Henri Leconte nous raconte sa vie rock and roll : “Si on avait été filmé avec des portables, on serait tous en prison”
De passage à Liège pour la promotion de son livre “Balles neuves” et l’enregistrement du Grand Cactus, l’ancien tennisman français Henri Leconte dévoile une vie dingue qui “pourrait être une super série sur Netflix.”
- Publié le 04-04-2024 à 14h58
Henri Leconte était à Liège mercredi. Arrivé dans l’après-midi du Luxembourg où il vit, l’ancien tennisman français (ex-n°5 mondial, vainqueur de la Coupe Davis 1991) s’est posé une heure dans les salons de son hôtel avant de partir enregistrer le Grand Cactus à la RTBF. En pleine relance de la promotion de sa biographie “Balles neuves” (édition Marabout), il a accepté de raconter une vie folle qu’on siroterait plus au champagne qu’à l’eau pétillante avec rondelle de citron qu’il a commandée.
Avez-vous conscience d’avoir une vie rock and roll ?
”Bien sûr ! Ma vie, ça pourrait être un film. Ou une super série sur Netflix. En écrivant mon livre, je me suis souvenu de plein de trucs. Je me suis parfois demandé comment j’avais eu le temps de faire tout ça. Je raconte les coulisses, ce qu’on ne voit pas à la télé.”
Comme une star de rock, vous avez connu des très hauts et des très bas. On vous a pourtant toujours connu avec le sourire.
”Je ne suis pas un agneau mais j’ai quand même la chance d’avoir un bon caractère. Je me lève le matin et je suis heureux, même les jours où ce n’est pas simple.”
À la fin de ma carrière, on me téléphone pour me dire que je n'ai plus rien sur mes comptes.
Comme en 2001 quand vous frôlez la mort à Dublin.
”Oui, j’ai une méningite virale foudroyante sur un tournoi vétéran. J’ai vraiment eu ce tunnel avec deux mains tendues, dont une te dit de venir vers elle et que ce sera génial. Mais je me suis battu et je m’en suis sorti. Il m’a quand même fallu six mois de rééducation pour remarcher. C’est une expérience qui te fait évoluer dans la vie, qui te fait grandir.”
Et quand on vous téléphone un jour de 1997 pour vous annoncer que vous êtes ruiné, comment faites-vous pour ne pas sombrer ?
”C’est violent. C’était à la fin de ma carrière, j’avais mis mon argent de côté pour être bien et il n’y avait plus rien.”
Vous avez gagné 3,9 millions $ en prize money pendant votre carrière. C’est comme si on vous volait un ticket gagnant d’EuroMillions au moment où vous arrêtez de travailler.
”Tu dois quand même retirer pas mal de frais d’un prize money, pour payer tes voyages et tes entraîneurs. Mais c’est clair que je pensais être tranquille après ma carrière et subitement, ce n’était plus le cas. Je m’en suis sorti en me disant qu’il y avait pire dans la vie. Ce gars qui m’a arnaqué (NdlR : le Suisse Jacques Heyer) a fait d’autres victimes. Moi, j’étais à zéro sur mes comptes mais d’autres étaient à moins deux millions. Ils pensaient être à l’aise et ils avaient des dettes énormes. Certains n’arrivent pas à s’en remettre mais je me suis dit que je devais continuer à avancer. Ça sert à quoi de pleurer ?”
On me proposait de la drogue dans mon entourage mais heureusement je me suis réveillé.
Le sujet de la dépression dans le monde du tennis est dans l’actualité, avec notamment Naomi Osaka ou Lucas Pouille. Vous avez joué à une période où on n’en parlait pas alors que votre relation avec le public français a été très compliquée.
”J’étais plus apprécié à l’étranger que dans mon pays. C’est venu plus tard en France. J’ai eu des moments de doute mais j’étais dans le combat. Comme ce match où je suis mené deux sets zéro et 3-1 à Roland Garros (NdlR : contre le Brésilien Motta en 1986). Le public quittait le Central à la fin de deuxième set en rigolant. Je criais : ‘Vous allez voir, je vais gagner ce match’, avec quelques insultes (rires). Quand je suis revenu au score, les gens revenaient et m’acclamaient. Ça me rendait plus fort. Après, je sais que la dépression n’était jamais très loin. Un moment, j’étais proche de tout lâcher. Mon entourage me tirait vers le bas. Des gens qui me proposaient de la drogue, notamment. Heureusement, j’ai toujours résisté et j’ai fini par me réveiller : 'Qu’est-ce que je fous avec ces connards ?’ Je m’en suis sorti mais certains ont sombré.”
À une période, vous étiez aussi la cible des humoristes. Vous incarniez “la lose à la française”. On pense au sketch des Inconnus où vous êtes parodié en “Henri Toubon” écrasé par une sorte de Björn Borg à Roland-Garros.
”Alors que j’ai mis fin deux fois à la carrière de Björn en le battant ! Mais franchement, ça me faisait marrer. Avec ma clope en train de dire que j’aurais pu le battre alors que j’ai pris trois fois 6-0 (rires). J’aime bien qu’on se moque de moi.”
C’est ce qu’il risque aussi d’arriver au Grand Cactus.
