Adrie van der Poel avant Liège-Bastogne-Liège : “J’ai parfois le sentiment que les gens pensent que tout est facile pour Mathieu”
Adrie van der Poel estime que son fils Mathieu n’est pas moins fort aujourd’hui qu’il y a quinze jours à Paris-Roubaix.
- Publié le 20-04-2024 à 06h00
- Mis à jour le 20-04-2024 à 07h19
Si le mal de dos qui l’a obligé à rester au lit durant quelques jours lui donnerait envie d’oublier cette semaine, Adrie van der Poel se réjouit de voir son fils Mathieu tenter de bousculer Tadej Pogacar, un coureur qu’il admire, dimanche à Liège. Où il s’est imposé en 1988 alors que la Doyenne ne lui convenait, en principe, pas non plus.
Qu’avez-vous pensé de Mathieu dimanche dernier à l’Amstel Gold Race ?
”Il n’était pas si pas mal mais n’a pas couru comme d’habitude. Il a attendu plus longtemps que d’autres travaillent. En vain…”
Il a dit ne pas avoir eu les jambes pour rouler de manière plus offensive…
”Peut-être. J’ai surtout vu que certains coureurs ont roulé en fonction de lui. Ce n’est pas toujours Alpecin-Deceuninck qui doit prendre les choses en main.”
En outre, Mathieu n’a plus une obligation de résultats après ses succès au Ronde et dans l’Enfer du Nord…
”C’est vrai aussi. Il peut être très content de tout ce qu’il a déjà accompli cette année. Mais je suis persuadé qu’il est encore en très bonne forme.”
Dans la même forme qu’au Tour des Flandres et à Paris-Roubaix ?
”Ça, on verra, mais je le pense. Avec du recul, je me dis qu’il était mieux à Roubaix qu’au Ronde.”
Ce que Mathieu réalise cette année est encore plus fort qu'en 2023.
Avez-vous l’impression qu’on en attend trop de Mathieu ?
”J’ai parfois le sentiment que les gens pensent que tout est facile pour Mathieu mais il travaille énormément et consent à faire beaucoup de sacrifices. Ce qu’il réussit reste extraordinaire. Ce, d’autant plus que, mentalement, c’est encore plus difficile pour lui cette année du fait de l’absence de nombreux autres leaders. Mathieu et ses équipiers ont eu beaucoup plus de pression en 2024 et ils l’ont gérée de manière admirable. Jusqu’à Roubaix, c’était parfait.”
Pour vous, quelle est la plus belle victoire de Mathieu cette année ?
”Lui voulait absolument gagner le Tour des Flandres avec le maillot de champion du monde. Mais pour moi, ce qu’il a réussi à Roubaix était encore d’un niveau supérieur. Il est parti de plus loin et avait moins de possibilités de creuser l’écart. Au Tour des Flandres, tu peux faire la différence dans chaque côte et il y en a beaucoup. À Paris-Roubaix, tu ne peux pas faire la moindre erreur. Et quand il est arrivé sur le vélodrome roubaisien, je l’ai trouvé beaucoup plus frais qu’une semaine avant à Audenarde.”
À la différence de la plupart des coureurs, Mathieu n’a pas besoin de beaucoup de courses pour gagner… Il est tout de suite en forme.
”Cela veut dire que sa manière de s’entraîner est la bonne. Même si je ne le vois pas tous les jours, je sais que mon fils peut aller très loin dans ses réserves à l’entraînement. Il est capable de se faire aussi mal qu’en course.”
Tient-il ça de son papa ?
(Il rit) “Ah non, pas du tout ! Moi, je n’aimais pas les entraînements à très haute intensité. Je préférais les longues sorties tranquilles. Heureusement pour moi, c’était une autre époque : comme on faisait plus de courses, on n’avait pas trop de temps pour des entraînements spécifiques ou des stages en altitude.”
Êtes-vous encore surpris par ce que réussit votre fils ?
”Bien sûr que je suis surpris. Il parvient à s’améliorer chaque année. Je me souviens que fin de saison dernière, on se disait qu’il ne pourrait pas faire aussi bien à l’avenir. Eh bien si ! Sans prétention, je dirais que ce que Mathieu réalise en 2024 est encore plus fort qu’en 2023.”
Mathieu fait partie des favoris pour la victoire dimanche à Liège. Mais nourrit-il vraiment cette ambition ?
”Vous devriez lui poser la question. Ce que je sais, c’est que c’est l’un des deux monuments qui lui conviennent le moins avec le Tour de Lombardie. Mais le connaissant, je suis convaincu qu’il va essayer. Il n’a vraiment rien à perdre.”
Comme Mathieu, Pogacar m’épate par la fréquence de ses exploits.
Peut-il battre Tadej Pogacar ?
”S’il sait le suivre jusqu’au sprint, pourquoi pas ? Mais on sait que Pogacar n’est pas n’importe qui. C’est un coureur que j’adore. Comme Mathieu, il m’épate par la fréquence de ses exploits. J’ai des frissons quand je le vois rouler. D’ailleurs, je me régale devant la manière de rouler de tous ces gars offensifs comme Alaphilippe avant, van Aert, Evenepoel, Pogacar et Mathieu.”
