Ryan: "Sans compétition, je m’ennuie vite"
Mathew Ryan ne clamera jamais qu’il est le meilleur gardien, mais il veut le devenir. Interview.
- Publié le 20-03-2015 à 17h53
- Mis à jour le 21-03-2015 à 16h01
Mathew Ryan ne clamera jamais qu’il est le meilleur gardien, mais il veut le devenir. Le Club Bruges ne s’est pas abusé lorsqu’il a débusqué Mathew Ryan au Central Coast Mariners.
Le mois prochain, le jeune gardien australien célébrera son 23e anniversaire, mais il truste déjà les consécrations. Footballeur belge de l’année 2014, meilleur jeune Australien pour la seconde année de rang, Mathew Ryan a été élu meilleur gardien de la Coupe d’Asie des nations, que son pays a remportée. Les grands clubs européens commencent à le convoiter.
Discret, l’Australien ne se distingue que sur les pelouses. Mais dans ce monde de stars et de paillettes, souvent superficiel, sa personnalité étonne et son discours surprend.
Mathew, vous avez toujours voulu être gardien de but ?
"Non. J’ai débuté comme attaquant. Dans les U8 , j’inscrivais régulièrement 8 à 10 goals par match. C’est quand un voisin m’a invité à intégrer son équipe que je suis devenu gardien de but. Ma mère trouvait que, comme gardien, j’étais lassant. J’avoue que j’aime toujours autant évoluer dans le jeu, courir sur la pelouse, inscrire des buts. Ces sensations me manquent un peu. À l’entraînement, je participe toujours avec plaisir aux exercices avec ballon. Je pense qu’un observateur étranger ne remarquerait pas que je suis gardien de but. Je me demande parfois quelle carrière j’aurais menée si j’étais demeuré un joueur de champ. Ou si j’avais opté pour le tennis. J’ai remporté quelques tournois contre des adversaires qui disputent aujourd’hui l’ Australian Open , grâce à une wild card. Je l’apprendrai peut-être dans une autre vie. Mais je pense qu’avec mon tempérament, je n’y aurais pas brillé."
Vous passez pour un fanatique en quête d’absolu. Enfant, Manuel Neuer pleurait quand il encaissait un but, parce qu’il se sentait responsable. Comment vous-même réagissez-vous ?
"Je ne pleurais pas, mais j’avais les boules quand j’étais remplacé. Mon père devait me saisir par le collet pour me retirer du jeu. Et je ne parlais pas après une défaite. On ne me console pas en m’affirmant qu’un gardien ne peut pas tout arrêter. Mais aujourd’hui, je l’accepte mieux. Cela ne me trotte plus aussi longtemps dans la tête. Mais quand le Gantois Simon a marqué contre nous et que j’ai effleuré le ballon, j’ai enragé. Si j’avais détourné son envoi, tout le monde aurait trouvé ma parade sensationnelle et nous serions restés dans le match. Je ne parle pas après une défaite. C’est comme cela que je fonctionne. Je suis un compétiteur né. Lorsqu’elle m’avait rejoint à Bruges, ma femme m’avait offert un jeu, Uno. J’ai joué jusqu’à ce que j’ai gagné. Sans compétition, je m’ennuie vite. Quand je défie quelqu’un à la PlayStation et que je gagne trop facilement, je cesse vite de jouer."
Ce dimanche, vous espérez donc affronter un Anderlecht au sommet de son art ?
"Je veux être le meilleur. Pour le devenir, il faut battre les meilleurs. Quand vous battez une équipe qui n’est pas à son zénith, certains feront la moue. Ceci dit, si on remporte la Coupe, je me moquerai pas mal de la qualité présumée de nos adversaires."
Un gardien peut-il remporter un titre ?
"J’en suis convaincu. Un club a besoin d’un grand gardien pour être champion. Empêcher un but est aussi important qu’en marquer un. Regardez l’impact qu’a pris Proto dans le titre d’Anderlecht la saison dernière. Certes, Anderlecht recelait d’autres qualités, l’habitude d’être champion, par exemple."
Quels collègues appréciez-vous dans notre Pro League ?
"Matz Sels est bon, toutcomme Proto, évidemment. Köteles est constant. Et Werner a souvent brillé, sans avoir été protégé par sa défense. Mais aucun d’eux n’a mon style. Cela ne signifie pas que je suis le meilleur. Vous ne m’entendrez jamais clamer. Je m’efforce de le devenir. Mon étalon de mesure, c’est Neuer. C’est le seul gardien que je regarde vraiment. Il domine tout."
