Les grands empires financiers du sport mondial (épisode 5) : Du Pakistan à Jacksonville, Shahid Khan s’offre un succès international
Entreprises ou dirigeants richissimes, ils tissent leurs toiles dans le monde sportif. Aujourd’hui : Shahid Khan, un véritable self-made-man.
- Publié le 01-01-2024 à 10h13
- Mis à jour le 05-01-2024 à 14h14
Tout le monde a entendu parler du fameux “rêve américain”, cette chimère qui pousse des milliers de personnes chaque année à tenter leur chance aux États-Unis. Mais pour certains, cela se transforme en conte de fées. Shahid Khan, lui, vit ce rêve américain. Mais le Pakistanais d’origine n’a pas attendu que cela lui tombe tout cuit dans le bec. Il s’est retroussé les manches toute sa vie pour s’élever dans la société et en faire profiter la ville où il a atterri, il y a 57 ans de cela.
Arrivé à 16 ans du Pakistan, Shahid Khan n’avait que… 500 dollars en poche lorsqu’il a débarqué aux États-Unis. Le septuagénaire en possède maintenant près de 12 milliards, faisant de lui la 159e personne la plus riche du monde, selon le magazine Forbes. Une belle réussite pour un enfant issu certes de la classe aisée, mais qui s’est retroussé les manches pour parvenir à ce résultat.
Khan travaillait de nuit pendant ses études en tant que plongeur et se faisait 1,2 dollar de l’heure. Il rentre alors dans une fraternité (Beta Theta Pi house), histoire de comprendre la société dans laquelle il vit, et apprend l’importance du football à la sauce américaine et du basket-ball en regardant des matchs avec ses coreligionnaires. Il découvre également ce que cela signifie de jouer en Bourse. Mais Khan ne pense pas qu’à s’amuser. Il poursuit sérieusement ses études d’ingénieur tout en commençant à travailler dans une petite entreprise manufacturière, Flex-N-Gate. Le voilà qui grimpe les échelons et finit par racheter la société en 1980, après avoir développé dans sa petite société “Bomper Works” un pare-chocs devenu un standard de l’industrie.
Pare-chocs, golf et tennis
Khan n’est pas fait du même bois que tout le monde. Là où on verrait des problèmes, il distingue des opportunités. Toyota a besoin de pare-chocs avant d’arriver sur le marché américain ? Le Pakistanais se distingue et se rend plusieurs fois par mois à… Jacksonville, pour défendre sa société, avant de signer un contrat d’exclusivité. La fortune grimpe inévitablement. Même les entreprises américaines se rendent compte de la qualité des produits qu’il propose. Il a le vent en poupe mais n’en oublie pas son parcours pour autant. Khan finance donc l’école qui l’a accepté en 1966, à qui il a payé un centre d’entrainement de tennis. L’amour du sport, encore et toujours. S’il a acheté le club de golf, il ne pratique pas spécialement la discipline mais il y organise des dîners d’affaires.
Personne ne connaissait Jacksonville à l'international avant que Khan fasse jouer les Jaguars à Londres.
Les conquêtes se succèdent mais le premier coup d’arrêt de Khan, c’est quand il était intéressé par prendre possession des Rams, avant que Kroenke ne décide d’exercer l’option qu’il avait. L’idée de posséder une équipe de football américain lui trotte toutefois dans la tête. Contacté à plusieurs reprises par les Jaguars, il craque finalement en novembre 2011 et achète la franchise à Wayne Weaver contre 770 millions de dollars. Il sauve littéralement l’équipe et investit près d’un milliard de dollars depuis lors pour la conserver à Jacksonville. Des fonds perdus, vous pensez ? C’est loin d’être le cas. L’équipe est maintenant valorisée à… 4 milliards de dollars, en faisant la 43e équipe, tous sports confondus, à la valeur marchande la plus importante, selon le magazine Forbes. Shahid Khan a le nez fin, même si sa célèbre moustache doit le chatouiller quelque peu. “Les acheteurs qui étaient intéressés ne voulant sans doute pas garder la franchise à Jacksonville. L’équipe était à vendre depuis cinq ans, peut-être plus”, se souvient Shahid Khan.