Rêvez-vous d’un duel entre Mathieu et Pogacar à Liège ?
”Ce serait surtout très bien que d’autres coureurs osent aussi prendre les choses en main et ne se contentent pas d’observer, comme ils l’ont fait à l’Amstel Gold Race. Quitte à tout perdre. Quand tu es leader d’une équipe, tu dois prendre tes responsabilités. Point.”
Que pensez-vous de Tom Pidcock ?
”Je l’inclus dans les coureurs que j’adore. Il fait sa propre course et s’en fout des autres. Quand il gagne, il est le plus heureux des hommes et, s’il ne s’impose pas, il peut se dire qu’il a essayé. Je ne comprends pas ceux qui veulent gagner mais ne tentent jamais leur chance.”
Comme papa, de quoi êtes-vous le plus fier concernant Mathieu ?
”De sa manière de vivre et de sa personnalité. Il fait tout pour le métier quand c’est le moment. Mais il laisse de l’espace pour d’autres choses. Après Liège, il prendra du repos. Je lui ai toujours dit : 'Si tu épingles un dossard, c’est pour essayer de gagner la course'. Au fil des années, il s’est fait sa propre idée et a fait les bons choix. Par exemple : il n’a plus peur de se servir d’une course pour en préparer une autre. En ça, il est différent de moi. Il mène très bien sa barque.”
Savoir que votre fils fait déjà partie des plus grands coureurs de classiques de l’histoire, ça vous fait quoi ?
”Les chiffres ne mentent pas. Il est incroyable et ça me rend très heureux pour lui, parce que c’est lui qui écrit sa propre histoire. Et je pense qu’au fond de lui, il aimerait remporter la Doyenne et le Tour de Lombardie pour franchir un palier supplémentaire. Imaginer que mon fils ait un jour les cinq monuments à son palmarès me donne la chair de poule.”
Mathieu a l’air de très bien vivre sa célébrité. On le sent toujours très détendu…
”Je pense que c’est le cas. Mathieu est d’un naturel détendu. Il ne se pose pas mille questions. En outre, il est très bien entouré. Il peut s’appuyer sur les frères Roodhooft, des gens très calmes et posés qui ont les pieds bien sur terre. Ils comprennent très bien Mathieu et lui font une immense confiance. On le voit avec le nouveau contrat qu’il vient de signer (NdlR : jusqu’en 2028). C’était important pour sa stabilité de pouvoir compter sur des gens qui n’ont cessé de croire en lui depuis ses 14 ans.”
Quand avez-vous compris que Mathieu pouvait faire une grande carrière ?
”Lorsqu’il avait 6, 7 ans. La première personne à qui j’ai dit qu’il pouvait devenir très fort, c’était Patrick Lefevere. Aujourd’hui, il me dit parfois : 'Je regrette de ne pas avoir bougé à ce moment-là'.”
Pourquoi a-t-il commencé par le cyclo-cross ?
”Je pense que, quand tu es jeune, c’est plus agréable de faire du cyclo-cross, de rouler dans la boue, comme si tu étais dans la forêt, que de faire du cyclisme sur route. C’est un peu comme si tu roulais dans ton jardin. C’est moins monotone que la route.”
En outre, c’est la meilleure école pour apprendre à piloter le vélo…
”Oui, mais Mathieu a toujours été très habile. Il a ça naturellement. C’est quand il est arrivé en juniors et qu’il a fait certaines courses contre Mads Pedersen, qu’on s’est dit qu’il pouvait performer dans les deux.”
Pedersen et Wout ont contribué malgré eux à faire de Mathieu le champion qu’il est aujourd’hui.
En parlant de cyclo-cross, qu’a apporté à Mathieu la rivalité avec Wout van Aert ?
”Ça l’a rendu plus fort. Parce qu’il a trouvé du répondant avec un cyclo-crossman qui voulait aussi tout gagner. Pedersen, sur la route, et Wout ont contribué malgré eux à faire de Mathieu le champion qu’il est aujourd’hui.”
Que vous passe-t-il par la tête quand vous voyez des spectateurs jeter de la bière en direction de votre fils ?
”Ils n’ont rien à faire le long des routes. Avoir bu n’excuse en rien de tels comportements. Mais bon, j’essaye de ne pas polémiquer. Ce qui est triste, c’est que ce n’est pas nouveau. Le point positif, c’est que comme on filme tout aujourd’hui, on peut vite identifier les coupables. J’espère que cela débouchera sur des sanctions et les poussera à réfléchir à leurs actes.”
Si Mathieu gagne dimanche à Liège, cette victoire aura-t-elle encore plus de valeur que ses succès au Ronde et à Roubaix ?
”Oui, parce qu’on ne l’attend pas là. C’était comme moi. Normalement, la Doyenne était un peu trop difficile pour moi mais je l’abordais toujours en me disant que j’avais ma chance. Ça m’a souri en 1988. Si ça pouvait aussi sourire à mon fils…”
Certains ont peur que le cyclisme devienne ennuyeux à force de voir un coureur écraser la concurrence…
”C’est quand même beaucoup mieux que l’époque où on attendait la flamme rouge pour se bouger. On ne va pas reprocher à ces gars de mettre une intensité incroyable dans la course ou leur demander de freiner !”