Garbine Muguruza, celle que le tennis espagnol attendait depuis quinze ans
L'Espagnole poursuit sa montée en puissance au point de s'offrir un première finale en Grand Chelem. Mais qui est cette joueuse qui sort tout doucement de l'ombre de Serena, Maria, Victoria, Petra et les autres ?
- Publié le 10-07-2015 à 12h06
- Mis à jour le 16-04-2016 à 20h16
L'Espagnole poursuit sa montée en puissance au point de s'offrir un première finale en Grand Chelem. Garbine Muguruza. Un nom un peu improbable, mais qui sera facile à retenir, même si les spécialistes du tennis connaissaient déjà cette jeune fille de vingt-et-un ans. Une puncheuse qui donne un coup de fouet à un tennis féminin condamné à se contenter de Maria Sharapova et Serena Williams pour s'offrir un poil de frisson. Fossettes, sourire éclatant, en voila une qui tranche avec le charme froid des "filles de l'Est" de la WTA et la rage toute américaine de Serena. Mais elle est plus qu'un ersatz d'Ana Ivanovic...
Quart de finaliste à Roland Garros cette saison, où seule la patte gauche de Lucie Safarova a réussi à lui barrer la route du dernier carré, la joueuse a "remis" ça à Londres. Mieux, Garbine a frappé bien plus fort que Porte d'Auteuil en éliminant Agnieszka Radwanska, treizième mondiale, en demi-finale de Wimbledon. Ce samedi, elle affrontera Serena Williams pour tenter d'offrir un titre en Grand Chelem que le tennis espagnol attend depuis la victoire d'Arantxa Sanchez à Roland. C'était en 1998. Garbine avait quatre ans.
L'enfant de Caracas
Si c'est sous les couleurs de l'Espagne que Muguruza arpente aujourd'hui les courts, c'est pourtant au Venezuela qu'elle naît, le 8 octobre 1993. Son père, José Antonio, s'installe à Caracas, où il rencontre une certaine Scarlet Blanco. Et le Basque fait trois enfants à cette femme au patronyme digne d'un film de Robert Rodriguez: Igor, Asier et Garbine. Des gamins qui vont donner le goût de la raquette à la frangine, qui quitte son pays natal, direction l'Espagne dans l'année de ses six ans.
C'est plus précisément en Catalogne que la smala Muguruza Blanco s'installe. Aussitôt, Garbine est inscrite à l'Académie de Sergi Bruguera, double vainqueur de Roland Garros (en 1993 et 1994) et ex-numéro trois mondial. C'est dire si le bonhomme sait ce qu'il fait quand il accepte la petite fille qui débarque dans son école. "J'ai débuté là si jeune", se remémore-t-elle, quelques années plus tard. "Je m'y suis toujours sentie aimée et j'ai évolué en tant que joueuse. La vie quotidienne était rude, mais on s'amusait vraiment bien." Elle passera dix ans à la Bruguera Tennis Academy, où elle développe son service et son revers long de ligne. C'est vrai que son 1,82 mètre sous la toise aide forcément à faire cracher les km/h en début d'échange...
Mais si c'est bien en Europe que Muguruza se forme en tant que joueuse, le Venezuela n'a pas oublié sa petite protégée. Surtout quand celle-ci défie les pronos aux Internationaux de France 2014. La fédération met le paquet et se lance dans une cour assidue pour faire en sorte que Garbine représente le Venezuela en Fed Cup. "Muguruza occupe tous les espaces publicitaires" , déclare à l'époque Luis Contreras, patron de la FVT. "Elle serait un modèle pour nous aider à mener à bien ce projet pour le tennis national." Un rôle de Messie que la principale intéressée n'a finalement pas accepté d'endosser. Tout bénèf' pour l'Espagne, qui dispose dès lors d'une paire de reines avec Muguruza et Carla Suarez Navarro, deux potes qui font régulièrement la paire en double également.
