Dans la ville où le running ne dort jamais, place au marathon de la démesure
À défaut d’être le plus rapide, le marathon de la Big Apple est le plus couru de la planète.
- Publié le 03-11-2018 à 16h19
- Mis à jour le 03-11-2018 à 16h20
À défaut d’être le plus rapide, le marathon de la Big Apple est le plus couru de la planète.Nous sommes en 1970. Fred Lebow et Vince Chiappetta décident d’organiser un marathon à New York. Une course au périmètre restreint puisque les 127 coureurs qui prendront le départ ce jour-là effectueront plusieurs boucles dans Park Drive, un chemin circulaire réservé aux marcheurs et autres cyclistes au sein de Central Park. Cinquante-cinq de ce qu’on pourrait appeler des hamsters, vu la monotonie du parcours, rallieront l’arrivée, le premier à couper la ligne étant un certain Gary Muhrcke après 2h31’38. Ces valeureux pionniers n’avaient dû sortir qu’un dollar de leur poche pour épingler un dossard à leur torse…
Plus de 50.000 participants, 2,5 millions de spectateurs
Quarante-sept années plus tard, Central Park est toujours le cadre d’arrivée des runners qui ont bravé la météo frisquette du premier dimanche de novembre dans la Big Apple. Mais le parcours a beaucoup changé pour traverser les cinq arrondissements de la ville et surtout, les chiffres autour de l’événement ont pris une dimension inimaginable.
En 2017, ils étaient 50.761 au départ à Staten Island. Ils ont été portés par les encouragements d’environ 2,5 millions de spectateurs massés le long des avenues de la ville, sans compter les centaines de millions qui ont regardé l’épreuve à la télévision ou sur Internet. Malgré cela, l’édition la plus rapide, courue en 2011 par le Kenyan Geoffrey Mutai, ne l’a été qu’en… 2h05’6, soit 3’27 de plus que le record mondial battu à la mi-septembre par son compatriote Eliud Kipchoge à Berlin. Depuis 1970, plus d’1,1 million de personnes ont participé à la course. Près de 800.000 étaient des hommes et environ 315.000 des femmes. Ce sont les 30-39 ans qui sont les plus représentés au sein du peloton avec les 40-49 ans à leurs talons. Depuis 1970, 270 coureurs âgés de plus de 80 ans ont bouclé le parcours. Oui, la course à pied permet de garder de beaux restes.
Le temps moyen pour accomplir les 42,195 km était de 4h16 pour ces messieurs et de 4 heures 49 pour ces dames. On est bien loin derrière des 4h01 de moyenne masculine et 4h30 féminine de Paris qui est limité par une barrière horaire.
Prix prohibitifs
À quelques jours de sa 48e édition, le marathon de New York s’est imposé comme une énorme machine de guerre générant un business incroyable autour de lui. Les retombées autour de l’événement atteignent les 415 millions de dollars… Plus de 260.000 touristes sont attendus ce premier week-end de novembre. On estime à 30 % le contingent d’étrangers qui auront su décrocher leur dossard. Un graal qui n’est pas donné puisqu’il coûte déjà 305 euros si vous faites partie des heureux gagnants du tirage au sort organisé quelques mois avant, alors que les Américains ne doivent débourser que 225. America First, un slogan bien connu du propriétaire d’une tour de la ville, actuellement locataire d’une maison blanche.
Une ambiance unique
Si vous faites partie des non élus, vous devez alors passer par des tours opérateurs autorisés qui vendent des packages comprenant le précieux dossard. En fonction de la durée du voyage et de l’hébergement choisi, l’addition devient vite salée puisqu’on s’en sort rarement pour moins de 2.500 euros. En tenant compte de la vie sur place, des visites et autres, autant dire que le City Trip peut voir le budget rapidement frôler les 5.000 euros.
Ces prix exorbitants, alors que des épreuves de prestige existent aussi bien à Berlin, Londres ou Paris n’empêche pas la majorité des coureurs de considérer New York comme le marathon des marathons. Le soutien inconditionnel du public massé le long du parcours et qui attend encore en nombre le dernier concurrent arrivant dans l’obscurité, souvent après 10 heures de course (ou marche) n’est pas étranger à cet engouement des coureurs étrangers. 75 % des participants seront d’ailleurs des novices sur la distance.
Cours avec les stars
Ceux-ci sont peut-être aussi séduits par les traversées de ponts ou la vue sur les immenses buildings de Manhattan. Mais aussi par la possibilité de courir aux côtés de stars. Qu’elles soient issues du milieu sportif, du cinéma, de la chanson ou autres, elles sont nombreuses à se mêler au milieu de la masse des simples runners. Des actrices et acteurs Katie Holmes, Ethan Hawke ou Teri Hatcher, en passant par la tenniswoman Caroline Wozniacki, le footballeur Raul ou la chanteuse Alicia Keys, New York est le marathon pour se montrer en vue d’accomplir ce défi qui change une vie, comme le disait Emil Zatopek.
Œuvres caritatives et business juteux
Et forcément, les vedettes viennent parfois courir pour la bonne cause. Depuis 10 ans, les associations caritatives se greffent à l’événement en vendant certains dossards à plusieurs milliers de dollars pièce. Une édition du marathon peut permettre de lever jusqu’à 35 millions. Si aux États-Unis, parler d’argent n’est normalement pas tabou, l’organisation du marathon new-yorkais perd l’usage de la parole dès qu’il s’agit d’évoquer ses parrainages. Selon Forbes, qui s’était amusé au calcul pour l’année 2013, les recettes de la course étaient estimées à 73 millions pour 35 millions en coûts d’organisation. De quoi permettre aux présidents des New York Road Runners de palper un confortable traitement annuel de 600.000 dollars. L’amour du sport, on vous disait.
Les 148 mètres d'Alberto Salazar
Le nom d’Alberto Salazar vous est sans doute familier si vous vous intéressez à la carrière de Mo Farah. Cet Américain, né à Cuba et âgé de 60 ans, fut jusqu’en 2017 l’entraîneur du Britannique qui écrasa la concurrence sur 5.000 et 1.000 mètres pendant cette décennie.
Mais les méthodes troubles du coach furent remises en question en 2015 avec un reportage de la BBC. L’enquête des journalistes impliquait des témoignages de divers athlètes et de personnes associées à Salazar et révélait l’utilisation de microdosage de testostérone et de prednisone au sein du projet de Nike Oregon. Mais avant d’être ce gourou contesté, Alberto Salazar fut d’abord un excellent coureur de fond au début de eighties. Salazar, double champion national sur 10.000 mètres, combinait la piste avec le marathon. Pendant la même période entre 1980 et 1982, il s’offrit un triple sacre sur le marathon de New York. Avec cette dernière année le doublé avec Boston, un événement quasi unique.
Depuis lors les coureurs de l’oncle Sam n’ont plus assisté qu’à une seule victoire de l’un de leurs représentants. Il s’agit de Mes Keflezighi, un athlète d’origine érythréenne naturalisé 11 ans avant son sacre dans la Big Apple.
Mais si Salazar a marqué l’histoire du marathon new-yorkais c’est aussi à cause de la mésaventure qui lui est survenue lors de l’édition de 1981. Il coupa la ligne après 2h08’13, un record du monde à l’époque ! Malheureusement pour le natif de La Havane, on se rendra compte que, suite à un aménagement du parcours en raison de travaux, celui-ci était plus court de 148 mètres que la distance officielle. Ce qui invalidera le record de Salazar dont la meilleure performance personnelle sera validée quelques mois plus tard à Boston mais avec 39 secondes de plus… et toujours sans record du monde.