De Conakry à Liverpool, le grand huit du paradoxe Naby Keïta
Le milieu de terrain de Liverpool a hérité du légendaire numéro de Steven Gerrard.
- Publié le 29-12-2018 à 15h46
Le milieu de terrain de Liverpool a hérité du légendaire numéro de Steven Gerrard.
"Je le regardais quand j'étais gamin et je l'admirais énormément. On jouait dans les rues en portant un maillot de Liverpool, car mon père adorait ce club. Je voulais être comme Steven Gerrard. Pas comme quelqu'un d'autre. C'était lui le boss de l'équipe." "Mon préféré toute catégorie, ce serait Andrés Iniesta. Pour sa touche de balle, ses qualités." Quand Naby Keïta évoque ses idoles dans les colonnes du Telegraph, on peut aisément distinguer le profil du joueur de 23 ans, né le 10 février 1995 à Conakry. Un jeune gars dont le surnom était Deco, tant son paternel voyait en lui une réincarnation de l'ancien meneur de jeu de Porto et du Barça.
Même numéro (le fameux huit), même poste, le Guinéen possède pourtant une dose d'agressivité en plus qui le range dans la catégorie des récupérateurs-accélérateurs, plus que des distributeurs comme le fut notamment Don Andrés au Barça. "Je suis agressif, mais dans le bon sens du terme et je pense qu'un médian doit posséder cela en lui", se défend-il. "Mon but premier, c'est de bien défendre et ne pas encaisser. Mais je sais aussi apporter des munitions aux attaquants." Et il sait aussi dribbler. L'année passée, il était même le deuxième meilleur joueur de Bundesliga dans l'art délicat du gri-gri (2,5 dribbles réussis par match), un championnat qui ne regorge il est vrai pas de petits artistes à la Lionel Messi.
Mélange des genres
Il n'empêche, Keïta est un paradoxe. Capable de faire virevolter ses adversaires par sa technique et sa vitesse, tout en dégustant neuf biscottes jaune et trois rouge l'an passé. Pour le moment, le joueur n'a pris que deux jaune, dont une seule en League Cup. Peut-être parce qu'il s'est un peu calmé, passant de 3,4 tacles tentés par rencontre à seulement 2,1... Ou alors est-ce la légendaire tolérance des refs anglais qui lui permet de garder un tableau vierge ?
Plus que d'agressivité, c'est surtout de volonté dont a dû faire preuve ce petit format (1,72 mètre pour 64 kilos) pour atteindre son rêve. Après sept ans passés au Horoya AC, il file en France à l'âge de seize ans, tout ça pour se faire jeter par Lorient et Le Mans. Une expérience dont le joueur se rappelle avec douleur sur le site de la Bundesliga. "C'était plus difficile que je le pensais, car à part la langue, tout était différent", explique-t-il. "Je me suis même demandé si j'allais y arriver un jour. C'était tellement dur. Vous touchez votre rêve du doigt et tout s'écroule. Et vous devez tout recommencer depuis le début."
The eye of the Houllier
Ce début prend les airs d'un tournoi disputé à Marseille. Coup de bol, les scouts d'Istres, alors en Ligue 2 sont attentifs aux perfs de ce gamin hyperactif au milieu. "On l'a vu un matin à l'entraînement, et on a tous assez vite compris qu'il avait un truc en plus", témoigne Fouad Chafik, un ancien équipier chez les Aviateurs.
Il reste donc dans le sud de la France une saison, le temps de se faire à nouveau repérer, cette fois par une pointure du foot franco-européen : Gérard Houllier. Double coup de chance, l'ex-coach de... Liverpool est à l'époque partie intégrante du "projet Red Bull". Impressionné par le jeune homme, il le guide et surtout le fait signer à Salzbourg (où il signe le doublé coupe-championnat deux saisons consécutives), histoire de l'aguerrir un peu avant de le lancer dans une grande compétition, à Leipzig, le grand frère ailé.
C'est la révélation. Aussi à l'aise en tacleur-rageur qu'en dribbleur-grugeur, il excelle surtout dans l'art du duel. En 2016-2017, c'est d'ailleurs lui le milieu de terrain le plus costaud dans ce domaine sur les cinq grands championnats. Mieux, son apport ne se limite pas qu'à exploiter les espaces laissés par les adversaires une fois le ballon récupéré. Il marque (dix-sept buts en deux saisons) et fait marquer (quinze passes décisives). Des stats plus qu'intéressantes pour celui qui devient vite l'un des box-to-box les plus redoutés d'Europe.
Un coup de rouge
Comme d'hab', ce sont les Anglais qui se pressent pour recruter celui qui est vite comparé à N'Golo Kanté. C'est Liverpool qui arrache un deal durant l'été 2017, pour un transfert définitif un an plus tard, moyennant une somme de 60 millions d'euros. Un total qui en fait le joueur africain le plus cher de l'histoire ! C'est dire si l'attente est grande autour d'un gars qui était encore quasi inconnu il y a deux ans. Mais c'est presque logique, tant le jeu nerveux et punchy de Jürgen Klopp correspond aux qualités de Keïta. Des regrets, Jürgen ? "Il a connu un très bon départ", se félicite le coach allemand. "C'est un joueur exceptionnel, qui sera très important dans le futur de Liverpool et qui l'est déjà actuellement." En réalité, seul un bobo musculaire l'a jusque-là empêché de développer totalement son football.
Là encore, Houllier joue un rôle prépondérant en le poussant vers Anfield Road. Une autre personne l'aide à s'établir au sein d'un vestiaire de stars : Sadio Mané, qu'il avait déjà connu à Salzbourg. "Il m'a aidé à bien des points de vue : la langue, pour me faire des amis, pour mieux comprendre le club, la ville", raconte-t-il, toujours sur le site de la BuLi. "Il est toujours curieux, afin de s'améliorer et dans ce sens, on se ressemble. C'est comme un frère pour moi."
Keïta et Mané, deux frères, et aussi deux équipiers qui brillent au sein d'un collectif qui n'a jamais paru aussi soudé. Et surtout proche d'un titre qu'attend le public rouge depuis près de trente ans. Si son fiston parvenait à aller au bout avec les Reds, Sekou Keïta serait sans doute aux anges...