"Un transfert ne m’obsède pas"
Liverpool n’est pas l’unique grand club européen qui s’intéresse à Mathew Ryan. Le club d’Anfield Road le suivait déjà avant que le gardien australien réalise d’authentiques prouesses à Torino, dans la phase des poules de l’ Europa League .
Récemment, Mathew Ryan a prolongé au Club Bruges jusqu’en 2018.
Il n’est peut-être pas pressé de quitter déjà la Venise du Nord…
À quel âge s’épanouit-on comme gardien de but ?
"Au début du mois prochain, j’aurai 23 ans. Je me considère comme un jeune gardien adulte. J’ai déjà emmagasiné une bonne dose d’expérience. Mais regardez Thibaut Courtois : il a disputé la finale de la Ligue des Champions, remporté le titre en Espagne et il évolue aujourd’hui à Chelsea. Je serais béni des dieux si j’avais pu suivre son parcours. Qui sait si je ne serai pas encore gardien pendant vingt ans ? Mark Schwarzer, mon compatriote, joue toujours en Premier League , à Leicester, à 42 ans. Regardez Vladan Kujovic. Il a 36 ans, il a vaincu un cancer et il est revenu au top. La technologie évolue sans cesse et l’accompagnement ne cesse de se bonifier. Je jouerai peut-être jusqu’à 50 ans. J’en doute, mais on ne sait jamais…"
Songez-vous à un transfert, au prochain mercato ?
"Cette perspective ne m’obsède pas. Je veux devenir le meilleur gardien possible et aller le plus haut possible. Mais le penser et l’avouer c’est une chose, le réaliser en est une autre. Je veux prioritairement être un atout majeur pour le Club. Remporter des prix. Je n’ai quitté l’Australie qu’après avoir été champion."
Dans l’absolu, qu’envisagez-vous ?
"Il est aisé d’évoquer des scénarii, mais rien n’est concret avant qu’on fasse l’objet de propositions. Que ferai-je si je ne reçois d’offre que d’équipes qui luttent contre la relégation ? Que si le club qui me sollicite entretient déjà un bon gardien ? Je veux jouer. Ici, à Bruges, j’ai l’assurance que c’est le cas. Le sélectionneur fédéral australien m’a institué numéro un en partie parce que je suis titulaire à Bruges."
Vous êtes disposé à partir n’importe où ?
"Non. Je ne me vois par exemple pas jouer aux Pays-Bas. Ce ne serait pas une progression. Cinq compétitions m’intéressent : l’Angleterre, l’Espagne, la France, l’Italie et l’Allemagne. Je veux jouer la Ligue des Champions. Je peux le faire avec Bruges. Mais si on se qualifie et qu’on est versés dans un groupe costaud, il est possible qu’on perde souvent par six buts d’écart. Une non-accession du Club à la Ligue des Champions n’entraînera pas automatiquement mon départ. Je n’évoquerai mon avenir que lorsque la situation l’exigera."
"Un arrêt exceptionnel, ça c’est l’extase !"
Mathew Ryan n’étale pas sa vie privée. Il vit seul à Bruges, en célibataire. Ce qui lui permet d’affirmer : "La victoire en sport, pour moi, c’est l’extase. Une femme ne peut pas m’offrir ce que le football m’apporte."
Michel Preud’homme vous a-t-il raconté que, parce qu’il s’ennuyait en vacances dans sa jeunesse, il allait travailler dans une ferme voisine et qu’il a même aidé à construire une étable ?
"Non. Savez-vous qu’il évoque rarement avec moi mon travail de keeper ? Cela m’étonne un peu de la part d’un ancien gardien. Cela me flatte aussi : j’y vois la preuve que je fais bien mon boulot. En vacances, je ne m’ennuyais jamais. Je jouais à la PlayStation et au football, j’allais à la plage. Entre 15 et 17 ans, j’ai travaillé dans un fastfood, chez Kentucky Fried Chicken . Je cuisais et j’assaisonnais les poulets. Cette activité ne m’a pas dégoûté de la volaille. J’en mange toujours aujourd’hui avec plaisir. Je prenais plaisir à évoluer au sein d’un groupe d’adultes, même si le job ne s’apparentait pas à un boulot pépère. Je n’ai pas été un parasite. Je travaillais dur, de 16 à 18 h, à raison de 6 dollars l’heure. Ma pige a ensuite été portée à 10 dollars. Beaucoup de jeunes dans cette boîte aspiraient à devenir manager. Moi, je me focalisais sur le foot. Je voulais me constituer un petit pécule."
