La progression du rugby japonais sous la loupe
Qualifié pour le premier quart de finale de son histoire, le Japon a su modifier son approche du top niveau.
- Publié le 17-10-2019 à 08h40
- Mis à jour le 17-10-2019 à 15h12
Qualifié pour le premier quart de finale de son histoire, le Japon a su modifier son approche du top niveau. Quatre matchs de poules, quatre succès dont deux contre les équipes du Tier 1 (NdlR : top mondial selon World Rugby), l’Irlande et l’Écosse. Le Japon décroche son premier ticket pour les quarts de finale du Mondial. Un quart contre les Springboks pour espérer reproduire le miracle de Brighton en 2015 où les Brave Blossoms s’étaient imposés à l’Afrique du Sud dans un match de fou (34-32) et pour effacer le test perdu contre ces mêmes Boks en préparation il y a un mois (41-7).
Mais ce parcours enivrant ne fut pas toujours un long fleuve tranquille. Tant s’en faut même si le Japon s’appuie dorénavant sur les certitudes acquises pendant la phase de poules où il n’a cessé de progresser.
Si la fédération nippone vit le jour dès 1926, le rugby du pays du Soleil levant dut patienter jusqu’au Mondial 2015 et l’exploit contre les Boks pour que l’élan populaire prenne forme et que les joueurs soient starifiés sur papier glacé. La voie royale jusqu’en 2019. Enfin, le croyait-on… car le soufflé retomba très vite. Il aura fallu le succès face aux Irlandais lors du match inaugural de leur Mondial pour que les Brave Blossoms réapparaissent sur les écrans des métros ou à la une des journaux télévisés. Le moment d’un match, c’est la fraternité ponctuelle avant que très vite la rue ne retrouve son quotidien minutieusement réglé et que les maillots rayés blanc et rouge ne soient rangés dans l’armoire. Hormis quelques exploits éphémères au fil des décennies, le Japon mettra du temps pour construire son style, adaptant son jeu en fonction de ses joueurs, plus petits que leurs adversaires sans pour autant éviter des débuts compliqués en Coupe du monde et la raclée des œuvres des All Blacks en 1995 (145-17).
C’est le début de la professionnalisation du rugby mais le rugby japonais reste structuré autour de ses universités et de ses équipes d’entreprises. Un rugby d’entreprise qui reste un frein à son essor. Il fallut attendre 2003 et la création de la Top League, un championnat national, dont l’objectif était d’élever le niveau et regagner en popularité mais la date clé fut 2009 et le choix du Japon pour accueillir le Mondial dix ans plus tard. C’est l’Australien Eddie Jones qui mit en place une sélection acharnée en choisissant d’intégrer massivement des talents non japonais, à commencer par le capitaine Michael Leitch, natif de Christchurch.
Le Néo-Zélandais Jamie Joseph prit la relève avec un style plus humain mais une préparation tout aussi intensive. La franchise des Sunwolves vit le jour en 2016 et intégra le Super Rugby pour former l’ossature de l’équipe nippone largement composée de joueurs d’origine non japonaise.
Certains joueurs ont profité de la flexibilité du règlement imposé par World Rugby pour intégrer l’équipe japonaise. Après avoir joué trois ans consécutifs en Top League, on devient sélectionnable chez les Brave Blossoms. Cette règle est l’une des trois exceptions fixées par World Rugby permettant à un sportif étranger de jouer pour une autre équipe nationale que celle de son lieu de naissance. Pour freiner le phénomène, World Rugby a décidé en 2017 de modifier cette règle. En 2021, cette exigence de résidence passera de trois à cinq ans.
Cela étant, le Japon est prêt à écrire une nouvelle page de son histoire contre les Springboks, fort d’une équipe qui possède des jambes derrière mais qui sait dorénavant rivaliser dans le combat au près…
Enfin une vraie Top League ?
La Franchise des Sunwolves quittera le Super Rugby en 2021 faute de résultats. Début de cette semaine, le Japon (7 e) a dépassé la France au classement mondial. Tout un symbole. Le fruit de quatre succès en matchs de poules qui fera peut-être définitivement s’envoler le ballon ovale au pays du Soleil levant. Car derrière cette façade mirifique, le rugby japonais est à un tournant de son histoire. Détenus par de grandes entreprises, les principaux clubs de rugby peuvent s’offrir des joueurs de classe mondiale attirés par les gros salaires, mais l’affluence aux matchs de Top League, désespérément faible, pourrait conduire à une profonde réforme du championnat national après le Mondial. La Top League, c’est le championnat de clubs de grandes entreprises (Toyota, Honda…) mais ne représentent pas une ville ou un stade. Pour améliorer la qualité de jeu et séduire enfin le public, les cadors du rugby nippon avaient beaucoup misé sur un nouveau club basé à Tokyo, les Sunwolves, première équipe japonaise à avoir rejoint, en 2016, le Super Rugby mais leurs organisateurs ont décidé d’écarter les Sunwolves du tournoi après la saison 2020, au vu de leurs piètres résultats jusqu’à présent. Un nouveau championnat national nippon à 12 clubs, composés de joueurs 100 % professionnels, est envisagé à l’horizon 2021. Mais pour l’heure, l’importance de la franchise des Sunwolves a acquis tous son sens pour ce Mondial puisque les joueurs ont bénéficié d’une saison de championnat raccourcie et d’un temps de jeu aménagé en Super Rugby. Le Japon avait bien caché son jeu…
La communion avec le public est totale
Les Springboks ont remporté à deux reprises la Coupe du monde mais cela ne les empêche pas d’avoir peur des Brave Blossoms qu’ils défieront dimanche en quart de finale au point de redouter le bruit assourdissant des supporters japonais qui électrifieront l’atmosphère comme le précise le Bok Herschel Jantjes. “Ça va être difficile de communiquer sur le terrain mais on va trouver une solution pour s’en sortir…” Des mots qui témoignent que tout un pays pousse désormais les Brave Blossoms pour les porter le plus loin possible. Dans tout le pays, c’est la ferveur au point que les stocks des maillots des Brave Blossoms sont épuisés et que les records d’audience sont pulvérisés… Lors du défi décisif face aux Écossais à Yokohama, le stade était complètement rouge et blanc. “Une incroyable source de motivation”, soulignait le sélectionneur Jamie Joseph. Et les joueurs de clamer à l’unisson : “Nous ne jouons pas que pour nous mais pour tout un pays.” Une nation touchée par le passage du typhon Hagibis qui a tué au moins 70 personnes.