Msakni à Eupen, le transfert le plus surprenant du mercato hivernal : “Au Qatar, Edmilson a sécurisé sa vie”
- Publié le 06-02-2019 à 08h01
- Mis à jour le 06-02-2019 à 10h32
Youssef Msakni, le nouveau meneur de jeu d’Eupen, est arrivé du Qatar quasi dans l’anonymat. En Tunisie, on le surnomme pourtant Messi. "Eupen, c’est un tremplin." Il n’a pas été le plus médiatisé des transferts du dernier mercato mais il est sans aucun doute le plus surprenant de tous : le 9 janvier, Eupen a obtenu le prêt de Youssef Msakni, celui que beaucoup considèrent comme le meilleur footballeur tunisien de toute l’Histoire. Son surnom ? Le Messi de Tunisie.
Comment ce garçon, pourtant courtisé par des clubs de Premier League et qui gagnait de l’or en barre au Qatar, a atterri dans les Cantons de l’Est ? On s’est rendu sur place pour mieux comprendre.
Le rendez-vous est pris dans les business seats du Kehrweg. C’est aussi là que les joueurs mangent après l’entraînement. Msakni se fait discret. "C’est un timide" , nous glisse-t-on au club. "Mais si je fais une bête photo de son assiette du jour, je vais directement avoir 200 like en quelques minutes sur Twitter, bien plus que ce qu’on a d’habitude" , rigole la Community Manager. "C’est là qu’on voit que c’est une très grande star dans son pays."
Le repas terminé, Youssef Msakni nous rejoint. Avec… une semaine de retard. L’interview avait été reportée suite à la grippe du joueur.
Bien remis de votre grippe ?
"Oui, mais je ne suis pas encore habitué au froid de chez vous. Dès que je suis arrivé, je suis tombé malade. Direct (rires) ! C’est fou ce qu’il fait froid à Eupen. Je suis déjà allé dans les villes allemandes proches, comme Aix-la-Chapelle et Cologne, et c’est toujours à Eupen qu’il fait le plus froid. Je me réjouis que le printemps arrive."
On peut comprendre le choc thermique : vous avez commencé votre carrière en Tunisie puis vous êtes parti jouer au Qatar.
"J’ai commencé ma carrière pro à l’Espérance de Tunis puis j’ai été transféré à Lekhwiya, le plus grand club du Qatar (NdlR : club qui a entre-temps changé de nom pour devenir Al-Duhail), en 2013. Et puis me voilà à Eupen, où je suis prêté jusqu’à la fin de la saison."
À nos yeux, vous êtes le transfert le plus surprenant du mercato en Belgique.
"Je suis venu ici pour découvrir l’Europe. Eupen doit être un tremplin pour moi."
Un tremplin ? Vous avez déjà 28 ans.
"Je sais mais ce n’est pas vieux non plus. Je veux essayer de me mettre en évidence pour me faire repérer par un grand club. Je pouvais aussi signer à Cardiff City mais je n’allais pas avoir beaucoup de temps de jeu là-bas. C’est pour ça que j’ai choisi Eupen."
Vous êtes resté cinq ans et demi au Qatar. Pourquoi si longtemps ?
"On croit toujours que c’est pour l’argent mais ce n’est pas exactement ça. Je vous raconte l’histoire. En janvier 2013, je sens que j’ai fait le tour à l’Espérance de Tunis. Le club reçoit plusieurs offres, dont Lille et Monaco. Mon président à l’Espérance me dit : ‘OK, je te vends mais tu restes encore six mois pour finir la Ligue des champions africaine.’ Cela a refroidi tous les clubs qui me voulaient de suite, sauf un, celui au Qatar. Je n’avais pas le choix. J’ai reçu un très bon contrat là-bas, mais j’aurais préféré partir en Europe."
D’accord mais pourquoi passer cinq ans et demi au Qatar ?
"L’idée, c’était de rester au Qatar jusqu’à la Coupe du monde 2014. Je voulais cartonner là-bas et me faire repérer par un bon club européen. Sauf qu’on s’est fait sortir en qualification avec la Tunisie. Une grosse déception."
Ce n’était pas possible de vous faire repérer sans la Coupe du monde ?
"C’est dur de convaincre les clubs européens depuis le championnat du Qatar. Le niveau n’y est pas assez élevé. Pour te juger, il faut une opposition assez forte, ce que la Coupe du monde aurait pu m’offrir."
Vous n’avez donc jamais reçu aucune offre d’Europe pendant ces cinq ans et demi au Qatar ?
"Si, mais pas des bonnes offres. Enfin, pas de bons projets. Pour réussir à transférer un joueur qui évolue au Qatar, il faut déjà investir pas mal d’argent. Dans mon contrat, j’avais une clause de départ à 4,5 millions. C’est déjà une belle somme. Même si je crois que le club aurait accepté que je parte pour moins."
