René Weiler se confie: "Avec moi, Tielemans et Dendoncker sont devenus Diables"
À la veille de Belgique - Suisse, René Weiler nous reçoit à Zurich. Un peu plus d’un an après son départ mouvementé d’Anderlecht, il se dit prêt à revenir un jour travailler chez nous, mais sans doute plus au Sporting.
- Publié le 12-10-2018 à 07h10
- Mis à jour le 12-10-2018 à 09h15
À la veille de Belgique - Suisse, René Weiler nous reçoit à Zurich. Un peu plus d’un an après son départ mouvementé d’Anderlecht, il se dit prêt à revenir un jour travailler chez nous, mais sans doute plus au Sporting. En ce mercredi d’octobre, le centre-ville de Zurich est paisible. Le festival du film et Judi Dench, invitée d’honneur ce soir-là, ne perturbent pas l’étonnante tranquillité de l’un des poumons économiques du pays. Le trafic est calme et fluide dans les artères principales. Seul le bruit des nombreuses grosses cylindrées allemandes se fait entendre. "C’est différent de Bruxelles, hein ?", rigole René Weiler.
L’entraîneur du FC Lucerne nous avait fixé rendez-vous au Zürichberg Hotel, sur les hauteurs de la ville. La balade est jolie depuis le centre. On passe devant l’école polytechnique où Albert Einstein a été diplômé après avoir redoublé une année avant d’y enseigner. Juste avant d’arriver à l’hôtel, on aperçoit encore le centre d’entraînement de la Fifa. La vue sur le lac de Zurich est splendide. "J’habite un peu plus haut. C’est une superbe région. Lucerne n’est qu’à une heure de route. Et c’est encore plus beau que Zurich. Pour beaucoup, c’est même la plus belle ville de Suisse."
C’était parti pour 3 h 30 avec l’entraîneur de l’année 2017. Précisons encore que l’entretien a été réalisé avant le scandale qui frappe le football belge depuis mercredi. Recontacté, René Weiler a préféré ne pas s’exprimer sur le sujet.
Cela fait un peu plus d’un an que vous avez quitté Anderlecht. Comment allez-vous ?
"Très bien. Cette année a été très riche pour moi."
Vous êtes resté neuf mois sans emploi avant de vous engager à Lucerne. Comment avez-vous occupé votre temps ?
"J’ai beaucoup voyagé. J’ai rendu visite à de nombreux clubs de haut niveau dans les plus grands championnats. J’ai aussi lu et étudié, notamment un peu d’espagnol. J’ai pris du temps pour ma famille et moi."
Après les confrontations avec Manchester United en Ligue Europa et le Bayern Munich en Ligue Europa, vous aviez reçu des compliments de Jose Mourinho et Carlo Ancelotti. Leur avez-vous rendu visite ?
"Non, pas de visite là-bas mais j’ai gardé un contact avec eux. Mais de toute manière, c’est le contenu qui est crucial, pas les contacts. L’important, c’est de continuer à apprendre et progresser."
Un entraîneur peut apprendre sans avoir de job ?
"Bien sûr. Vous n’arrêtez jamais d’apprendre. Les gens intelligents apprennent quelque chose tous les jours. Peu importe où ils se trouvent et ce qu’ils font."
Pourquoi avez-vous choisi le FC Lucerne, petit club de D1 suisse ?
"D’abord et avant tout pour ma famille. J’avais négligé ma femme et mes enfants ces dernières années. Mon fils aîné a 17 ans et joue en troisième division en Suisse. J’avais aussi envie de le suivre. Et mon petit dernier a 5 ans et j’ai envie de le voir grandir. Mon père est décédé quand j’étais à Anderlecht et mes beaux-parents ne rajeunissent pas. La vie peut être courte. Il ne faut pas perdre de vue les choses les plus importantes."
C’est pour ça que vous aviez refusé l’offre d’Al Shabab ?
"Oui. Je suis allé jusqu’en Arabie saoudite mais j’ai finalement refusé. Ce n’était pas le moment idéal pour ma famille."
Avec tout le respect qu’on peut avoir pour le FC Lucerne, on vous attendait dans un club plus réputé après votre titre de champion, votre trophée d’entraîneur de l’année et votre quart de finale en Ligue Europa.
"Le destin d’un entraîneur dépend de beaucoup de choses. On ne maîtrise pas tout et c’est un milieu difficile. Un milieu où beaucoup sont incapables de reconnaître les vraies qualités d’un entraîneur. Prenons les résultats, ils sont avant tout le produit de la force d’une équipe. Le défi est très grand à Lucerne vu le budget très limité (NdlR : environ 5,5 millions d’€ par an). L’objectif est d’abord de se maintenir et de former des jeunes."
Justement, trop peu de jeunes sont sortis pendant votre mandat à Anderlecht.
"J’ai toujours aimé former des jeunes. À Anderlecht, des gens ont dit beaucoup de bêtises à ce sujet, uniquement pour me faire du mal."
Peu de jeunes sont quand même sortis durant votre période à Anderlecht.
"Et Tielemans ? Et Dendoncker ? Ce ne sont pas des jeunes ? J’ai aussi souvent fait jouer Roef et Sowah, par exemple. Quatre jeunes sur une saison, ce n’est pas mal du tout. Et le plus important était de remporter le titre."
Tielemans et Dendoncker jouaient déjà avant votre arrivée.
"Oui mais à un niveau modeste. J’en ai fait le moteur de mon équipe. J’ai réussi à les faire progresser. Et, au final, Tielemans est parti pour un montant record en Belgique (NdlR : 25 millions). Et Dendoncker a aussi rapporté beaucoup d’argent cet été (NdlR : 15 millions), même s’il a perdu de sa valeur la saison après mon départ."
