, pour n’en citer que deux, mais je pousserais tout de même l’analyse plus loin. Cela s’explique aussi par la fin des leaderships uniques dans les grandes équipes, une tendance de fond depuis quelques saisons. Chez Deceuninck-Quick Step, par exemple, quatre à cinq coureurs sont capables de lever les bras au moment de prendre le départ du Tour des Flandres et seize coureurs différents ont gagné au moins une course. Cela ouvre alors considérablement les choses sur le plan tactique.” “Le parcours des Jeux convient aux qualités d’Evenepoel”
“Quel devrait être mon bilan en 2020 pour que je puisse qualifier cette saison de réussie ? La question est à la fois simple et compliquée. En tant que coach national, seules les médailles sur les grands rendez-vous sont importantes mais il convient toujours de remettre les choses dans leur contexte. Les sélections pour les Jeux et le Mondial seront moins difficiles à établir que celle que j’ai dû arrêter pour le Yorkshire où une quinzaine de coureurs pouvaient prétendre à une place dans l’équipe belge, mais cela ne veut pas dire que nous y aurons moins d’ambitions. Le tracé de la course en ligne comme du chrono des Jeux convient très bien aux qualités d’Evenepoel par exemple…”