20 septembre 1978: Et Tintin marcha sur sa lune
Il y a 40 ans, le 20 septembre 1978, Eddy Voordeckers s’inscrivait dans l’histoire de notre football, en étant le dernier joueur de D2 à enfiler une cape de Diable Rouge. Il jouait à Diest... Comme si Roberto Martinez appelait un attaquant de Tubize ou de l'Union Saint-Gilloise: impensable aujourd'hui!
- Publié le 20-09-2018 à 15h54
- Mis à jour le 21-09-2018 à 20h06
Il y a 40 ans, le 20 septembre 1978, Eddy Voordeckers s’inscrivait dans l’histoire de notre football, en étant le dernier joueur de D2 à enfiler une cape de Diable Rouge. Il jouait à Diest... Comme si Roberto Martinez appelait un attaquant de Tubize ou de l'Union Saint-Gilloise: impensable aujourd'hui! Dans un premier temps, Tintin n’a pas osé croire à son bonheur : “J’avais dix-huit ans, j’évoluais en D2 et... je ne pesais que 64 kg. Certes, quelques jours auparavant, j’avais brillé avec les Espoirs dans un match contre les Diables. Je n’imaginais pas, toutefois, que Guy Thys allait me faire effectuer, sans préavis, un tel pas de géant. C’est Albert Bers, mon entraîneur du FC Diest, où je militais, qui dut me convaincre que je n’étais pas victime d’une blague.”
Eddy Voordeckers, la petite flèche blonde brabançonne, ancien champion scolaire du 200 m en athlétisme, s’est inscrit pour toujours, le 20 septembre 1978, dans l’histoire de notre football : titulaire lors de ce Belgique - Norvège (1-1) qualificatif pour l'Euro 80, il est dernier joueur de D2 à avoir enfilé une cape de Diable Rouge, il n’a plus engendré d’émule.
“J’ai eu la chance que Guy Thys, qui succédait à Raymond Goethals, dans ce premier match contre la Norvège, qualificatif pour l’Euro italien de 1980, soit à la recherche d’attaquants. Le test du Carolo Charly Jacobs, par exemple, ne s’était pas révélé concluant. Guy Thys m’avait dopé en m’affirmant qu’il avait confiance en moi.”
Eddy Voordeckers ne manquait déjà pas de référence : “Feyenoord et le FC Cologne du grand Hennes Weisweiler qui entraînait déjà Roger Van Gool, s’intéressaient à moi. Je serais parti à Feyenoord si je n’effectuais pas, à l’époque, mon service militaire. Mais j’avoue que je n’étais pas prêt à évoluer à l’étranger.”
Timide et taiseux de nature, le petit Eddy Voordeckers a intégré l’équipe nationale en tremblant : “Tous ces grands noms qui la composaient m’ont accueilli avec gentillesse. Gerets, Meeuws et Vandereycken en étaient les leaders. Gerets et Cools, notamment, m’avaient pris sous leur aile. J’ai été plongé dans un autre monde. À Diest, je m’entraînais trois fois par semaine. En équipe nationale, j’ai découvert les mises au vert et les divers services d’intendance : l’équipement, les souliers, tout était bien rangé. Les kinés étaient aux petits soins pour nous. En déplacement, je partageais la chambre avec Pfaff. C’était le rite d’intronisation. Jean-Marie ne cessait de parler. Tous les Diables étaient liés par contrat à Adidas ou Puma. Jean-Marie m’a aidé à obtenir un contrat équivalent.”
La Belgique déçut en concédant un partage de l’enjeu (1-1). Leekens avait même manqué la conversion d’un coup de réparation. Seul le néophyte Voordeckers avait échappé à la critique. Sa performance allait précipiter son transfert vers le Standard : “J’ai inscrit mon premier but avec les Diables contre l’Écosse à Bruxelles. Après avoir effectué toute la campagne qualificative, je n’ai pas participé au tournoi en raison d’une blessure au dos. J’ai manqué ensuite le Mondial en Espagne, en 1982 à cause d’une blessure au genou. Je fus de la partie en 1984. En 1986, j’ai disputé le dernier match qualificatif pour le Mexique, en Pologne. Ce fut mon dernier match avec les Diables. Je jouais à Rennes à l’époque. Michel D’Hooghe et Constant Vanden Stock avaient insisté auprès de Guy Thys pour qu’il préfère un Belge de Belgique à un expatrié : les grands clubs ont toujours joui d’un grand pouvoir de persuasion... J'ai suivi Mexico 86 à la télévision, le coeur en berne. J'ai encore mal aujourd'hui, quand je repense à cet épisode.”
"Je suis devenu cycliste!"