Jusqu’à quel point le football vous obsédait-il ?
"Je n’ai jamais dormi avec un ballon, comme l’Allemand Sepp Maier. Je vis pour mon sport, mais je ne suis pas un mega-fan de foot. À domicile, je ne regarde pas fréquemment le foot, à l’exception des matches d’Arsenal."
En Australie, on vous surnomme Caravan Man . Vous n’aimez pas le luxe ?
"Quand j’ai été transféré à Central Coast Mariners, j’ai touché le salaire minimum, qui était de 30.000 euros par an. Mes grands-parents possédaient une caravane, près de la plage. C’est là qu’avec la famille, nous fêtions Noël qui, en Australie, tombe en été. Pourquoi investir dans un appartement alors qu’on peut épargner son argent en vivant plus modestement ? J’ai vécu là parce que c’était meilleur marché, pas parce que je voulais m’endurcir. Mais ce fut une expérience profitable, qui m’a appris qu’on doit travailler pour s’offrir quelque chose."
Vous êtes célibataire. Vous ne cherchez pas l’âme sœur ?
"L’extase, pour moi, c’est le succès dans mon sport. Je n’ai pas de copine, pas encore d’enfants : je ne peux donc pas décrire la sensation que procure le fait d’être amoureux. Je n’ai jamais eu une relation sérieuse. Je me suis toujours voué au football. Ma mère me dit souvent que je dois profiter de la vie tant que je suis jeune. Un jour, je rencontrerai la personne avec qui j’aurai envie de vivre pour toujours. Mais, pour l’heure, le football m’apporte plus que ce qu’une femme pourrait m’offrir. Rien, en matière d’adrénaline, ne remplace encore en moi un arrêt exceptionnel..."
"Claquer 10.000 euros au casino est indécent"
Mathew Ryan n’évolue au Club Bruges que depuis juillet 2013, mais Michel Preud’homme l’a déjà institué un des leaders du groupe. L’Australien entend se montrer digne de cette marque d’estime.
Comment assumez-vous ce rôle ?
"Cette saison, j’ai porté deux fois le brassard. Quand Simons ne joue pas, Vázquez est le capitaine. Je suis le remplaçant de Víctor. J’adore assumer ce rôle. Quand vous êtes nouveau dans un club, vous êtes naturellement plus réservé. C’était mon cas avec les Socceroos , c’était mon cas à Bruges. Le respect qu’on acquiert grandit avec les prestations qu’on livre. La saison dernière, avant chaque match des PO1 , le coach avait donné la parole à un joueur à tour de rôle. Cette saison, ce privilège nous est réservé, à Timmy, Víctor et moi. On dit quelques mots. Courts, incisifs, mais vibrants. Tout ce que je dis a pour objectif de bonifier l’équipe. Jusqu’à présent, personne ne m’a jamais contredit."
Un gardien se sent-il plus souvent frustré qu’un joueur du champ ?
"Oh, oui ! Prenez mon match référence à Torino. Si j’avais encaissé un but en fin de match, cette rencontre n’aurait pas signifié la même chose pour moi. Quand Troisi a marqué pour Zulte Waregem, les réseaux sociaux australiens n’ont vanté que son goal. Ils ont occulté les quelques beaux arrêts que j’avais effectués. C’est frustrant, mais on doit accepter de ne pas recevoir tout le temps le crédit qu’on mérite."
Quels rapports entretenez-vous avec l’argent et la notoriété ?
"Un enseignant qui éduque un enfant, qui lui apprend à devenir une meilleure personne, est plus important qu’un footballeur. Je trouve parfois que le monde marche sur sa tête. Enfant, vous voulez des chaussures qui coûtent 200 ou 300 euros. Footballeur professionnel, je reçois ces chaussures gratuitement. On ne peut pas nous accuser de profiter du système. En Australie, j’ai d’abord joué sans contrat. Quand, noble inconnu, je suis arrivé à Bruges, je ne figurais pas parmi les joueurs les mieux rémunérés. Mon nouveau contrat me permet de gagner beaucoup d’argent. La meilleure partie, je la réserve à ma famille. Je trouve particulièrement indécent d’aller claquer 10.000 euros au casino ou de se consumer chaque semaine dans des fêtes somptueuses. Je trouve qu’un joueur doit respecter les fans qui paient chaque semaine pour le voir évoluer. Enfant, je ne sentais pas de joie quand une idole me donnait une accolade. Saluer un fan est la moindre des choses que vous puissiez lui accorder."