Gardez-vous un souvenir amer de vos 15 mois à Anderlecht ?
"Non, c’était une période agréable. J’ai réussi ma mission là-bas, même si j’aurais aimé aller encore plus loin. La fin n’était pas belle mais c’est le football…"
Les critiques étaient parfois virulentes à votre sujet. Votre philosophie du jeu ne plaisait pas à beaucoup de monde.
"Je suis avant tout heureux pour tous ceux qui sont satisfaits du niveau de jeu qu’il y avait avant moi et qu’il y a après moi. Pour les stupides : j’ai repositionné Anderlecht sur le plan national et international. J’ai fait augmenter la valeur de plusieurs joueurs importants. Le travail avec notre staff était excellent. Ce qui était mauvais, c’était la vision des choses de certains journalistes misérables."
Les anciens estimaient que vous ne respectiez pas la tradition du club.
"Mais la tradition ne fait pas gagner de matches. Ce sont avant tout les résultats qui importent. Je n’ai pas obligé mes enfants à regarder les dessins animés que j’aimais quand j’étais petit. Ils s’en foutent de trucs d’avant, ils veulent les nouvelles choses. Les temps ont changé. Il ne faut pas vivre dans le passé. Je ne comprenais vraiment pas ce reproche. Il faut intégrer le passé, pas vivre dans le passé."
Sur la fin de votre mandat, on avait l’impression que vous détestiez la Belgique entière.
"Au début, j’étais déçu par le manque d’objectivité. Mais j’ai passé de très beaux moments en Belgique, j’y ai rencontré beaucoup de personnes très intéressantes. J’ai refusé toutes les demandes d’interview de Belgique pendant quelques mois mais je sais faire la part des choses car tous les journalistes n’étaient pas contre moi. Et tous les supporters assez intelligents évaluaient correctement mon travail. Après mon départ, j’ai d’ailleurs reçu pas mal de mails de fans d’Anderlecht. Ils me remerciaient pour mon boulot au RSCA."
Vous pourriez retravailler en Belgique un jour ?
"Ce n’est pas exclu. Réussir à être champion de Belgique avec un autre club bien géré, ce serait sympa (sourire)."
Vous avez suivi la Coupe du Monde des Belges ?
"J’étais même l’analyste de la Belgique pour une chaîne de télé suisse. Vous voyez que je ne suis pas rancunier (rires). Après votre premier match contre le Panama, j’ai dit que les Diables pouvaient être champions du monde. Au final, ce n’est pas passé très loin. C’était un ensemble de joueurs fantastiques et d’un excellent entraîneur."
Les Diables ont été sortis par la France qui a joué défensivement et qui a marqué sur une phase arrêtée. Vous avez dû apprécier.
"J’ai surtout tiré une grande conclusion de cette Coupe du Monde : avoir la possession du ballon ne fait plus gagner les matches. Les erreurs sont vraiment à proscrire car les contre-attaques sont rapides et dangereuses dans de nombreuses équipes."
Après son Mondial catastrophique, Joachim Löw, votre ancien équipier à Winterthur, a tiré la même conclusion, reconnaissant qu’il s’était trompé dans sa philosophie de jeu basée sur la possession du ballon.
"Et à Anderlecht, on m’a pourtant reproché de tirer cette même conclusion bien avant beaucoup de gens dans le monde du football. Mais, peu importe. Les succès obtenus en 2016-2017 avec Anderlecht m’avaient conforté dans mes choix. J’avais bien anticipé le football qu’il fallait jouer."
Hein Vanhaezebrouck, votre successeur, prône, lui, un jeu de possession.
"Pour tout vous dire, je ne suis presque plus ce qu’il se passe à Anderlecht. Je regarde toujours vers l’avenir. Mais pour être honnête, je trouve le jeu de possession de balle ennuyeux. Je veux voir des actions dans les zones dangereuses, devant le but. Si je regarde un match où le ballon est poussé du milieu vers la gauche, puis à nouveau vers le milieu, puis vers la droite, j’éteins la télévision…"
Vous êtes déjà revenu en Belgique depuis votre départ le 18 septembre 2017 ?
"Non, pas encore."
Même pas pour le match Belgique - Suisse de ce vendredi ?
"Non. Par contre, je serai dans les tribunes pour le match retour. Cela se jouera justement dans le stade de Lucerne."
Les Suisses peuvent-ils embêter les Diables, actuels numéros 1 au classement Fifa ?
"Ce sont deux équipes talentueuses mais la Belgique a quand même plus de qualités individuelles. Mais notre équipe nationale est aussi ambitieuse. Comme en Belgique, on est convaincu qu’on peut gagner un titre un jour."
Quelle est la force de cette équipe suisse ?
"C’est une équipe construite depuis plusieurs années, c’est donc une vraie équipe. Tous les joueurs évoluent dans les grands championnats européens. Je vois juste un point faible : la capacité à marquer des buts. On n’a pas ce grand attaquant capable de faire la différence dans un grand match."
Parmi tous les Diables, lequel vous plaît le plus ?
"Je dois dire que j’adore Kevin De Bruyne. Il est capable de réaliser des gestes exceptionnels et efficaces. Pour moi, il représente exactement le football moderne tel qu’il doit être."
En Belgique et en Suisse, peu de joueurs de l’équipe nationale proviennent de leur propre championnat. Vous connaissez bien les deux compétitions, laquelle est la plus forte ?
"La compétition belge est un peu au-dessus quand même. En Belgique, le championnat est intéressant et excitant, grâce à sa formule. Il y a aussi plus de moyens financiers. En Suisse, les Young Boys de Berne et le FC Bâle ont des budgets beaucoup plus grands que les autres. Ils dominent la compétition depuis des années. Pour le dire franchement, c’est devenu un peu ennuyeux."