Il y a 30 ans, Mazda gagnait les 24H du Mans : les souvenirs de Pierre Dieudonné
- Publié le 13-06-2018 à 11h32
- Mis à jour le 23-06-2021 à 14h31
C'était il y a 30 ans jour pour jour. Mazda devenait le seul constructeur japonais à remporter les 24 Heures du Mans. Pilier de la première heure, le Belge Pierre Dieudonné raconte cette folle aventure...
Le 23 juin 1991 restera à jamais une date historique dans l’histoire du Mans. Ce jour-là, une Mazda 787B crevait l’écran (et de nombreux tympans) en devenant la première voiture japonaise, équipée d’un atypique moteur rotatif qui plus est, à décrocher la timbale aux plus célèbres 24 heures du monde. Pendant 27 ans, Bertrand Gachot, Johnny Herbert et Volker Weidler allaient rester les seuls à avoir fait triompher un constructeur issu de l’Archipel, jusqu'au triomphe de Fernando Alonso, Kazuki Nakajima et Sébastien Buemi sur Toyota en 2018.
Parmi les artisans de cette victoire légendaire, on retrouve un Belge : Pierre Dieudonné. Présent aux côtés des Nippons dès 1984, le double vainqueur des 24H de Spa pilotait cette année-là une autre 787 blanche aux côtés de Yojiro Terada et Takashi Yorino. Sans le vouloir, celui qui officie aujourd’hui comme directeur sportif de WRT a déclenché l’étincelle qui allait permettre à la firme nippone de triompher dans la Sarthe au nez et à la barbe des Européens. « En 1989, j’ai fini 7e au général et 1er de classe sur une 767B avec David Kennedy et Chris Hodgetts », nous a rappelé Pierre. « Après la course, j’avais indiqué avec détachement à un haut responsable de Mazda que nous avions besoin de 100ch supplémentaires pour gagner Le Mans. La mission paraissait impossible mais le code de l’honneur des Japonais a fait la différence. Au final, nous avions un tout nouveau moteur de plus de 700ch ! Quand j’ai revu Mr.Tatsutomi lors d’un passage au Salon de Tokyo, il m’avait confié que j’avais inspiré son équipe pour gagner Le Mans ».
La suite est connue. Si la Sauber-Mercedes de Schlesser-Mass-Ferté tenait le bon bout pour l’emporter, elle allait être trahie par son support d’alternateur (seul talon d’Achille des Flèches d’Argent) en fin d’épreuve. La fameuse Mazda orange et verte n’avait plus qu’à se laisser glisser vers la victoire. « A l’époque, personne ne prenait le moteur rotatif au sérieux », explique Dieudonné. « En 1991, la FIA voulait pénaliser les Groupe C au profit des 3,5L, où seul Peugeot était prêt. Mais les Japonais ont su faire du lobbying pour que les 787B restent à 830kg. Au final, seule la Mercedes de tête nous dominait avant son abandon. Toutes les autres voitures ont été battues sportivement. Les Porsche ont eu des problèmes de freins tandis que les Jaguar ont été piégées par leur consommation élevée. »
Le Mans a toujours une aura particulière au Japon. En cas de bon résultat, les pilotes y sont accueillis comme des demi-dieux. La période du Groupe C fut une période bénie pour les Nippons avec Mazda mais aussi Toyota et Nissan engagés avec la ferme intention de l’emporter. Pourtant, c’est le petit poucet de Hiroshima qui a battu les deux ogres de Tokyo. « Par rapport à nous, Toyota et Nissan avaient des budgets énormes. Mais ces deux constructeurs sont restés très ‘japonais’ pendant longtemps, avec plusieurs de leurs ressortissants placés à des postes-clés. C’est ce qui les a peut-être empêché de gagner. A l’inverse, Mazda a su s’ouvrir très rapidement aux compétences européennes et notamment britanniques. Cette approche pointue n’existait pas chez Toyota. Nous avions également un plan à long terme que nous avons suivi. Mr. Ohashi, patron de Mazdaspeed, a aussi eu l’intelligence d’engager Jacky Ickx comme consultant. Et quand un pilote comme Jacky propose quelque chose, il n’y a pas à discuter... »
Pourtant qui aurait cru que cette formidable aventure ait été lancée par un simple concessionnaire, Takayoshi Ohashi, et un certain Yojiro Terada qui allait devenir le recordman de participations aux 24 Heures du Mans ? « Les progrès ont été fantastiques sachant que l’aventure Mazdaspeed part de loin. Ils sont d’abord allés au Mans avec des RX-7 évoluées, puis avec une Groupe C Junior baptisée 717C en 1983. C’était un petit proto 100 % japonais, conçu au pied du Mont Fuji par un jeune ingénieur. Mais c’était une voiture peu plaisante à piloter. Le moteur rotatif a aussi beaucoup changé. Ce fut d’abord un bi-rotor de 300ch pour devenir un tri-rotor et enfin un quadri-rotor en 1989. Entre-temps, l’équipe avait fait confiance aux Européens et était montée en puissance jusqu’à vraiment jouer la gagne à partir de cette année-là. »
La suite, on la connait. Jusqu'en 2018, la marque de Hiroshima allait rester l'unique marque nippone à s'être imposée dans la Sarthe. Toyota allait manquer de peu la victoire à plus d'une reprise, notamment en 1994, 1998, 1999 et 2016. La délivrance a eu lieu en 2018 et la firme d'Aichi a profité d'une concurrence moins armée pour rester sur trois succès d'affilée. Le quatrième aura-t-il lieu cette année à la mi-août ?