Sam Sumyk, grand nom du coaching international, est en Belgique : “Justine Henin, quel charisme, quelle présence ! Et Kim Clijsters, je l’espionnais”
Le Français, vainqueur de quatre tournois du Grand Chelem avec Azarenka et Muguruza, va entraîner les joueurs de la Fondation Hope and Spirit.
- Publié le 09-04-2024 à 06h45
- Mis à jour le 09-04-2024 à 07h20
Habituée à chouchouter ses membres, la Fondation Hope and Spirit, qui offre des bourses et/ou des entraînements à de jeunes joueurs belges tout en soutenant quelques professionnels, a encore frappé un grand coup cette semaine. Dans les installations du Castle Club de Wezembeek-Oppem, certains de ses joueurs vont avoir la chance de travailler pendant plusieurs jours avec le coach français Sam Sumyk. Un nom qui cogne dans le milieu de la petite balle jaune puisque le Breton a remporté quatre titres du Grand Chelem dans sa carrière : deux avec Victoria Azarenka (Australian Open 2012 et 2013) et deux avec Garbine Muguruza (Roland-Garros 2016 et Wimbledon 2017). Deux joueuses qui, sous la coupe de l’exilé californien, ont grimpé jusqu’à la première place mondiale. À la veille de la première journée d’entraînement, Sam Sumyk, présent chez nous grâce à son amitié avec Xavier Le Gall, le président de Hope and Spirit, a pris le temps de s’installer dans le lobby du Martin’s Château du Lac de Genval pour évoquer pendant de longues minutes sa passion, mais aussi sa vision, du tennis.
Monsieur Sumyk, que représente le tennis dans votre vie ?
“Je n’ai fait que cela. C’est mon premier métier et sûrement mon dernier. J’ai commencé quand j’étais adolescent et je n’ai jamais arrêté. J’en suis à 56 ans de tennis. C’est l’un des plus beaux sports sur cette planète avec de superbes athlètes. Pour moi, un court de tennis, c’est un endroit de plaisir.”
Rafael Nadal a quand même l'air mal barré.
Quelles sont les valeurs qui vous sont chères et que vous retrouvez dans le tennis ?
“J’aime la haute performance par-dessus tout. J’aime la discipline, l’excellence, l’exigence, la recherche et l’action. J’aime l’idée de voir et d’explorer pour donner la meilleure version de soi-même. J’aime le bon sens, la logique. Quand on parle de projet avec un joueur ou une joueuse, il faut un plan où on expose ses idées. Si on veut bien construire, il faut qu’il y ait du bon sens, une logique. Après, j’apprécie toutes les activités satellites qui viennent se greffer à l’activité tennis. Parce que dans la haute performance, il n’y a pas que le jeu, le coup droit, le revers. Il faut des connaissances satellites pour évoluer au très haut niveau.”
Y a-t-il des valeurs qui ne sont plus présentes en 2024 ?
“Le bon sens, je trouve qu’on le perd. La patience, aussi, un peu. La discipline, on n’en a plus ou presque plus. Les périodes difficiles peuvent apporter des éléments positifs, il n’y a pas que du mauvais. On oublie un petit peu ce que cela pourrait apporter. On pense toujours au verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein. Il y a des changements de mentalité et il faut s’adapter.”
Vous parliez, il y a peu, du fait que l’entraîneur était devenu un produit recyclable.
“Il semblerait qu’il y ait un turn-over un peu plus important depuis quelques années. Il y a toujours eu des changements, cela ne changera pas. Avant, quand on faisait trois ans avec un athlète, c’était un succès. Maintenant, si on fait trois mois, c’est un succès. L’entraîneur qui est l’employé du joueur, c’est l’une des règles du jeu. L’athlète est propriétaire du bateau et elle nomme un coach qui est capitaine du bateau.”
Pourquoi avoir accepté de venir cette semaine en Belgique ?
“Cela me fait plaisir et je fonctionne comme cela. Par amitié pour Xavier et j’aime l’idée du partage sur notre passion commune. Et puis il y a la philosophie de la Fondation qui aide les joueurs. C’est bien d’aider les gens quand on peut.”
Djokovic, je veux bien juste porter son sac.
Quelle est votre vision du tennis féminin actuel ?
“Je pense que le tennis féminin est incroyable. Ce que les femmes font au très haut niveau, c’est incroyable. Dans sa densité, le niveau de jeu est devenu très élevé. Par contre, je pense que parmi les meilleures, le niveau n’a pas beaucoup évolué par rapport à il y a dix ans. On aurait besoin, plus, de grandes rivalités pour que le niveau s’élève encore.”
Vous avez remporté quatre Grands Chelems avec vos joueuses. Y a-t-il un succès qui vous a le plus marqué ?
“Émotionnellement, il n’y a pas pire que d’en perdre (rires). Gagner, émotionnellement, c’est facile. C’est incroyable et magique. C’est vrai qu’on a tendance à dire que la première fois, c’est quand même la plus belle.”
Pourquoi n’avez-vous entraîné que des femmes ?