Arantxa ? Non, Serena
En 2008, à l'aube de ses quinze ans, l'Espagnole débute sa carrière pro à l'ITF de Barcelone. Un apprentissage difficile, mais qui lui permet de se frotter à de vraies pros, et non plus aux jeunes pousses de chez Bruguera. Au cours de ces années dans l'antichambre de la WTA, elle remporte ses premiers tournois, sur terre battue et sur dur, ce qui démontre déjà sa polyvalence. Elle l'avoue d'ailleurs sans peine, sa surface préférée n'est pas vraiment l'ocre. "J’ai commencé le tennis en jouant sur terre avec mes deux grands frères au Venezuela, mais je préfère le dur qui convient plus à mon jeu d’attaquante", annonce-t-elle.
Et il est vrai que son gros coup droit, ses coups à plat et son physique la rapprochent plus du tennis féminin actuel que ses illustres prédécesseurs que furent Arantxa Sanchez et Conchita Martinez. Pas pour rien que son idole de jeunesse n'est autre qu'une certaine Serena Williams. "Quand je m’entraînais, je pensais à elle: la façon dont elle servait, dont elle jouait tel ou tel coup. Vraiment je l’admire." Il y a pire à prendre comme exemple qu'une fille qui a remporté vingt Majeurs...
Quelle que soit la surface, elle se paye les scalps de Romina Oprandi, ancienne trente-deuxième mondiale, Lara Arruabarrena (classée quarante-deuxième à la WTA à son meilleur niveau) ou encore Alexandra Cadantu (ex-59e mondiale). Pas mal pour une "petite nouvelle" à peine sortie de l'adolescence. Mais le meilleur reste à venir...
Une experte à Mami
Forte de sept titres ITF et de plusieurs victoires convaincantes, elle fait sa joyeuse entrée sur le circuit principal, à l'Open Gaz de France de Paris. Quelques semaines plus tard, c'est le choc. Invitée sous le soleil de Miami, la joueuse de dix-huit ans à peine bat coup sur coup Ayumi Morita, mais surtout Vera Zvonareva, neuvième mondiale à l'époque, et Flavia Pennetta, vingt-sixième mondiale. Sa victoire sur Zvonareva fait d'elle l'une des joueuses les plus inexpérimentées à sortir une "Top 10". Ce n'est en effet que lors de son deuxième match dans le tableau final d'une épreuve WTA que Muguruza réussit cet exploit. Seule Agnieszka Radwanska parvient à arrêter l'ouragan espagnol. Peu importe, ce huitième de finale arraché en Floride lui permet d'intégrer le Top 200 et surtout de se placer parmi les filles à suivre de très près. "Muguruza, ce n'est pas le futur mais déjà le présent" , estime à ce moment Emilio Sanchez. Un gars qui a l’œil...
Car elle remet ça en 2013, toujours sur le ciment de Key Biscayne, en passant sur le corps de Wozniacki, notamment. Une semaine avant, elle claque un huitièmes de finale à Indian Wells. Et entre-temps, elle intègre le Top 100 et c'est maintenant en Grand Chelem qu'elle doit s'affirmer et surtout confirmer les belles choses entrevues au cours des derniers mois. Cette saison-là, elle réalise un mini-Chelem... de deuxièmes tours. En effet, elle réussit à gagner un match à l'Open d'Australie, à Roland Garros et à Wimbledon, mais ne participe pas à l'US Open... ni à aucun tournoi après le Grand Chelem britannique, la faute à une opération à la cheville droite qui la prive de terrain. Une épreuve difficile, mais qui forge son caractère. "J'ai dû recommencer à jouer sur une chaise" , décrit-elle. "Je ne m'attendais pas à gagner beaucoup, mais je savais que j'avais énormément bossé pour revenir. J'étais comme un taureau. A la maison, je me disais 'Si je participe à un tournoi, je vais me battre comme une folle' . Et je l'ai fait." Résultat, elle est regonflée à bloc au moment d'aborder la saison 2014. Celle de sa véritable explosion au plus haut niveau.