Modernisation des Jaguars
Devenu citoyen américain en 1991, Shahid Khan s’investit chez les Jaguars. Il investit même beaucoup. Il modernise le stade, enlève les bâches et installe des tableaux d’affichage, les facilités de l’enceinte n’étant pas oubliées. Il a rénové les vestiaires, les salles de musculation et les sièges du club. Alors que Jacksonville n’est pas forcément la ville américaine la plus “trendy”, il en fait une marque internationale en jouant un match par an à Londres. Les Jaguars ne sont plus la risée de la NFL, même s’ils n’ont pas encore participé au Super Bowl. Mais tout semble possible avec Trevor Lawrence dans les bagages. “Personne ne connaissait Jacksonville à l’international avant que Khan fasse jouer les Jaguars à Londres”, reconnaît l’ancien maire Lenny Curry.
Londres, justement, une ville qui lui tient à cœur. Car en 2013, soit quelque temps après avoir acquis les Jaguars, Khan met quelque 300 millions de dollars pour se porter acquéreur de Fulham, Mohamed Al Fayed n’arrivant plus à permettre à son club de se distinguer. “M. Al Fayed me donne la chance et la responsabilité de devenir le nouveau guide de Fulham, expliquait, à l’époque de l’achat, Shahid Khan. Je suis extrêmement honoré d’accepter et je veux le remercier, de la part de tous ceux qui aiment Fulham, pour ses 16 ans de travail exceptionnel à la tête du club. Il l’a sauvé et en a fait un bon club de Premier League. Ma priorité est d’assurer que le club et le stade Craven Cottage aient tous deux un avenir durable en Premier League.”
L’ascenseur Fulham
Pas facile malgré tout de se faire une place dans le football. Pour sa première saison à la tête du club, les Cottagers prennent l’ascenseur, direction le Championship, dont ils s’extirperont au bout de la saison 2017-18, avant de redescendre dans la foulée pour mieux remonter ensuite. Mais si les finances de Khan sont stables, ce qui lui permet de lancer le réaménagement du stade, le club l’est moins et replonge en D2.
C’est alors que l’ancien Anderlechtois Aleksander Mitrovic joue alors les héros et permet à Fulham de remonter en Premier League après la saison 2021-22. “La première fois que je suis venu à Londres, c’était en 1967, se souvient le milliardaire. J’y suis retourné de très nombreuses fois. Le paysage depuis les sièges de l’étage supérieur, quand vous voyez toute la ville devant vous, cela va vous époustoufler. L’expérience le jour du match sera unique. Assis au bord du fleuve, avec les parcs… C’est incontestablement le plus beau club de la planète.”
Le paysage depuis les sièges de l'étage supérieur, cela va vous époustoufler.
Shahid Khan se plaît à Londres, où il a même failli racheter le stade de Wembley contre 674 millions d’euros, avant de retirer son offre. “Le but de mes efforts a été, et est, d’être juste avec tout le monde de manière à renforcer le football anglais et rassembler les gens, de ne pas les diviser”, assurait-il.
Concurrent de la WWE
Mais qu’il soit américain ou à l’européenne, le football n’est pas la seule passion de Shahid Khan. Il lance ainsi en 2019 avec son fils Tony une fédération de catch, la All Elite Wrestling (AEW), basée à… Jacksonville, évidemment, et qui est devenue au fil des années la deuxième plus grosse fédération de catch. Pourtant, il n’y croyait pas vraiment. “Je ne pensais pas que c’était une bonne idée, a-t-il avoué à Forbes. Mais j’ai dit à Tony : “Écoute, quand je ne serai plus là et que je serai mort, je vais te laisser, à toi et à ta sœur, beaucoup d’argent. Pourquoi ne pas en gaspiller tant que je suis en vie ?””
Il faut croire que le flair ne l’a pas quitté, vu le succès. “Il adore venir aux soirées de catch ; cela signifie beaucoup pour moi”, souligne Tony Khan. Son paternel pourrait même carrément racheter la WWE afin de créer un superpouvoir dans le domaine. L’homme d’affaires a les reins assez solides : son portefeuille est passé en 2022 de 4,5 milliards de dollars à plus de 12 milliards…