Chanot: "Pour moi, le foot, c’était fini" (VIDEOS)
Entre galères sportives, humaines et financières, de Nancy au White Star en passant par Sheffield et Gueugnon, le défenseur de Courtrai a fini par trouver sa voie. Entretien.
- Publié le 08-04-2016 à 14h15
- Mis à jour le 08-04-2016 à 14h16
Entre galères sportives, humaines et financières, de Nancy au White Star en passant par Sheffield et Gueugnon, le défenseur de Courtrai a fini par trouver sa voie. "Ma femme me dit toujours qu’il faudrait qu’on écrive un livre. Et moi je lui réponds qu’on pourrait en faire plusieurs." Maxime Chanot sourit. Voilà près d’une heure que le défenseur de Courtrai a entamé son récit.
L’international luxembourgeois, 26 ans depuis janvier, peine à trouver un mot pour résumer son parcours, s’interrogeant à voix haute. "Atypique ? C’est trop lisse. Chaotique ? Non, parce que la fin est belle. Donc très difficile et usant. Maintenant, tout devient beau."
Tout ne l’a pas été. Il l’admet mais précise dans la foulée et le répète avec conviction plusieurs fois durant l’entretien : "J’ai souffert mais je ne veux pas passer pour quelqu’un qui se plaint ou me poser en victime car des gens traversent des mers à la nage sans se plaindre."
Son visage se fait plus grave lorsqu’il prononce ces mots. Il se ferme même un peu au moment d’évoquer le premier souvenir de cette enfance heureuse passée à Nancy dans une modeste famille d’ouvrier.
"J’ai perdu mon père à 4 ou 5 ans. J’ai ressenti la souffrance de ma mère. Je ne veux pas me victimiser, mais cela a été un choc terrible, surtout quand tu commences à grandir. J’ai fait beaucoup de bêtises à cause de cela, je n’allais pas à l’école, je me faisais renvoyer. Ma pauvre mère me dit souvent en rigolant qu’elle en a bavé."
Le gamin qu’il est se rêve boxeur et met les gants jusqu’à 12 ans avant d’intégrer le centre de formation de l’AS Nancy Lorraine. Lui qui avait commencé le foot à 8 ans, avec les copains après la Coupe du Monde 1998, y reste jusqu’à ses 14 ans.
"Je me suis fait mettre dehors parce que j’avais des gros problèmes de comportement à l’école et sur le terrain. J’avais deux ennemis : mes concurrents et moi-même", expose-t-il en référence à son impulsivité qui lui joue alors des tours. "Je me rappelle du regard de ma mère qui avait mal au cœur quand j’ai été renvoyé… Cela me pendait au nez mais au fond de moi, je savais que j’allais y arriver."
L’adolescent est repêché par Reims. Sa première année, entre une maladie d’Osgood Schlatter (douleurs au genou lié à la croissance) et son caractère, le fait passer tout près d’un renvoi. La seconde, à 16 ans, est celle du déclic. De la maturité née de la rencontre avec sa future femme et d’un entraîneur, Anthony Ramel, "qui a changé ma vie".
"Il était très strict et très droit. Il me faisait peur", se souvient Chanot, surclassé pour jouer en U18 mais qui s’entraîne avec la réserve qui évolue en CFA avant que tout s’accélère.
"La veille d’un match contre Sedan, un joueur se blesse et je me retrouve sur le terrain. Sheffield était venu superviser Steven Thicot, prêté à Sedan par Nantes, qui jouait avec la réserve car il revenait de blessure. J’ai fait un super-match."
Un an après avoir frôlé le renvoi, Chanot se retrouve avec un contrat de 3 ans avec une formation de Premier League. Irréel. Inimaginable. "Naïvement, je me dis à l’époque pourquoi pas ? Je le mérite, c’est le foot. Avec le recul, je me dis que j’ai eu beaucoup de chance."
La transition d’un monde à l’autre est brutale. "Le coach, Bryan Robson, me dit que je suis là pour le long terme et que je ne dois pas être impatient. Cela m’a rassuré. Mais tout a été très compliqué car je ne parlais pas un mot d’anglais. J’étais en famille d’accueil, catapulté chez de purs Anglais qui ne parlent un mot de français et mangent à 16h. La nourriture, c’est pourri… C’est le retour les pieds sur terre. J’étais seul pendant six mois; je n’avais pas de vie sociale. Mais j’étais tellement dans le foot que cela allait."
Le premier salaire tombe. "Je suis parti acheter un ordinateur et une télé", se marre-t-il. Les prêts s’enchaînent durant sa deuxième saison à Mansfield (D4) et à Hamilton, en Écosse.
Mais au cours de cette deuxième année, plutôt que de lever l’option sur sa troisième saison, Chanot s’en va s’entraîner à Leeds où il se blesse en février 2009 à la cheville pour 4 mois.
