Affaire Özil: faut-il renier ses origines pour la sélection ?
- Publié le 24-07-2018 à 06h48
- Mis à jour le 24-07-2018 à 11h42
Özil se dit victime de racisme en raison de ses origines turques. Un footeux est-il condamné à ne vivre que dans une seule dimension identitaire ? "Je ne jouerai plus de matches internationaux aussi longtemps que je ressens du racisme et du manque de respect à mon égard." Les mots sont on ne peut plus clairs. Ils sont signés Mesut Özil, qui a annoncé ce dimanche mettre un terme à sa carrière internationale après 92 sélections et un titre de champion du monde acquis il y a quatre ans.
La raison ? Le milieu de terrain estime être victime du racisme des pontes de la fédé allemande depuis la publication d’une photo de lui, le joueur d’origine turque, avec le très controversé président Recep Tayyip Erdogan.
Un cliché qui intervenait dans un contexte particulier, entre élections en Turquie et grosses tensions entre les deux pays (Erdogan avait à demi-mots qualifié la chancelière Angela Merkel de "nazie" en mars dernier). "Pour moi, poser avec lui n’avait rien à voir avec la politique, mais avec le fait de respecter la plus haute figure de l’État de ma famille. […] Je suis Allemand quand on gagne, mais un immigré quand on perd."
Le malaise est donc palpable chez un international qui semblait représenter l’alliance parfaite entre l’Allemagne et la Turquie, qui compte environs 2 millions de ressortissants au sein de l’État fédéral (on parle d’une communauté culturelle qui en compte le double, selon Libération).
À travers le cas de ce dernier transparaît l’obsession pour l’identité, qui pour certains devrait être unidimensionnelle. "Ces joueurs issus de la deuxième, voire la troisième génération montrent à la fois à ceux qui en doutent que les populations immigrées apportent un plus au pays, mais également qu’ils se sentent Belges, que les citoyens disposent de plusieurs identités", explique Jean-Michel De Waele, politologue à l’ULB.
"On peut être Belge et européen, comme on peut avoir des joueurs qui se disent que même si leurs parents sont nés ailleurs, ils se sentent profondément Belges et d’autres qui arborent une double identité", ajoute-t-il. "Dans une société moderne et démocratique, il faut laisser à chacun le droit de définir sa propre identité. Ce qui me semble dangereux, c’est de décider à la place d’un Batshuayi ou d’un Mbappé quelle est sa propre identité. Remarquons aussi qu’on ne demandera jamais à un Kevin De Bruyne s’il sent Belge."
Chez nous, le noyau des Diables est lui aussi composé de plusieurs joueurs dont les ancêtres sont issus de l’immigration. Si l’on reprend le XI-type de Roberto Martinez, on retrouve dans cette catégorie Vincent Kompany, Axel Witsel, Yannick Carrasco et Romelu Lukaku.
Pourtant, leur engagement envers la sélection a rarement (jamais ?) été remis en doute en raison de l’origine de leur famille. La question semble globalement moins prégnante que chez nos deux grands voisins, malgré le succès populaire de la politique migratoire très à droite de Theo Francken. "En effet, on vit dans un pays où on peut être un cadre de la N-VA et soutenir les Diables Rouges. C’est remarquable qu’en Belgique, on ne se pose pas ces questions-là", ajoute M. De Waele.
Celui-ci souligne que, contrairement à des pays comme l’Italie, la France ou même le Danemark et les Pays-Bas, l’identité nationale en Belgique n’est pas très affirmée. "Qu’est-ce qu’être Belge ? Eux-mêmes ne le savent pas vraiment. C’est être royaliste ? On a l’image de l’Allemand pur jus, mais le Belge pur jus n’existe pas. Déjà, ce sont des néerlandophones et des francophones qui coexistent. Puis il y a des Liégeois, des Carolos, des Anversois, des identités locales fortes."
