Luc Devroe sur sa période à Anderlecht: "Coucke m’a envoyé à la guerre sans gilet pare-balles"
Luc Devroe, l’ancien manager du RSCA, se livre à cœur ouvert sur sa période à Neerpede : "J’ai été trop loyal envers Coucke."
- Publié le 20-09-2019 à 07h24
- Mis à jour le 20-09-2019 à 10h56
Luc Devroe, l’ancien manager du RSCA, se livre à cœur ouvert sur sa période à Neerpede : "J’ai été trop loyal envers Coucke." Limogé le 16 janvier dernier, Luc Devroe, l’ancien manager général du Sporting d’Anderlecht, a refusé toute interview pendant huit mois. En exclusivité francophone, il a reçu La DH à l’hôtel Weinebrugge à Oostkamp, là où Michel Preud’homme logeait pendant sa période brugeoise.
Luc Devroe, remontons d’abord à ce C4 que vous avez reçu en début d’année. Avez-vous été surpris ?
"D’un côté, oui. Parce que j’étais allé à Neerpede pour signer mon nouveau contrat de manager adjoint, ce jour-là. Je ne pouvais pas quitter mon lit après mon opération à la cheville suite à une chute en Vespa (voir par ailleurs), mais je l’ai quand même fait. Ma femme a même coupé les jambes d’un jeans pour que je puisse être présentable. Finalement, j’ai dû signer un autre document qui était moins sympa (petit sourire). Quand Marc Coucke a appris que j’allais à Neerpede, il m’a rejoint et est venu me dire que j’étais viré. Suite à des entretiens avec Frank Arnesen et Michael Verschueren au stage hivernal, il estimait que la collaboration n’était plus possible. D’un autre côté, je n’ai pas été surpris, non. Parce que j’avais senti venir le C4 depuis longtemps."
Depuis quand ?
"Souvenez-vous du match à Zulte-Waregem et des banderoles ‘Devroe casse-toi’ et ‘Beaucoup de transferts mais pas de qualité’. Coucke et Verschueren avaient parlé aux supporters avant le match. Vous voyez cela au Real Madrid ou au Bayern Munich après une défaite ? Moi pas... On m’a envoyé à la guerre sans gilet pare-balles. Quand Anderlecht a marqué le 0-1, ma femme s’est mise à pleurer à côté de moi. Et oui, je l’avoue, j’ai craqué dans le vestiaire après le match qu’on a gagné de justesse. J’ai aussi pleuré. Les joueurs sont venus chez moi pour me consoler. Trebel ne voulait pas aller saluer les supporters."
Qu’est-ce que Coucke vous a dit ?
"Le mardi, à une soirée réunissant des sponsors, il m’a demandé ce qui clochait. Je lui ai dit que mon sort était scellé, vu que le club n’avait pas envoyé de communiqué pour me soutenir. J’ai envisagé de jeter l’éponge parce que je ne pouvais pas gagner ce combat, mais je ne l’ai pas fait."
Après le 2-0 à Fenerbahçe, vous saviez que c’était fini.
"Trois minutes avant de monter à bord de l’avion à Istanbul, Coucke est venu me dire : ‘On ne peut pas continuer ainsi. Je vais mettre quelqu’un au-dessus de toi avec de l’expérience internationale.’ Il y a de meilleurs timings que cela, mais bon… J’ai accepté. Je ne dois pas occuper le devant de la scène. Or, dès ce moment, on ne me consultait plus du tout. Ni sur les transferts, ni sur le coach. Je ne savais pas que Rutten deviendrait T1, et je n’ai jamais parlé avec Arnesen."
Avez-vous revu Marc Coucke depuis votre départ d’Anderlecht ?
"À la réception de Club Bruges - Anderlecht en playoffs 1, où j’étais avec Patrick De Koster, avec qui je travaille comme agent. Visiblement, Coucke était surpris que je lui serre la main. Écoutez : je n’ai pas de problèmes avec mon C4. C’est professionnel. J’ai vécu la même chose au Club Bruges en 2011. Mais il aurait quand même pu me rendre visite quand j’étais cloué au lit suite à mon opération, non ? Il passe devant mon domicile quand il va à son appartement à Knokke. Dans les jours après mon C4, il m’a envoyé des messages du genre : ‘Je pense souvent à toi. J’espère que tu trouveras vite un nouveau job.’ Visiblement, il était étonné que je ne réponde pas, mais que dois-je répliquer à cela ?"
Êtes-vous retourné à Anderlecht depuis votre C4 ?
"Non. Il ne faut pas chercher des problèmes avec les supporters. Et s’il faut proposer un joueur (NdlR: comme Famara Diedhiou de Bristol en fin de mercato) Patrick De Koster le fait. Je ne négocie plus avec Verschueren. Mais en déplacement, je suis allé à Bruges, à Genk, à Courtrai. Je vais à Bruges, ce dimanche. Et je vais au Beerschot."
On vous reproche d’avoir loupé votre mercato.
"Et maintenant, cela va mieux avec Anderlecht ? Il faut du temps pour reconstruire une équipe. Il a fallu quatre ans à Bruges, souvenez-vous. Un seul mercato ne suffit pas. Entre-temps, Anderlecht a eu trois mercatos, et l’équipe ne tourne pas encore comme il le faudrait. Et tout n’était pas si mauvais que cela !"
Expliquez-vous.