“J’ai eu de la chance. J’ai eu des demandes chaque fois qu’une histoire s’est arrêtée. Chaque fois que j’ai été libre, les opportunités sont venues du tennis féminin.”
Est-ce qu’on devient catalogué entraîneur de femmes ?
“Oui, sûrement. Pourtant, je pense que quand on est un entraîneur, on peut entraîner aussi bien les hommes que les femmes. Mais pour X raisons, je suis persuadé qu’on me voit comme un entraîneur féminin. Au-delà du genre de l’athlète, il faut surtout s’adapter à sa langue, sa culture, sa sensibilité, son caractère.”
On ne peut plus entraîner de la même façon.
Est-ce qu’on entraîne de la même manière maintenant qu’il y a dix ans ou vingt ans ?
“Non ! Vous ne pouvez plus parler de la même façon. Mais surtout, on en connaît beaucoup plus à l’heure actuelle. La technologie a fait son apparition de façon fracassante. Je ne parle pas que du matériel. Il y a les softwares d’analyse, les stats, etc. On a maintenant accès à des images qui sont beaucoup plus nombreuses et plus exploitables qu’avant. On peut tout revoir, tout décortiquer. On en connaît plus aussi en matière de préparation physique. On est obligé d’accroître ses connaissances, de s’adapter et d’être meilleurs. La communication a aussi changé avec les réseaux sociaux. Il y a beaucoup plus de paramètres à prendre en compte.”
Quelle importance pensez-vous avoir eue dans la réussite d’Azarenka et de Muguruza ?
“Mon ego aimerait bien croire que tout est grâce à moi. Mais, ce n’est pas vrai. Je pense que je n’ai rien gagné. Ce sont mes joueuses qui ont gagné. Ce sont elles qui tiennent la raquette, elles qui doivent gérer les émotions et trouver les solutions. Mais je suis ravi d’avoir participé à l’aventure.”
Avez-vous eu l’occasion de travailler avec une Belge ?
“J’ai récemment aidé Yanina Wickmayer sur les tournois d’Indian Wells et de Charleston. C’était prévu de ne faire que deux tournois ensemble. Je la connaissais parce que ça fait quand même un petit moment qu’elle est sur le circuit.”
Si vous deviez évoquer en un mot Justine Henin ?
“Une joueuse magnifique. Une des plus belles joueuses rencontrées sur un court, avec la magie de ce revers à une main. J’ai toujours trouvé extraordinaire que ce petit bout de femme ait autant de présence et de charisme. Je suis un grand fan. Et elle est devenue une excellente consultante, peut-être la meilleure. Je ne peux en dire que du bien.”
Et le même exercice pour Kim Clijsters ?
“Kim, je retrouvais de la classe dans son jeu. J’adorais comment elle bougeait sur les courts. J’allais la regarder pour voir comment elle bougeait. J’ai fait beaucoup de vidéos pour copier son style dans ce secteur. Je l’espionnais (rires). En 2012, avec Azarenka, on a battu Kim en demi-finale de l’Australian Open. Ce fut un grand match. Carl Maes, l’ancien entraîneur de Kim, m’en parle encore quand on se croise.”
Ce que les femmes réalisent au plus haut niveau, c'est incroyable.
Le retour de Nadal, vous y croyez ?
“Il a l’air mal barré quand même. Le fan de tennis que je suis aimerait bien. L’entraîneur, sans être dans l’équipe de Rafa, pense que ce sera très compliqué. Ce qui me dérange le plus, ce n’est pas la longévité de son absence, mais la nature de ses blessures et le temps qui s’est écoulé. Il y a pas mal d’usure et à un moment donné, on le paie tous, surtout dans le haut niveau.”
Quel jugement portez-vous sur la nouvelle vague incarnée par Sinner et Alcaraz ?
“Ils sont incroyables. Alcaraz, je le connais depuis longtemps. Je l’ai vu jouer, pour la première fois, quand il avait 14 ans et j’ai suivi son parcours. Je trouve que c’est vachement bien d’avoir ces deux joueurs. Mais j’avoue qu’il faut me laisser un petit peu de temps pour digérer les vingt dernières années avec Roger, Rafa, Novak, Murray, Wawrinka. Je crois qu’on ne se rend pas compte de ce qu’on a vécu pendant plus de vingt ans. C’était une période somptueuse. On parle souvent de qui est le GOAT (NdlR : plus grand joueur de l’histoire), mais c’est l’époque qui était le GOAT.”
Enfin, faut-il déjà enterrer Novak Djokovic ?
“Je ne suis pas la bonne personne à qui il faut poser cette question. J’adore Djokovic. C’est le joueur que j’aurais rêvé d'entraîner. Je veux bien juste porter son sac, il n’y a aucun souci. J’adore son approche, son évolution. J’adore sa manière un peu atypique et holistique de voir les choses, de faire les choses. J’adore la façon dont il a poussé de l’épaule Nadal et Federer. J’aime tout. Ne l’enterrons pas trop vite. Il ne faut jamais enterrer les très grands champions. Roger, c’est terminé. Nadal, attendons qu’il décide de sa fin. Nous, on ne peut pas l’enterrer.”