"Je me retrouve sans rien et je m’étais froissé avec Sheffield, bête comme je suis, mais aussi parce que je n’étais pas conseillé. Je rentre chez ma mère. Elle me demande ce qu’il se passe et j’invente un bobard. J’avais loupé quelque chose et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Pour ma défense, j’étais tout seul; je n’avais pas d’exemple à suivre. Mais à refaire, j’aurais fait les choses différemment."
Été 2009 , au chômage et sans un sou, il retrouve sa fiancée qui effectue ses études de droit à Montpellier. Il finit par signer en octobre au Mans "mais je n’avais pas le niveau" et joue avec la réserve en CFA (D4) avant de quitter le club en juin 2010 pour Gueugnon en National (D3), séduit par le projet de Tony Vairelles.
Sauf que le club bourguignon est à l’agonie financièrement. Dès novembre, les joueurs ne sont plus payés. L’art de la débrouille s’organise.
"Je souslouais l’appartement que je louais pour me faire 100 euros de plus. Des mecs n’avaient plus d’essence et leurs voitures restaient 2 ou 3 semaines sur le bord de la route", souffle Chanot. "C’est là que tu prends conscience que le football est beau, mais ne fait pas forcément rêver. Financièrement, j’étais aux abois. Ma banque m’appelait toutes les semaines. En juillet 2011, je devais de l’argent à toute la terre."
Pour ne rien arranger, le joueur se blesse gravement au pied en février 2011 et retrouve à l’été Montpellier et l’appartement d’étudiant de sa fiancée. "Là, pour moi, le foot, c’était fini. Je me disais que ce n’était pas fait pour moi, je ne voulais plus en entendre parler."
Chanot s’inscrit en BTS, enchaîne les petits boulots : déménageur, serveur, boucher même l’espace d’une journée. Jusqu’à cette soirée. Jusqu’à ce regard de sa femme.
"Là, j’ai compris qu’il fallait que je fasse quelque chose. Je ne me souviens pas avoir eu autant honte de moi-même. Il y a des choses plus graves mais je n’avais que le foot. J’avais consacré toutes ces années pour en arriver là ? Ce n’était pas possible. Non, pas moi."
Et puis, en épluchant son répertoire de téléphone, celui-là même où il avait effacé la majeure partie de ses contacts, il tombe sur le numéro de Michel Farin, qui l’avait repéré lors d’un match amical de la réserve de Sheffield au White Star des années plus tôt.
À deux reprises, Chanot avait refusé les offres du dirigeant. Il lui envoie un message sans illusion, convaincu par sa femme.
"Il me répond dans le quart d’heure, il se souvient très bien de moi et est intéressé par mon profil. Il m’appelle dans la foulée. Quand je raccroche, je ne sais pas trop. En tant que Français, la D2 belge… Ma femme m’a convaincu ‘mais attends, t’es comme un clochard, qu’est-ce que tu attends ?’"
Chanot débarque alors au White Star à l’automne 2011, totalement à court de forme et en surpoids. L’adaptation est rude.
"Je n’avais rien fait pendant 7 mois. J’étais à la rue complet. Les 5 premières paies, je n’ai pas touché un euro car je devais tellement d’argent à tout le monde, j’ai tout redonné et puis j’étais dans la maison des joueurs. Quand on m’a ouvert la porte et on m’a dit que le ménage venait d’être fait alors que c’était dans un état horrible… Il y avait du caca sur les murs et de la pisse dans les coins. Ma mère est venue trois semaines après alors que j’avais passé tout mon temps à nettoyer, elle s’est mise à pleurer. L’odeur était terrible. Comme on n’avait que trois entraînements par semaine, je n’avais tellement rien à faire que je prenais mon ordinateur, j’allais en métro au Quick à De Brouckhère et j’y restais toute la journée. Il n’y avait pas de frigo non plus, c’est impossible de vivre sans frigo, je vivais au jour le jour, j’allais manger des yaourts dans le rayon à Colruyt, cela a été un peu compliqué, j’ai dû m’accrocher."
Puis sa chance a fini par tourner. "Petit à petit, je me suis remis dedans, je n’ai rien lâché, j’ai gagné ma place, on a fait une bonne saison en D2 et puis je suis parti au Beerschot. Puis à Courtrai. Et il y eu l’équipe nationale du Luxembourg aussi", s’enflamme des étoiles dans les yeux celui qui a marqué un but à Gianluigi Buffon et qui ne porte un regard lucide sur ce rite initiatique.
"À l’hôpital, après ma blessure à Gueugnon en 2011, une dame m’a apporté une bible et ma carrière sportive a repris quand j’ai retrouvé la foi. Ma plus grande honte est d’avoir perdu cette foi. J’en suis persuadé : Dieu m’a fait passer par là pour me faire prendre conscience de la valeur de l’argent et du travail, de la vraie vie. Ce qui est beau, c’est que dans le foot, tu as l’impression qu’une carrière est linéaire. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il y a des hauts, des bas mais je savoure encore plus cette réussite d’être en D1 depuis 5 ans." Parce que c’est un beau roman finalement. Une belle histoire à raconter dans un livre. Ou dans plusieurs. Parce qu’elle n’est pas finie.