Les chances de Remco sur le Ronde et de Pogacar à Roubaix, la suite de la saison de van Aert et un conseil à De Lie : Tom Boonen se livre sans filtre
L’homme aux sept monuments a dressé avec nous le bilan du printemps des classiques.
- Publié le 26-04-2024 à 06h39
Les traits toujours aussi acérés que le couteau qu’il empoigne au moment de se mettre à table, Tom Boonen sourit lorsqu’on lui souffle qu’il ne s’est pas épaissi depuis sa retraite sportive en 2017. “Un peu tout de même et heureusement, rigole le Campinois. J’ai le sentiment d’avoir eu faim pendant toute ma carrière…” Ambassadeur de la marque de nourriture saine Foodmaker qui lançait ce jeudi une nouvelle gamme pro, l’Anversois a pris le temps de dresser avec nous son bilan des classiques. Et bien plus…
Tom, ce printemps a été marqué par les démonstrations de Pogacar sur les Strade Bianche et Liège-Bastogne-Liège ainsi que les tours de force de van der Poel sur le Ronde et Paris-Roubaix. Vous a-t-il, comme beaucoup, frustré en termes de suspense ?
”Je comprends que ce sentiment existe chez le grand public. Quand on est connaisseur du cyclisme ou ex-coureur comme moi, on ne voit forcément pas les choses sous le même œil. Personnellement, je suis vraiment très impressionné par les trucs totalement fous qu’on réussit ces deux coureurs. Cette semaine, dans une émission de la télévision flamande, on m’a demandé quel avait été à mes yeux le plus beau démarrage de cette campagne des classiques. J’ai été totalement incapable de répondre tant Tadej et Mathieu m’ont donné le sentiment de plier les courses au moment où ils l’avaient décidé, sans nécessairement placer de 'bombes' (rires)… La facilité avec laquelle le Slovène est, par exemple parti en solo à 80 kilomètres de l’arrivée des Strade Bianche, cela me laisse admiratif. Il augmente le rythme crescendo sans placer d’attaque tranchante mais son avantage grimpe ensuite très rapidement. Quand on sait ce que cela nécessite comme prestation physique, c’est dingue et on ne peut que tirer un grand coup de chapeau. Mais c’est vrai qu’en termes de suspense pour la finale des courses, on a connu mieux. Personne ne s’installe devant sa télé pour voir un coureur faire un solo de deux heures (rires)…”
Personne ne s'installe devant sa télé pour voir un solo de deux heures...
Considérez-vous que cela peut constituer une forme de danger pour la discipline ? Ces phénomènes sont tellement forts que, quand ils ne trouvent pas un adversaire de leur rang sur leur route, on a parfois le sentiment de pouvoir écrire le scénario à l’avance…
”Il ne faut pas oublier que ce printemps nous a privés de plusieurs grandes confrontations. Si van Aert ne tombe pas sur A Travers la Flandre et que Remco est au départ de la Doyenne comme cela devait être le cas théoriquement, vous ne m’auriez probablement pas posé cette question. Je vais donc renverser l’approche en vous lançant que si on pouvait avoir un jour van der Poel, Pogacar, Remco, Wout et Vingegaard au départ d’une même course, cela pourrait nous offrir un spectacle somptueux !”
Patrick Lefevere nous a confié en début de semaine qu’il envisageait d’aligner Evenepoel sur Milan-Sanremo et au Tour des Flandres l’année prochaine. Pensez-vous, comme lui, qu’il y a du “flandrien” chez le Brabançon ?
”J’avais, en tout cas, déjà dit il y a deux ans que cela vaudrait le coup d’essayer (rires)… Remco a déjà réalisé des choses fantastiques sur des courses d’un jour à plusieurs reprises et s’il se donne un an ou deux pour prendre un peu d’expérience sur ce terrain, pourquoi ne serait-il pas en mesure de jouer la gagne sur le Ronde ? Il est capable de jouer la victoire sur tous les types de parcours.”
Tadej Pogacar a, de son côté, laissé comprendre qu’il s’essaierait dans un futur proche à Paris-Roubaix. Le pensez-vous en mesure de remporter le monument que l’on dit souvent le plus difficilement à sa portée ?
”Oui, j’en suis convaincu. Le matériel moderne que les coureurs utilisent change une bonne partie des données de l’équation. Les vélos offrent davantage de confort, les pneus de 32 millimètres de large apportent davantage d’aisance dans la maîtrise du pilotage. À mon époque, quand on roulait avec des boyaux de 23 mm, on avait besoin d’un certain gabarit et de poids afin de bien négocier les secteurs pavés, mais aujourd’hui c’est ce que les gars ont dans les jambes qui est devenu le seul paramètre déterminant. Pogacar n’a peut-être pas une grande expérience des pavés mais il a une vraie maîtrise tactique. On n’en parle pas souvent, mais Paris-Roubaix c’est aussi une course sur laquelle le vent joue un rôle prépondérant. Je crois même que Pogui est capable de gagner dans l’Enfer du Nord dès son coup d’essai…”
Les Jeux, c'est peut être une opportunité unique pour van Aert.
Comment imaginez-vous la suite de la saison de Wout van Aert ? Doit-il impérativement faire le Tour de France ou lui conseilleriez-vous de s’en tenir à son plan de base et de se focaliser sur sa préparation des Jeux olympiques ?
”Au risque de paraître un peu cliché dans ma réponse, les Jeux ne se déroulent que tous les quatre ans. Je n’ai participé qu’une seule fois à cet événement planétaire (NdlR : en 2012 à Londres, 28e) et c’est clairement un petit regret même si la nature des autres parcours n’était pas faite pour moi. À Paris, Wout a une réelle opportunité de remporter une médaille dans le chrono comme dans la course en ligne et je crois qu’il doit la saisir à pleines mains. C’est une occasion qui ne se représentera peut être plus jamais… Sur la Grande Boucle, l’Anversois a déjà gagné neuf étapes, le maillot vert et a été un pion essentiel dans le succès final de son équipier Vingegaard. Il pourra y retourner la saison prochaine.”
Quelle est votre révélation de ce printemps des classiques ?
”Laurence Pithie, le Néo-Zélandais de chez Groupama-FDJ. Il n’a que 21 ans mais ne m’a pas l’air d’avoir peur de grand-chose (rires)… Il attaque et se bat toujours même quand il plie. Si j’étais manager d’une équipe, c’est vraiment un gars que je voudrais dans mon noyau. Les jeunes de chez Lotto Dstny comme Van Gils et Van Eetvelt ont également réussi de très belles choses.”
De Lie doit rester calme, il a la bonne mentalité et le temps pour lui.
Le début de saison a en revanche été plus compliqué pour Arnaud De Lie…
”Oui, mais il ne doit pas paniquer et rester calme. Il n’est évidemment jamais agréable de vivre des périodes comme celle-là, mais cela fait partie intégrante de l’apprentissage d’un jeune coureur. Son manque de résultats s’explique par un concours de circonstances sur lequel il n’avait pas réellement de prise. C’est un jeune qui a une super mentalité et à 22 ans, il aura encore de très nombreuses campagnes des classiques pour espérer briller.”