Histoires d’Or : le rêve éveillé de Gaston Reiff, qui offre à la Belgique une première médaille d’or en athlétisme, aux Jeux de Londres en 1948
La DH raconte les 43 médailles d’or olympiques de la Belgique (26/43). Les Jeux 1948 de Londres vont entrer dans l’Histoire pour la Belgique, avec une première victoire en athlétisme, grâce au Brainois qui gagne le 5 000 m devant la légende Zatopek.
- Publié le 17-04-2024 à 13h22
- 26 (2 août 1948) Gaston Reiff > Athlétisme (5 000 m)
- 24 février 1921-6 mai 1992. Né à Braine-l’Alleud
D’Amsterdam 1928 à Berlin 1936, en passant par Los Angeles en 1932, l’or olympique bouda les sportifs belges durant trois Olympiades. L’augmentation du nombre de participants, et de pays différents, accroît l’adversité et nuit clairement à nos performances. Trois médailles à peine dans la capitale néerlandaise (une en argent et deux en bronze) ; zéro pointé en Californie où, il est vrai, seuls 8 Belges (dont 7 escrimeurs) se déplacent – le voyage en a découragé plus d’un – ; et deux médailles de bronze seulement à Berlin, où la concurrence était plus forte que jamais puisqu’on dépassa pour la première fois la barre des 4 000 concurrents.
À cause de la Seconde Guerre mondiale, Helsinki est annulé en 1940 (postposé finalement en 1952), et Londres 1944 est reporté de quatre ans.
C’est dans la capitale anglaise, en 1948, que se produisit l’un des plus grands exploits sportifs belge du XXe siècle. Jamais notre pays n’avait remporté une épreuve d’athlétisme aux Jeux olympiques. Et imaginer la plus haute marche du podium dans le 5 000 m de ces JO 1948 de Londres, avec la légende tchécoslovaque Emil Zátopek, déjà médaillé d’or sur 10 000 m, au départ, était utopique. Mais ce 2 août 1948, un Gaston réalisa ce rêve. Gaston Reiff.
Inimaginable quelques semaines avant les Jeux. Un mois avant Londres, l’athlète brabançon de 27 ans fut en effet fauché par une voiture alors qu’il attend le tram. Fortement contusionné, blessé à la tête mais surtout à la cuisse, le Brainois doit interrompre son entraînement pendant trois semaines ! Une tuile…
De plus, ce 2 août 1948, il pleut des cordes sur la capitale anglaise, des conditions qu’exècre Gaston Reiff, lui qui adore le soleil. La piste en terre battue de Wembley est gorgée d’eau. Une tuile…
Emil Zátopek sait que Reiff est plus rapide que lui au sprint. La “Locomotive tchécoslovaque” n’a donc qu’une idée en tête au moment de démarrer ce 5 000 m : lâcher le Brainois via un train assassin, sa marque de fabrique qui construira la plupart de ses succès (le Tchèque réalisa aussi le triplé 5 000-10 000-marathon en 1952) et lui vaudra son surnom. Après 3 kilomètres pourtant, non seulement Reiff n’est pas lâché, mais il tente un démarrage, et se détache. À la cloche, on pense que plus rien ne peut arriver au Belge, qui possède vingt mètres d’avance sur le Néerlandais Slijkhuis et cinquante sur le natif de Koprivnica. Pourtant, alors que Reiff montre des signes de fatigue, la locomotive tchèque se met en route : Emil Zátopek dépasse Slijkhuis, puis résorbe la moitié de son retard sur Gaston, qui, inquiet, se retourne plusieurs fois, visiblement à bout. Les 90 000 spectateurs de Wembley exultent. À mi-dernière ligne droite, Zátopek, dont les foulées résonnent sur la piste détrempée et dans le dos du leader, n’est plus qu’à dix mètres de Reiff, qui puise dans des ressources insoupçonnées pour s’imposer en 14:17.6, avec deux dixièmes d’avance.
Les photographes immortalisent cet instant magique : le Brainois, dossard 195, maillot maculé de boue, crâne dégarni, bras au ciel, passe la ligne quelques centimètres devant Emil Zátopek. Un cliché pour l’éternité…
”Je craignais le sprint de Slijkhuis et le train de Zátopek, expliqua Reiff. C’est pourquoi, à quatre tours et demi de la fin (1 800 m), j’ai démarré. Je pensais entraîner Zátopek avec moi et j’espérais, ensuite, le battre au sprint. Mais quand je me suis retourné, le Tchécoslovaque n’était pas là. Je devais, alors, foncer. Tout seul.” Puis, quand les 90 000 spectateurs ont crié, et Gaston a rembrayé. “Sans cette clameur, je ne me serais jamais rendu compte du retour fracassant de Zátopek. J’ai puisé dans mes dernières réserves pour tenir le coup.”
Épuisé, Reiff ne s’aligna pas ensuite sur le 1 500 m de Londres. Le Brainois revint aux JO à Helsinki en 1952, mais, après sa 3e place qualificative dans sa série remportée par Alain Mimoun, il abandonna en finale. Et assista au sacre d’Emil Zátopek, son successeur, devenu aussi son ami depuis quatre ans et jusqu’à sa mort…
Multiple champion de Belgique et auteur de 26 records nationaux, Reiff détint aussi trois records du monde dans sa carrière, dans des disciplines peu courues : celui du 2 000 m en 1948, du 3 000 m en 1949 (seulement battu en 1955) et du 2 miles en 1952. Et il fut lauréat du Trophée national du Mérite sportif en 1946.
Après avoir quitté les pistes, Gaston Reiff est longtemps resté dans le monde du sport. Échevin, notamment des Sports, à Braine-Alleud de 1953 à 1958, où le stade porte toujours son nom, il fut aussi conseiller à l’Ineps puis à l’Adeps. Il est décédé d’une double pneumonie le 6 mai 1992 à l’âge de 71 ans.