Euro 2020: la folle épopée du Kosovo, petit dernier du foot devenu grand
La plus jeune nation de l'UEFA impressionne, au point de n'avoir plus été battue depuis près de deux ans.
- Publié le 10-09-2019 à 16h46
- Mis à jour le 10-09-2019 à 16h58
La plus jeune nation de l'UEFA impressionne, au point de n'avoir plus été battue depuis près de deux ans. Le 5 septembre 2016, le petit dernier du foot européen dispute son premier match officiel. En effet, c'est ce jour-là que le Kosovo affronte la Finlande (1-1). Le tout, huit ans après que ses autorités aient auto-proclamé l'indépendance de ce petit pays de 1,9 million d'habitants, disant ainsi au revoir à la Serbie. Un État dont l'Histoire s'entremêle avec celle du Kosovo, jusqu'aux atrocités commises à la fin des années 90 par l'armée d'une Serbie alors toujours dirigée par Slobodan Milosevic. Des exactions qui feront des milliers de morts et des millions de déplacés.
Une histoire extrêmement complexe, à travers laquelle une équipe de foot a réussi à se frayer un chemin, même si l'État kosovar en tant que tel n'est toujours pas unanimement reconnu (il ne fait d'ailleurs pas partie de l'ONU). Qu'importe, depuis plus de trois ans, il a réussi à se constituer une squad qui tient la route, grâce notamment à une diaspora dont les tentacules se perdent en Norvège, en Suisse, en passant par la Suède et l'Allemagne. Voire la Belgique, étant donné qu'en 2014, Adnan Januzaj aurait pu opter pour cette sélection, avant que Marc Wilmots ne l'embarque pour la Coupe du monde.
À tel point qu'aujourd'hui, le pays se met à rêver d'une qualification pour l'Euro 2020 via les playoffs de la Ligue des Nations, mais pas que ! Versés dans le groupe A de l'Angleterre, la République tchèque, du Monténégro et de la Bulgarie, les Kosovars n'ont qu'un seul point de retard sur les Three Lions, qu'ils affrontent ce mardi soir à Southampton (mais un match de plus il est vrai). Invaincus depuis quinze rencontres, leur bilan dans ces qualifs est de deux nuls et deux victoires. Fou pour un pays-confetti de 11 000 km² (trois fois moins que la Belgique). Et si. Et si le Kosovo parvenait à se qualifier pour un tournoi international, trois ans à peine après ses débuts officiels ? Après tout, la Croatie n'en a mis que sept pour atteindre le podium mondial en 1998...
Toujours est-il qu'après une campagne qualificative pour le Mondial 2018 foirée (neuf défaites en dix matches, dur, mais logique pour une équipe sans aucune expérience), le 120e pays au classement FIFA enchaîne les victoires. Celles plus anecdotiques (Îles Féroé, Malte), d'autres plus inattendues (2-3 en Bulgarie, 60e mondiale) et celles carrément encourageantes (2-1 tout en étant privé de cinq joueurs, face à la République tchèque, qui sans être la grande Tchéquie d'il y a quinze ans représente tout de même encore quelque chose). Il y a aussi ces nuls acquis contre le voisin monténégrin et le Danemark et qui sonnent comme des succès. Non, tout cela n'est sans doute pas un hasard.
"Ils possèdent cette passion qui étreint les nations relativement jeunes, qui me rappelle un peu ce qui est arrivé à la Croatie", expliquait à ce propos Gareth Southgate, dont l'Angleterre s'apprête à accueillir ce qui aurait dû être le Petit Poucet de ce groupe. "Ils seront plein de confiance. Leurs résultats sont incroyables pour le moment. Ce sera un excellent test pour nous." Un bon test aussi pour les Dardanët, qui veulent montrer qu'ils sont plus qu'une sélection portée par un nationalisme exacerbé.
Privés de la ferveur de leur public de Pristina, où 13 000 fans les boostent à chaque match à domicile ("On a l’impression de jouer dans un stade de 50 000 places. Et on ressent un engouement extraordinaire !", dit le sélectionneur suisse Bernard Challandes à So Foot), c'est avec leurs armes qu'ils devront tenter de ramener quelque chose de Saint Mary. Avec ce 4-2-3-1 solide, capable de résister aux coups de semonce adverse (cela s'est notamment vu contre les Tchèques), le Kosovo est plus qu'une nation récemment émancipée, donc forcément fougueuse.
Un rapide coup d’œil au groupe sélectionné par Challandes (à qui l'équipe nationale doit aussi ce brevet d'invincibilité) suffit à se le prouver: prêté par Manchester City, le gardien Arijanet Muric est titulaire à Nottingham Forest (Championship), le médian Valon Berisha et le défenseur central Amir Rrhamani évoluent dans le Calcio (respectivement à la Lazio et au Hellas Vérone), le talentueux Bersant Celina porte lui le maillot de Swansea (Championship), Florent Muslija est l'un des milieux offensifs d'Hanovre, tandis que l'attaquant Vedat Muriqi évolue lui à Fenerbahçe. On retrouve même l'ancien Genkois Edon Zhegrova et le Standardman Mërgim Vojvoda. Il faut également rajouter à cet effectif plutôt bien balancé les ailiers Milot Rashica (Werder Brême) et Arber Zeneli (Reims), tous deux blessés.
Au total, près de 80% des sélectionnés sont en réalité des réfugiés, forcés de fuir la guerre avec leur famille entre 1998 et 1999. Un arrachement qui leur a permis de découvrir le foot international dans les équipe de jeunes de leur pays d'accueil. Bref, le Kosovo est une sorte de creuset footballistique, où se cotoient plusieurs philosophies, mais qui tendent vers un seul objectif: la victoire, rien que la victoire.
Une sorte de reconnaissance footeuse, avant éventuellement une autre, plus politique. Car cette fois, les joueurs aux racines kosovares rejoignent de plus en plus leur pays d'origine. "On subissait la forte concurrence de la Suisse, de l'Allemagne et surtout l'Albanie, qui prenaient tous nos meilleurs joueurs et c'était donc difficile d'être compétitifs", indique à Yahoo Sport Eroll Salihu, le boss de la fédé kosovare. "Après ces bons résultats, on voit que pas mal de joueurs viennent tenter l'aventure chez nous." Le meilleur serait donc encore à venir. Une impression renforcée par le fait que seul trois joueurs appelés par le bouillonnant Challandes ont plus de vingt-huit ans. Contre la République tchèque, seul l'ailier droit Elba Rashani était âgé de plus de 25 ans !
Cette aventure, qui n'en serait donc qu'à ses prémices, pourrait peut-être amener le Kosovo vers l'Euro. "Que le Kosovo prenne part au premier Euro itinérant épouserait bien son histoire, où la diaspora est supérieure à la population locale", écrivait notre confrère Rocco Minelli dans Le Soir. Difficile de faire meilleur symbole, il est vrai...