"Nous avions 30 sur 45 hein ! Nous avons loupé trois matchs de façon scandaleuse : Trnava, l’Union et Eupen. Mais pour le reste... Fenerbahçe, c’est le niveau de Galatasaray. Et nous devions soi-disant les manger ? À Genk et à Bruges, on ne devait jamais perdre..."
Passons vos 15 transferts à la loupe. Pendant longtemps, le meilleur a été Didillon.
"Il a qualifié Anderlecht pour les playoffs 1. Si Anderlecht a obtenu un 13 sur 15 en fin de phase classique, c’est grâce à lui. Ses erreurs en playoffs 1 ? Quand la direction vous dit avant les playoffs : ‘Tu atteins la moyenne, mais pas plus’, je peux comprendre qu’il se soit pris un coup sur la tête. Il n’était pas le problème. Je trouve qu’Anderlecht aurait dû acheter un centre-avant plutôt qu’un nouveau gardien."
Les défenseurs, par contre…
"Antonio Milic était international croate, mais il a senti qu’on ne croyait pas en lui parce qu’il venait d’Ostende. S’il était venu du Dinamo Zagreb, cela aurait été plus facile. Ognjen Vranjes était le meilleur, mais il était fou. Le club aurait dû mieux l’entourer. Idem pour Bubacarr Sanneh. Il était tout perdu, selon son agent."
8 millions pour Sanneh, avouez que cela relève d’une mauvaise blague...
"Tiens, personne ne parle des 8 millions pour Vlap ? Moi, je n’aurais jamais donné 8 millions, mais Coucke a géré ce dossier depuis le début. Le garçon a joué ses premiers matchs sans entraînements. Moi, je ne l’aurais pas pris le 31 août, et Lawrence non plus. J’aurais joué avec Delcroix et Dante. Ils ne sont pas moins bons que Sardella et Dewaele."
Makarenko, Abazaj, Adzic, Musona…
"Makarenko n’est pas mauvais, et il était payable ! Au début, il a pris le dessus sur Kums ! Il faut le faire, quand on a Vanhaezebrouck comme coach. Abazaj et Adzic étaient des transferts dans la largeur, qui n’étaient pas chers. Je les prends sur moi. Ce sont des gars à qui il faut donner le temps. Musona était le meilleur à Ostende et n’a pas eu sa chance. À Bruges, j’ai montré que je savais découvrir du talent : Perisic, Donk, Meunier, Vadis et Lestienne ; ce sont tous mes transferts."
Santini et Dimata n’ont brillé qu’au début.
"Le public était on ne peut plus enthousiaste au début. Ils avaient marqué 13 buts en août. Et finalement 30 buts en fin de saison. Il faut que Dimata soit fit, évidemment. Et Santini marquerait ses buts avec l’équipe actuelle d’Anderlecht. Le problème a été la blessure de Cobbaut à Charleroi. Avec lui à gauche et Saelemaekers à droite, on faisait des dégâts, parce qu’il a besoin de centres. Mais Saief n’a pas pu reprendre le rôle de Cobbaut."
Le salaire de presque 3 millions pour Trebel a aussi fait des vagues.
"Maintenant, on ne dit rien des millions que Nasri, Kompany et Chadli gagnent. Si Chadli a le salaire de Monaco - où le net est le brut - ce n’est pas rien… Trebel était le meilleur - Kompany ne peut quand même pas le laisser en tribune ? - et on risquait de le perdre pour… 6 millions. Il avait une clause, mais cette somme nous avait été cachée par l’ancienne direction. 13 à 14 autres clauses de joueurs prêtés, comme Thelin, Doumbia, Roef et Leya Iseka, ne nous ont pas été communiquées non plus. Et vous auriez dû voir les salaires nets de Teodorczyk, Chipciu et Sa. Et puis, il y avait ce cas Onyekuru."
À savoir ?
"Onyekuru avait été prêté pour deux ans par Everton mais n’avait qu’un contrat d’un an ! Et il ne voulait plus rester parce qu’il était en conflit avec Vanhaezebrouck."
Quels renforts auriez-vous voulu ?
"Bjorn Engels, Vadis Odjidja et Alexander Isak de Dortmund, qui a finalement été prêté à Willem II. On avait un accord avec Dortmund, mais Hein a refusé. Et je voulais Awonyi, mais Liverpool, son club, l’a mis à Gand parce que le club craignait qu’il ne joue pas, vu les stats de Dimata et Santini en début de saison. Onyekuru, lui, ne voulait pas rester ; il était en conflit avec Hein. Et Markovic n’est pas revenu à cause de Vanhaezebrouck. Ce n’était donc pas une affaire d’argent. Il lui avait fait faire des tours de terrain pendant deux mois, de janvier à mars. Coucke, Hein et moi, on a tous fait des erreurs."
Quelle a été votre plus grosse erreur ?
"D’avoir été trop gentil et loyal. J’aurais plus dû donner mon avis, même si Coucke était président et décideur final. J’aurais dû être plus sévère dans certains dossiers."
Et votre plus grand mérite ?
"N’oubliez pas que pendant mes premiers mois, j’ai travaillé jour et nuit pour donner un contrat pro à nos onze jeunes talents. Et j’ai aussi fait resigner Bornauw et Saelemaekers, qui étaient presque en fin de contrat. Bornauw a déjà rapporté des millions, les autres vont suivre."