”J’espère bien ! J’ai déjà vu ce qu’ils font, ils sont forts.”
On a parlé des très bas mais il y a aussi des très hauts. Sur le circuit ATP, vous avez eu une vie incroyable.
”C’était très différent d’aujourd’hui. On n’avait pas les réseaux sociaux, pas de portable. Les gars maintenant, ils veulent juste se construire une image sur les réseaux. C’est un truc faux. Moi, on m’a proposé plein de fois d’acheter des followers contre une somme d’argent mais ça me sert à quoi ? À notre époque, à la fin d’un tournoi, tous les demi-finalistes, en simple et en double, femmes et hommes, allaient manger ensemble au resto. Tu imagines ça maintenant ? Et je peux te dire que ça donnait souvent de sacrées fêtes.”
Thomas Muster a dit il y a quelques mois dans l’Équipe que vous étiez “aussi fou que votre jeu” et “jamais avare d’une fête”.
”Lui non plus ! Si on avait été filmés et mis sur les réseaux sociaux à l’époque, on serait tous en prison (rires). C’est surtout sur le Senior Tour qu’on a fait des fêtes incroyables. Avec les anciens, on se marrait tellement.”
La fête était folle à Liège, on m'avait fait boire une liqueur avec un serpent dedans.
Vous aviez été bizuté sur ce Senior Tour lors d’une tournée asiatique.
”Le bizutage était simple : pendant une semaine, tu devais faire tout ce que les anciens te disaient de faire. C’était tombé à Tokyo avec McEnroe, Noah, Bahrami, Vilas et Borg. Le pire, c’était Björn. Il cachait bien son jeu mais je peux te dire que c’était un fou. Ils m’ont fait picoler. J’avais même joué un match en étant encore bourré. C’est triste que ce Senior Tour n’existe plus. J’ai entendu que Federer préparait un truc pour faire des exhibitions avec Nadal. Ça peut être sympa mais moins rigolo après les matchs. On avait fait le Senior Tour en 2010 à Liège une fois, quelle folie !”
Racontez.
”On dormait au Sanglier des Ardennes à Durbuy. Le sanglier, il s’en souvient encore. On a fini en buvant de la liqueur avec un serpent dedans. Après, on était quand même là pour assurer le show, avec des dédicaces de McEnroe et Borg. Tu imagines ça aujourd’hui ? Les mecs ne font plus ça. Ils pensent plus au marketing qu’à la passion du jeu.”
À 17 ans à New York, vous croisez le génial tennisman américain Vitas Gerulaitis qui sort d’une Rolls Royce jaune avec quatre mannequins…
”(Il coupe) Et là, je dis : ‘C’est ça que je veux’. Je m’en souviens comme si c’était hier.”
Et vous l’avez eu ?
”Bien sûr ! Sur le circuit, on avait une vie de superstar, avec des paparazzi à la sortie des grands hôtels. J’ai même eu la même Rolls que Gerulaitis mais en vert. Mais ma femme de l’époque ne l’aimait pas et ne voulait pas monter dedans. C’est la seule fois où j’ai gagné de l’argent dans la vente d’une voiture.”
J'avais dit à Forget que si je battais Lendl, je m'achetais une Lamborghini.
Vous aviez aussi parié avec Guy Forget que si vous battiez Ivan Lendl, vous alliez vous acheter une Lamborghini Countach.
”Oui, c’était à la Coupe Davis en 1984. J’ai battu Lendl en trois sets mais je n’ai pas acheté la Lamborghini au final. J’ai bien fait parce qu’on me l’aurait pris dans mes divorces (rires).”
C’est vrai que vous avez célébré des mariages ?
”Oui, neuf mariages. J’avais été élu conseiller municipal à Levallois. Un jour, on me dit que j’étais d’astreinte. Je devais remplacer le maire pour célébrer des mariages. Je me suis bien marré. Les gars tiraient parfois une drôle de tête en me voyant.”
Chez Hanouna, on me disait de changer d'avis 5 minutes avant le direct. Ce n'était pas pour moi.
À 60 ans, avec une telle vie, vous avez encore des rêves ?
”Plein. J’aimerais animer ma propre émission de radio. J’avais un peu fait les “Grandes Gueules” sur RMC mais ce n’est pas une émission. Ça ne fait que gueuler. J’ai aussi fait l’émission d’Hanouna. On te donne les sujets, tu bosses puis à cinq minutes du direct, on te dit que tu dois avoir l’avis inverse de ce que tu penses. Ce n’était pas pour moi.”
Enseigner votre célèbre service volée en coachant des joueurs, ça ne vous tente pas ?
”Je l’ai fait un moment avec les Français mais les mecs ne venaient pas à l’entraînement… Sans prévenir. Je téléphonais et le gars me disait qu’il était à Genève et qu’il ne savait pas se déplacer. Il n’y a pas assez de respect pour les entraîneurs. Quand je vois l’Américain Ben Shelton, un gaucher comme moi, je le ferais progresser d’une force ! Mais aujourd’hui, les gars préféraient taper fort de fond de court. Je trouve ça dommage. Le tennis n’est pas assez varié.”