Tête de série et tête pleine
2014. Un millésime du meilleur cru pour la jeune Espagnole. Avec en guise d'apéro un premier titre à Hobart. Un tournoi au cours duquel elle réalise un strike contre les Belges. An-Sophie Mestach, Yanina Wickmayer et Kirsten Flipkens, tête de série numéro deux de l'épreuve, tombent chacune à leur tour sous les coups de massue de Muguruza. Une semaine plus tard, elle atteint les huitièmes à Melbourne, en battant à nouveau Caroline Wozniacki, avant de chuter face à... Radwanska, encore elle.
La suite est moins reluisante. Si elle fait une finale sur le ciment de Florianopolis, elle réalise un piètre printemps américain. Et excepté une demie à Marrakech, sa saison sur terre battue n'est guère prometteuse. Mais à Paris, tout se décante, jusqu'à ce tremblement de terre au deuxième tour. Elle atomise la tenante du titre Serena Williams 6/2, 6/2 devant un Central médusé. Un cauchemar pour l'Américaine, mais un rêve éveillé pour son adversaire, dont l'idole de jeunesse n'est autre que... Serena. "Oh, j"ai toujours voulu jouer sur un grand court contre Serena" , dit-elle en conférence de presse, pas vraiment consciente de son exploit. "Aujourd'hui, c'était le grand jour et je me suis bien débrouillée." Tellement bien qu'elle ira jusqu'en quarts de finale, où Maria Sharapova l'évincera, avant de remporter le tournoi.
Cet excellent résultat lui permet d'intégrer le top 30 et de devenir tête de série. Un nouveau statut pour cette passionnée d'Histoire et d'architecture qui emmène toujours un bouquin historique avec elle.
Vers un premier titre en Grand Chelem ?
Cette montée en puissance se poursuit en 2015. Agée de vingt-et-un ans, elle file de nouveau en huitième de finale à l'Open d'Australie. Serena Williams la bat et prend sa revanche de Roland, mais elle doit batailler pendant trois sets. Si on ne pique pas l'ego de la numéro un mondiale impunément, force est de constater qu'il lui est difficile de prendre la mesure de l'Espagnole. Et pourtant, Dieu sait si l'Américaine domine outrageusement le circuit depuis des mois.
Demi-finaliste à Dubaï, elle s'offre un nouveau quart de finale à Paris, où elle échoue face à la Tchèque Safarova, qui sort le tournoi de sa vie à vingt-huit ans. Vingtième mondiale et tête de série numéro vingt au moment d'entamer Wimbledon, elle se débarrasse d'Angélique Kerber, demi-finaliste en 2012, expédie Wozniacki et Timéa Bacsinszky pour atteindre le dernier carré. Une première depuis 1997 pour le tennis ibère. Et l'Espagne se met à rêver. Cette grande jeune fille peut-elle réellement prendre la relève de deux championnes qui n'ont jamais été remplacées ? Peut-elle aller plus loin et, qui sait, remporter le précieux trophée plus de vingt ans après la victoire surprise de Martinez ? Pour aller en finale, il faut déjà battre Radwanska. Finaliste en 2012, demi-finaliste un an plus tard, la Polonaise et son jeu de contre finissent par plier sous les coups de Garbine. Ca y est, elle affrontera une nouvelle fois Serena Williams. "J'ai travaillé toute ma vie pour ça. Je ne trouve pas les mots", confie-t-elle après la rencontre.
Plus question, cependant, de se laisser impressionner par l'aura et les coups de boutoir de la maîtresse absolue du tennis féminin. Puissance, force de caractère, grinta, les deux joueuses sont coulées dans le même moule. L'une est trentenaire, archi-primée et déjà l'un des plus grands noms de l'Histoire de son sport. La seconde est une jeune Hispano-Vénézuélienne qui ne demande qu'à se faire une place parmi les plus grande. Sous le soleil, exactement.
Aurélie Herman