Long entretien avec Bixente Lizarazu avant le début du Mondial: "La Belgique ? Le potentiel d’une start-up, mais…"
Aujourd’hui consultant foot reconnu, l’ex-champion du monde Bixente Lizarazu préface le Mondial 2018 vingt ans après l’avoir gagné.
- Publié le 14-06-2018 à 10h07
- Mis à jour le 14-06-2018 à 15h42
Aujourd’hui consultant foot reconnu, l’ex-champion du monde Bixente Lizarazu préface le Mondial 2018 vingt ans après l’avoir gagné. C’est confirmé. La nostalgie reste l’un des meilleurs des antidotes à la morosité. D’autant plus si tout un pays revit le rêve éveillé, vingt ans plus tard, d’un titre de champion du Monde. Les documentaires télévisés pullulent, les interviews foisonnent, les témoignages anonymes ou célèbres déferlent.
Toute la France a son mot à dire, son anecdote à raconter, sa larme à l’œil à essuyer, sa cuite à oublier, son amour de vacances à retrouver lors de cet été bleu blanc rouge. Et ce fameux dimanche 12 juillet 1998 où l’Hexagone s’est mué en immense chenille, où tout le monde il était beau et gentil, où la reprise du I will survive de Gloria Gaynor par le Hermes House Band est devenu l’improbable tube de l’été.
Avant l’envol de cette Coupe du Monde en Russie, ce jeudi, les souvenirs ravivent les émotions. Mardi, à Nanterre, l’équipe de 1998 avec quelques kilos en plus et des jambes un peu ankylosées, s’est réunie pour un match amical. Sur le flanc gauche de la défense, le petit (1.69 m) affichait une musculature seyante dans son traditionnel numéro 3. Vingt ans déjà… Aujourd’hui, les Bleus, qui débutent leur tournoi ce samedi contre l’Australie, possèdent les atouts pour imiter leurs aînés et sinon effacer, en tout cas égaler les Zidane, Barthez, Deschamps et les autres. En 1998, Didier Deschamps était l’infatigable capitaine ratisseur de ballons de cette équipe et a pu soulever en premier le trophée.
En vingt ans, Bixente Lizarazu a changé, les rides ont peuplé son visage de Basque buriné, il a choisi ses combats (la planète sans tomber dans l’écologie politique, la transmission des valeurs…) et il est devenu l’un des consultants foot les plus recherchés du paysage français. Très sollicité, il a accepté de nous recevoir à Paris. Rendez-vous dans les salons de l’hôtel Le Roch dans les beaux quartiers à deux pas de la place Vendôme, des Tuileries et du boulevard Saint-Honoré. C’est son point de chute dans la capitale, lui qui se partage entre son appartement à deux pas de là avec son épouse Claire Keim et son Pays basque (il est tellement attaché à ses racines qu’il a même porté à une seule reprise en 1993 le maillot de l’équipe nationale… basque).
L’endroit est à son image : élégant (la déco est signée Sarah Lavoine) sans être tape-à-l’œil. Devant une menthe à l’eau, sourire toujours en coin, il martèle ses vérités, s’attaque parfois à l’ère du temps, revient sur les années où la France du foot dominait le monde. Sans la moindre nostalgie. Sinon celle de la victoire dont tout un pays rêve (à nouveau).
"Je ne voulais pas écrire un livre (NdlR : voir ci-dessous) pour le plaisir d’avoir ma tête sur la couverture, dit-il. J’en avais fait un en 2006 après ma carrière sportive. Ça m’avait permis de clôturer un superbe chapitre de ma vie et m’avait aussi servi pour vivre ce que j’appelle une petite mort. Pour les sportifs de haut niveau, il faut bien reconnaître qu’arrêter constitue un choc à la fois physique et psychologique. Je me suis rapidement posé la question : comment vais-je faire pour vivre des émotions aussi intenses que lors de ma carrière (NdlR : son palmarès est impressionnant avec un titre de champion du Monde, un de champion d’Europe, 6 titres de champion d’Allemagne, 6 coupes d’Allemagne, 97 sélections chez les Bleus, etc.). J’ai fait le choix du sport, ceux que je ne pouvais pas pratiquer durant ma carrière : du surf évidemment, de la plongée, de la randonnée, du ski, du vélo, du jiu-jitsu brésilien. Et j’ai eu la chance au fil des années d’avoir la reconnaissance au travers des médias. Vingt ans plus tard, je n’ai pas de nostalgie, juste la fierté d’avoir rendu les gens heureux. Cela n’a pas de prix."
Car du fin fond du Larzac à la place Stanislas de Nancy en passant par le Vieux Port de Marseille ou les quais de Bordeaux, le moindre quidam français sait exactement où il était et ce qu’il faisait lors de ce dimanche 12 juillet torride. L’anecdote veut que les futurs pères priaient pour que leur femme n’accouche pas pendant que Zidane allait planter deux buts (de la tête…) contre le Brésil.
"Nous faisons partie de l’histoire de la France. C’est un sentiment incroyable. Nous étions un peu comme les Beatles. Durant six mois, le pays a été bercé d’une douce euphorie. Nous sommes à jamais les premiers à avoir ramené la Coupe du Monde à la France. Cette génération avait l’envie de gagner, le collectif avec un joueur exceptionnel. Zidane, ce n’est pas que le talent à l’état pur. C’est un gros bosseur, un joueur hyper pro , déterminé et avec une hygiène de vie irréprochable. Il n’y a pas de hasard. Avec le doublé, nous avons mis la battre très haut (NdlR : seule l’Espagne a encore fait mieux avec le triplé Euro 2008, Coupe du Monde 2010 et Euro 2012)."