Quarante ans plus tard, Eddy Voordeckers n'a rien oublié. Ou presque: "Mes souvenirs affleurent périodiquement. C'est surtout le cas quand l'équipe nationale attire l'attention. Les supporters m'invitent souvent à raviver ces heureuses réminiscences. Ils veulent savoir quand quand j'ai enfilé mon premier maillot. Je suis toujours un peu ému quand j'évoque cette période. Je repense alors à Guy Thys, qui m'a lancé dans le grand bain parce qu'il cherchait à rebâtir une équipe et je lui adresse un remerciement muet."
Tintin ignorait, en revanche, qu'il demeurait l'unique joueur de D2 à jouir de cet honneur: "Ah oui? Ce n'est pas mal, cela! Ma particularité est donc assez exceptionnelle, aujourd'hui encore", s'esclaffe-t-il sans une once de prétention. Il s'inquiète soudain: "Je ne sais plus si je possède encore le maillot de l'époque. J'en ai offert quleques-uns à des amis. Celui-là figure-t-il dans le lot? Seule ma femme pourrait répondre à cette question. A la maison, c'est elle la cheffe."
Eddy Voordeckers n'a pas changé. Il travaille toujours comme magasinier pour la même entreprise, à Lummen. "J'y bosse depuis 23 ans. Mais j'avoue que j'attends ma pension. J'espère que je pourrai en jouir dans deux ans, lorsque j'atteindrai 60 ans".
Le Diestois n'a jamais voulu être entraîneur: "Trop de stress pour moi!" avoue-t-il. "Jusqu'il y a cinq ans, j'officiais comme visionneur pour le Club Bruges. Je passais mes week-ends à l'étranger. Mon boulot quotidien s'achevait le vendredi à 14 heures. Je partais alors en voiture pour Heerenveen. Je dormais quelques petites heures puis je repartais, le samedi, à Dortmund ou à Schalke. Le dimanche, je m'appuyais 1200 km, aller et retour, pour aller suivre un match à Dijon. Ce surplus est vite devenu trop contraignant. Aujourd'hui, je me contente de suivre Tessenderlo, une bonne équipe de D1 amateur. Quand mon fils Gery, grand supporter du Club, me conduit à Bruges, je vais voir jouer les Blauw en Zwart."
Mais aujourd'hui, Eddy Voordeckers cultive deux autres passions: "Je suis devenu cycliste. Amateur évidemment! J'ai deux fils: Davy, 34 ans, et Gery, 30 ans. Chaque samedi, nous enfourchons tous les trois notre vélo pour aller parcourir, avec quelques amis, 100 à 120 km. Sauf quand il pleut. Ces jours-là, nous restons calfeutrés chez nous."
Mais, pour Eddy Voordeckers, la passion qui éclipse tout c'est sa famille qui s'agrandit régulièrement: "Je suis fou de mes petits-enfants. J'en ai deux et j'ai aurai bientôt un troisième. Je crois que je les aime davantage que j'ai aimé mes propres enfants".
Tintin n'a jamais nourri de regret même s'il avoue, du bout des lèvres: "Si j'étais né plus tard, je n'aurais sans doute jamais eu besoin de travailler grâce aux salaires qui sont payés aujourd'hui. Je ne suis pas envieux, toutefois: si on me proposais de recommencer ma carrière, j'effectuerais exactement celle qui a été la mienne."
Eddy Voordeckers a, évidemment, suivi le Mondial 2018: "Avant le coup d'envoi, je doutais des chances des Diables. Je trouvais que le groupe comportait trop de vedettes et ne composait pas vraiment une équipe. Au coup de sifflet final, j'avais révisé mon jugement: pour moi, la Belgique avait développé le meilleur football. Elle méritait mieux que sa belle troisième place. Mais le football n'est ni une science exacte, ni toujours correct"…
Standard-Waterschei-Rennes...
Est-il trop réducteur de focaliser la carrière d'Eddy Voordeckers, attaquant vif argent, explosif et redoutable de la tête en dépit de sa taille modeste - "on ne se méfiait jamais de mon timing parce que j'étais petit" -, sur trois pôles essentiels: le Standard, le défunt Waterschei et l'équipe nationale en négligeant un peu l'escapade, relativement brève, au Stade Rennais? Sans doute pas. Tintin ne refuse d'ailleurs pas ce raccourci. Il concède même: "Aurais-je atteint ces sommets si Ernst Happel n'avait pas eu l'heureuse idée d'effectuer une pige, amicale, de quelques mois à... Harelbeke? Peut-être pas. C'est en tout cas au titre d'entraîneur de feu le Racing que l'Autrichien m'a repéré dans un match contre Diest, mon club. Il m'a aussitôt alléché quand il est passé au Standard. J'ai signé avec le club de Sclessin un contrat de trois ans. Je suis ainsi passé de but en blanc d'un régime de trois entraînements par semaine à un menu de trois séances de travail... par jour, sans compter les matches avec les Espoirs, avec les militaires et avec l'équipe nationale alors que, dans mon for intérieur, j'avais espéré m'accorder une première saison d'écolage. J'ai toujours nourri la conviction que mon organisme n'avait jamais pleinement assimilé cet avènement trop brutal."
