On a roulé Paris-Roubaix avec Tom Boonen : “Je suis né avec un talent pour les pavés”
La DH a roulé sur les pavés de Paris-Roubaix avec Tom Boonen, quadruple vainqueur de l’Enfer du Nord.
- Publié le 07-04-2024 à 10h00
- Mis à jour le 07-04-2024 à 12h28
Le défi était ambitieux : prendre la roue de Tom Boonen sur les pavés de Paris-Roubaix. Tel était le plan de base. Mais autant être honnête : on a vu Tom Boonen nous coller des centaines de mètres sur chaque secteur pavés de l’Enfer du Nord pendant que nous tentions de survivre.
Tom Boonen et nous avons deux points communs : notre corpulence et notre coupe de cheveux. La comparaison s’arrête là. Surtout quand il enfourche son vélo. “J’ai couru pour rester en forme cet hiver, nous raconte-t-il. Chaque fois que je revenais chez moi, j’avais mal partout. Quand je remonte sur mon vélo, c’est tout le contraire. Mon corps m’envoie un signal positif comme s’il me disait : ‘c’est bien, c’est ce sport-là que tu dois faire.’ ”
Un sourire barde son visage lorsqu’il sort sa bécane et enfile son équipement sur le parking du vélodrome de Roubaix. Rien de bien sexy à première vue mais les souvenirs défilent dans sa tête. “C’est une région qui n’est pas attirante sur le papier mais venir ici a toujours un caractère spécial pour moi. Il y a quelque chose de magique qui me lie à Paris-Roubaix.”
Stoppé par une haie
Le fond est toujours là. Après 150 kilomètres et 19 secteurs pavés, les langues des participants à cette randonnée pendent jusqu’au sol. Tom Boonen n’a presque pas fait d’effort et affiche une fraîcheur presque dégoûtante au vu de notre état.
La journée du quadruple vainqueur de l’Enfer du Nord n’a pourtant pas été de tout repos. La haie d’un habitant de la région s’en souvient et affiche peut-être encore les contours de la silhouette de Tommeke. “Je n’avais plus de freins”, a-t-il lancé après être sorti indemne de ce 'tout droit' alors qu’il venait de dégoûter le reste du groupe sur l’un des premiers secteurs pavés.
Un peu plus tard, c’est un rayon de sa roue qui a décidé de le lâcher. “J’ai un mécano de mon village qui adore travailler sur mes vélos, explique-t-il. Dans ma région (NdlR : en Campine), les routes sont bien propres. Ici, le moindre réglage qui n’est pas parfait se sent.”
On l’a appris à nos dépens. La trouée d’Arenberg est le premier secteur pavés de la journée. Il n’a pas fallu 200 mètres pour qu’on perde un premier bidon et 500 mètres pour avoir une première ampoule. Le tout en terminant le secteur avec le pneu arrière plat.
“Arenberg, c’est particulier. D’habitude, le peloton pro arrive tout droit à une vitesse folle (NdlR : les conditions météo de cette année ont poussé l’organisation à installer une chicane pour casser la vitesse), explique Boonen, oubliant de préciser que des chèvres étaient présentes en début de secteur pour nettoyer l’herbe entre les pavés. Tu passes d’une route à un couloir en forêt où tu ne peux pas rouler à beaucoup de front. Le pavé devient vraiment difficile après 500 mètres. Tu sais que si tu as le moindre problème technique, ta course peut se terminer là donc tu sprintes pour arriver devant à l’entrée de la forêt de Wallers. ”
Des conseils inefficaces
Une pause de Boonen auprès de l’équipe de développement Soudal Quick-Step lui a permis de revoir d’anciens collègues et de refaire notre retard post-crevaison. Un moment idéal pour demander à Tornado Tom quelques conseils pour aborder les prochaines échéances pavées. “Un vrai coureur qui aime les pavés passe tout en souplesse. Le vélo bouge naturellement et ne souffre pas. Je ne serre presque pas mon guidon. Il vient rebondir dans mes mains. La roue choisit un peu son chemin seule et j’accompagne.”
Celui qui pense que Contador en danseuse incarne l'élégance n'a jamais vu Boonen sur les pavés
Cette poésie mérite d’être testée. Le secteur d’Orchies a ponctué la discussion. Tom s’est envolé, gracieux comme s’il roulait sur un tarmac fraîchement coulé. Celui qui pense que l’élégance se résume à Alberto Contador en danseuse sur un col devrait revoir les images des victoires de Boonen à Roubaix. Il a remonté un par un le peloton ne laissant aucune chance d’accrocher sa roue. “Et pourtant, je recommence doucement à la sortie de l’hiver”, plaisante-t-il.
On a appliqué ses conseils dans le secteur pour finalement en sortir sur quelques jurons, de drôles de bruits sur le vélo et une ampoule supplémentaire. On retourne voir Tom Boonen. “Bon, ça n’a pas marché, c’est quoi le secret ? ”, demande-t-on.
“Je ne sais pas vraiment s’il y en a un. Je dis ça sans me vanter, mais je pense que je suis né comme ça. J’ai directement adoré rouler sur les pavés quand je les ai découverts à 18 ans. On dit toujours qu’il faut les aborder le plus vite possible. À 25-30 à l’heure, c’est dur ; il faut être au moins à 40. La position est également importante. Je ne suis ni assis, ni en danseuse, mes fesses effleurent la selle.”
Attaques victorieuses
Nous sommes beaucoup à nous être partagé la réflexion : tout le monde ne naît pas avec les mêmes facilités. C’est certainement ce que Nicky Terpstra a dû se dire en 2012 quand il a vu son équipier partir à plus de 50 kilomètres de la fin dans le secteur de Mons-en-Pévèle, une énième ignominie du retour vers Roubaix. “C’est mon meilleur souvenir sur ce secteur. Un de mes plus beaux sur Paris-Roubaix. Mon père était là. Il se demandait ce que je faisais mais je suis parti seul.” Pour gagner son quatrième pavé.
De pavé, il en a également été question en 2009, lors de la troisième victoire de Tornado Tom. Le cyclotouriste lambda n’a pas conscience de la difficulté de prendre un tournant serré sur des pavés de piètre qualité. Le Carrefour de l’Arbre est célèbre pour son virage à gauche. 90° dans un couloir humain où même Max Verstappen ne trouverait pas la bonne trajectoire. En 2012, Thor Hushovd a pris la barrière. Tom est passé et est parti seul. “Si les circonstances ne sont pas parfaites, le virage est très dangereux. Et même si tu le prends bien, tu vois la route qui s’élève très légèrement. Ça te tue les jambes alors que tu es déjà cramé.”
Cela ne l’a pas empêché d’avoir la fraîcheur nécessaire pour soulever ses deux derniers pavés dans un sprint en petit comité sur le mythique vélodrome de Roubaix. “Tu verras, c’est comme si d’un coup tu revenais sur terre”, prévient Boonen. On parlera plus d’un soulagement après avoir tiré une leçon des pavés du nord : si les jambes ne sont pas au rendez-vous, ce sont les bras qui souffrent.
Sa première douche
La douche est peut-être le meilleur moment de cette journée en enfer. Et même le manque de pression du pommeau ne peut entacher le plaisir d’être dans un endroit aussi mythique. “C’est une première fois pour moi aussi, surprend Boonen, immortalisé par un photographe pour l’occasion. Il n’est pas facile pour le vainqueur de venir se laver ici car une fois toutes les obligations passées, les douches sont souvent fermées.”
Boonen a d’ailleurs profité de sa douche un long moment. Il a été moins rapide que nous. Pour la première et seule fois de la journée.