Pas de Coupe du monde 2014 au Brésil et finalement pas de Coupe du monde 2018 en Russie non plus, même si la Tunisie était cette fois qualifiée.
"À cause de cette satanée blessure au genou (il grimace)… C’est arrivé en avril, à peine deux mois avant le début du tournoi. Je suis resté neuf mois sur la touche. C’était très dur car ce Mondial devait vraiment me permettre de venir en Europe. Je suis de retour depuis quelques semaines seulement. C’est aussi pour ça que je n’ai pas choisi un trop grand club en Europe. J’ai besoin de temps de jeu. Cardiff n’allait pas faire beaucoup jouer un gars qui revient après si longtemps en pleine lutte pour le maintien en Premier League."
Pendant votre période à l’Espérance, on vous surnommait le Messi tunisien tant vous étiez impressionnant. N’avez-vous pas perdu votre temps au Qatar ?
"Je suis resté à mon niveau. J’étais d’ailleurs toujours sélectionné avec la Tunisie et je restais performant avec l’équipe nationale. Mais c’est vrai que le niveau du championnat au Qatar n’est pas très élevé. Au niveau du rythme, c’est comparable avec la première division en Tunisie. Je dois quand même dire que le niveau s’est amélioré au fil des années. On vient d’ailleurs de voir que le Qatar a remporté la Coupe d’Asie en battant le Japon en finale."
Dans votre club au Qatar, vous avez croisé Edmilson, qui arrivait du Standard.
"Oui, on s’est entraînés ensemble pendant deux mois. C’est un bon gars. Quand j’ai eu l’offre d’Eupen et que je lui ai demandé son avis sur la Belgique, il m’a dit : ‘Il fait trop froid !’ (rires) Mais il a ajouté que je devais foncer car il y avait de l’intensité dans les matchs et ce que je cherchais."
Quand Edmilson a annoncé son transfert au Qatar, il y a eu beaucoup de critiques en Belgique.
"C’était exactement pareil pour moi quand j’ai quitté la Tunisie pour le Qatar. Il y a quand même une différence : Edmilson était déjà dans un championnat compétitif. Il avait fait le tour en Belgique et il a opté pour le Qatar. Je peux le comprendre. Il a voulu sécuriser sa vie. Avec le contrat qu’il a reçu, il n’aura plus de souci."
Vous le pensez capable de revenir à un bon niveau en Europe après avoir joué au Qatar ?
"Oui, bien sûr. Mais il faut beaucoup travailler quand tu es au Qatar. Dans le championnat, il y a trois ou quatre matchs de bon niveau mais le reste est faible. Et il n’y a pas toujours beaucoup de public. Parfois, tu joues devant quarante personnes. T’as l’impression d’être à l’entraînement et c’est dur de se motiver. Heureusement, les étrangers sont jugés plus sévèrement là-bas. Si tu gagnes, c’est grâce à tout le monde. Si tu perds, c’est la faute des étrangers (sourire). Et si tu perds trois matchs de suite, le club achète d’autres étrangers. Ça t’oblige à rester à niveau."
Vous vous sentez à niveau dans le championnat de Belgique ?
"C’est un bon championnat, athlétique. Il y a du rythme. Mais il faut s’adapter (NdlR : il montre le terrain enneigé du Kehrweg). D’ailleurs, je demande s’il n’y a pas un problème avec les pelouses chez vous. Même quand on a joué à Anderlecht, le terrain n’était pas bon. Et pourtant, on m’a dit qu’il était tout nouveau ! C’est clairement une différence avec le Qatar, où les infrastructures sont exceptionnelles."
C’est pourtant sur ces terrains que beaucoup de Diables sont passés pour débuter leur carrière. Les Diables qui ont battu la Tunisie 5-2 à la Coupe du monde.
"Oui, la Belgique était vraiment forte. J’étais en Russie, sur le plateau de BeIN Sports pour ce match Tunisie - Belgique. Et directement après, j’ai dit que la Belgique allait gagner la Coupe du monde. Vous étiez vraiment trop forts. Bon, au final, ce n’est pas arrivé, mais ce n’est pas passé loin."
Georges Leekens, votre ancien sélectionneur en Tunisie, dit que votre style de jeu est comparable à celui d’Eden Hazard.
"C’est gentil. Disons qu’on est dans le même registre de jeu. J’ai déjà joué contre lui une fois."
Ah oui ?
"C’était à la Coupe du monde des moins de 17 ans en 2007. On avait gagné 4-2 contre vous et j’avais mis deux buts (sourire). Il provient de quel club belge Hazard ?"
Il a été formé à Lille et c’est là qu’il a commencé en pro.
"Oui, mais il a bien joué dans un club belge avant de partir, non ?"
Oui, le dernier, c’était Tubize, un petit club actuellement en deuxième division.
"Vous voyez, il faut toujours un tremplin dans la vie. Moi, j’espère que ce sera Eupen."