Pendant deux ans, Eddy Voordeckers s'est sublimé au Standard dans le football offensif prôné par Ernst Happel. "Je me suis lié d'amitié avec le Suédois Raf Edstroem, un grand monsieur sur et en dehors du terrain. J'avais peur d'Ernst Happel. Du portrait qu'on avait brossé de lui quand il entraînait Bruges. L'homme m'a séduit. Il était aux petits soins pour les joueurs qui lui plaisaient."
Eddy Voordeckers s'est moins régalé, la saison suivante, sous l'égide de Raymond Goethals: "Je ne regrette pas d'avoir évolué sous les ordres d'une personnalité de cette envergure. Son contact m'a enrichi. Mais Goethals avait opté pour un système de jeu plus défensif. Comme attaquant, il me préférait un grand costaud. Je savais qu'il s'intéressait à Gründel, un Allemand qui évoluait alors au défunt Waterschei. J'ai souhaité partir. Nous n'avons pas fait l'objet d'un échange, Heinz et moi, mais nous nous sommes croisés."
Tintin a joliment rebondi au sein de l'entité la plus populaire de Genk: "Comme le Standard, Waterschei était un club chaleureux. Avec le gardien Pudelko mais aussi Pierre Janssen, Gudmundsson, Clijsters et Van Kraay, il alignait de sacrés bons joueurs. Le point d'orgue de son histoire, c'est sa qualification européenne contre le PSG, dans une ambiance indescriptible. Au retour, chez nous, Clijsters avait livré une prestation fabuleuse. Nous n'avions rien à perdre mais, avec un tel soutien populaire, nous nous sentions capables des plus grands exploits. Les Parisiens s'étaient gaussé de ces pauvres Limbourgeois: ils nous avaient piqués au vif."
Pressentant le proche déclin de Waterschei, Tintin ne déclina pas l'offre, inattendue et tardive, du Stade Rennais: "Tout s'est réglé en deux heures. Pierre Mosca, son entraîneur, m'avait apprécié contre le PSG..."
Eddy Voordeckers avait paraphé un contrat de quatre ans. Il ne resta en Bretagne que deux saisons. "J'ai été opéré deux fois du genou. Je n'ai guère joué la seconde année. Le club a été relégué. Je suis alors passé à La Gantoise. Laureyssen, Ronnie Martens, Dewolf, Vandereycken et René Verheyen y étaient mes équipiers. L'équipe promettait. Elle est descendue. Je ne me suis jamais senti à l'aise à Gentbrugge."
Tintin ne connut plus les sommets. "Je me suis retiré à trente-sept ans. J'ai achevé ma carrière à Veerle, le club du village d'élection de mes parents. Je m'étais précédemment perdu à Westerlo, alors en D 3, puis au FC Herk, en première provinciale. Je n'avais pas cessé de régresser dans la hiérarchie. C'était peut-être une erreur mais je ne regrette rien. Je suis globalement satisfait de mon parcours. Au petit jeu du si c'était à refaire, je ne changerais pas radicalement d'orientation. A une nuance près: quand le Standard m'a attiré à Sclessin, les quotidiens ont embouché les trompettes de la renommée pour saluer mon arrivée. Ils ont prédit que ce petit allait devenir un tout grand! J'aurais préféré qu'ils me laissassent tranquille"
Champion, en 1982, avec les Rouches
Eddy Voordeckers a été champion de Belgique à une reprise: en 1982 avec le Standard. Tintin inscrivit même le premier but des Rouches (le 19 août 1981 à Sclessin contre le Cercle) lors de la journée inaugurale d’un championnat qui fit couler tant d’encre bien longtemps après son achèvement. Coïncidence, c’est à Waterschei qu’Eddy Voordeckers poursuivra sa carrière avant de s’expatrier à Rennes d’où il revint deux ans plus tard, suite à des problèmes de genou que le docteur Martens réussit à résoudre.
Le Standard aura donc constitué un tremplin idéal pour ce petit blondinet dont le talent avait pris racine à la Warande sous la houlette du commandant Albert Bers. De cette campagne victorieuse avec le Standard, Tintin se remémore surtout la bonne osmose qui existait entre Limbourgeois et Liégeois : “Peu importe l’origine de chacun, nous formions un groupe formidable. Il y avait bien sûr Tahamata pour faire la différence mais le noyau était très complémentaire.”
Sans oublier Raymond-la-Science : “C’était quelque chose de spécial avec lui. Tactiquement, il n’avait pas son égal.”
Utilisé le plus clair de son temps comme second attaquant comme il tient à le préciser, Eddy Voordeckers apparut 19 fois en équipe première cette saison, signant deux autres goals et toujours à Sclessin, face à Courtrai le 7 octobre 1981 et contre le Lierse le 7 février 1982. Il vécut la finale de la Couper des Coupes 82 contre Barcelone sur le banc...