Un manque d’ego national et de patriotisme qui est également le fruit de notre histoire, marquée par une indépendance acquise au bout d’une révolution de quelques jours et un État assez faible et divisé.
Non, aucun Diable Rouge n’éructera sans doute jamais la Brabançonne à la façon d’un Gigi Buffon. Mais au moins, Michy Batshuayi pourra toujours faire marrer le pays en félicitant les deux Khorotos (Marocains, NdlR) que sont Chadli et Fellaini sans que cela ne devienne une affaire d’État…
Un formidable outil
"Pour la diplomatie belge, le succès des Diables est un outil remarquable. Il donne une très bonne image, celle d'une Belgique ambitieuse, décomplexée, qui réussit, qui rêve d'être la meilleure, qui intègre ses enfants d'immigrés", indique Jean-Michel De Waele. "Après, comme pour la France, on verra si cela perdurera si l'on se retrouve 45e au classement FIFA."
Quelques jours après la petite finale gagnée contre l'Angleterre, le ministre des Affaires Étrangères Didier Reynders avait de son côté évoqué la possibilité d'intégrer des Diables dans les missions économiques princières.
Témoignage : "Impossible de gommer ses origines"
La double-identité, Nordin Jbari la porte en lui depuis sa naissance à Saint-Josse. "Je suis Belge d’origine marocaine, fier d’être Belge comme de mes origines qui me viennent de mes parents, dit-il. Je ne sais pas ce qu’il s’est dit exactement entre Özil et sa fédération, mais l’Union belge ne m’a jamais demandé de mettre de côté mes origines. Cela serait de toute façon impossible, car cela fait partie de moi. Je n’ai jamais senti non plus que mon investissement était remis en cause par mes origines", ajoute celui qui fut international à deux reprises au milieu des années 1990.
A-t-il hésité entre la Belgique et le Maroc ? La question l’étonne. "Je vous l’ai dit, je suis Belge, répond-t-il. Si on a choisi l’équipe nationale belge, c’est qu’on est fier de jouer pour ce pays. Parfois, les gens ne comprennent pas qu’on puisse baigner dans les deux cultures, sans avoir de problème avec ça. Ceux qui ont un souci avec le fait que certains puissent avoir une identité multiple vivent en 1900. Le monde est ainsi fait désormais. Avec de la mixité, des mélanges, même si c’est compliqué. Ce sont eux qui ont un souci, pas nous. D’ailleurs, ils doivent être assez mal de voir le succès des joueurs français (sourire)."
Durmaz, Shaqiri, Xhaka : eux aussi ont été victimes de racisme
Le cas du joueur suédois et des Suisses avait fait du bruit durant le Mondial
Champ de bataille des temps modernes, le foot exacerbe les passions nationalistes au point parfois de faire plonger le spectacle dans une odeur nauséabonde. Le Mondial russe n’a malheureusement pas fait exception.
Fin juin, c’était le Suédois Jimmy Durmaz qui était victime d’une véritable campagne de haine raciale sur les réseaux sociaux. Le joueur était jugé coupable d’avoir provoqué la défaite de son pays en concédant le coup franc victorieux de Toni Kroos.
Né à Örebro d’une mère syrienne et d’un père turc, le joueur avait bénéficié du soutien sans faille de ses équipiers et de la ministre des Sports, qui avait porté son maillot lors d’une séance parlementaire en solidarité.
En Suisse, c’est la célébration aigle albanais de Xherdan Shaqiri (né au Kosovo) et Granit Xhaka (né à Bâle, mais d’origine kosovare), qui avaient suscité l’ire des représentants du très conservateur parti UDC. "Les deux buts ont été inscrits pour le Kosovo et non la Suisse", avait tweeté une conseillère de ce parti. Le même parti qui qualifiait au début de la compétition la Nati de "troupe de mercenaires multiculturelle balkanique presque sans patrie, enrichie par quelques Africains ensuissés". Ahem…