Un doublé qui pèse peut-être sur les générations suivantes et sur l’actuelle équipe. "Ce qui est arrivé en 2010 à Knysna en Afrique du Sud était le pire du pire. Aux yeux de toute la planète, la France s’est ridiculisée. L’autorité, le respect, tout avait disparu. Je ne vais pas me lancer dans un prono mais, comme chacun sait, j’aime bien Didier Deschamps et sa manière de gérer la sélection. J’ai l’impression, sans être dans le groupe, que le climat est plus sain, que ces joueurs semblent bien vivre ensemble, l’exigence et le respect sont présents. Disons que les conditions sont idéales et que l’équipe progresse : quart de finale au Brésil 2014, finale à l’Euro 2016. Même si plusieurs jeunes joueurs français ont souffert cette saison comme Dembelé ou encore Lemar. Pour être champion du Monde en 1998, nous avons pu compter sur ce qui était la meilleure défense du monde avec cinq titulaires indiscutables dans de grands clubs européens qui ont l’habitude de la gagne : Barthez à Monaco (avant Manchester United), Thuram à Parme (le grand Parme avant la Juventus), Blanc à Marseille (avant l’Inter et Manchester United), Desailly au Milan AC et moi au Bayern Munich."
Et un joueur d’exception devenu un coach à succès. "Zidane est un extraterrestre. Moi, j’adorais et j’adore encore le foot mais entraîneur ne m’attire pas. Parce que je veux être libre de faire ce que j’ai envie de faire. Zizou a beaucoup évolué notamment dans sa com où il est devenu très bon. À l’instar d’un Pep Guardiola. Mais Zizou n’a pas sauté sur le premier poste venu. Il a débuté humblement dans l’ombre comme T2, pour voir et apprendre. Ce n’est pas un entraîneur comme les autres car il n’a pas besoin de parler aux joueurs. Il est Zidane. Et sa sérénité rejaillit sur son équipe. Les favoris pour cette année ? Le Brésil sera là avec un Neymar frais, l’Allemagne car elle a la gagne dans ses gênes, l’Espagne et pourquoi pas la France."
"La Belgique ? Le potentiel d’une start-up, mais…"
Nos Diables Rouges l’ont déçu en 2014 et 2016.
Lorsque nous l’avions croisé lors des différents déplacements au Brésil pendant la Coupe du Monde 2014, Bixente Lizarazu n’avait que des mots positifs, voire des étoiles dans les yeux quand il parlait de nos Diables Rouges. Quatre ans et un coach plus tard, il n’est plus aussi dithyrambique; il est en tout cas plus circonspect. Pas de quoi nous propulser parmi les favoris de l’édition 2018.
"Pour faire une grande équipe, il faut évidemment des joueurs de talent. Vous les avez, avec les Hazard, De Bruyne, Kompany, Courtois. Mais cela ne suffit pas. J’entends toujours parler de potentiel. ‘Ce joueur a le potentiel d’être un grand joueur’ , mais combien deviennent Ronaldo ou Messi ? La future star, cela ne se proclame pas, cela se travaille. La Belgique a le potentiel, mais comme on dit d’une start-up qu’elle a du potentiel. Or, beaucoup d’entre elles se crashent. Il faut savoir si vos Diables Rouges sont en ordre de marche, si les joueurs ont saisi leurs responsabilités, si les idées du coach Martinez passent bien. En équipe nationale, c’est plus compliqué de mettre un plan de bataille en marche car le temps est compté. Avec Aimé Jacquet, nous étions prêts à aller à la guerre. Parce que, depuis l’ Euro 1996, nous avions une ligne de conduite dont nous n’avons jamais dévié. Malgré les critiques, malgré les heurts, malgré les attaques sur le coach, nous allions où nous voulions aller. Une certitude : pour cette génération des Diables Rouges, c’est maintenant ou jamais."
En filigrane , on comprend facilement dans son discours que la cote de notre équipe nationale est plutôt celle d’un gros outsider que d’un petit favori.
"Après le Mondial, je déconnecte tout pendant deux mois"
Le Français sera présent dans de nombreux médias pendant la Coupe du Monde…
Dix-neuf matches au menu pour TF1, le Club Liza sur RTL et une chronique très attendue dans le quotidien L’Équipe. Liza n’aura pas beaucoup de temps pour le sport, les loisirs et les visites touristiques durant ce Mondial. Mais il prévoit déjà l’après.
"Je ne me plains pas. Je suis un privilégié. Ça va être intense car il faudra être connecté en permanence. Or moi, j’ai besoin d’être hors du monde. Quand j’effectue une sortie à vélo de cinq ou six heures (NdlR : il s’est farci les cols pyrénéens et compte enchaîner avec les alpins), j’oublie parfois de prendre mon GSM et cela me fait du bien. Après le Mondial, je coupe tout pendant deux mois. Pour faire du sport. Pour voir des potes. Pour effectuer des randonnées dans la nature, en montagne."
Dans son livre Mes Prolongations, il se livre tout en pudeur et en retenue mais en ne négligeant pas les messages principaux. La transmission et l’écologie dans une approche de vie sont au cœur de ses préoccupations.
"J’ai envie de faire passer un message. Notamment auprès des parents car la société est devenue celle de la vitesse. La pression est devenue intense, voire infernale. Notamment par cette plaie que sont les réseaux sociaux qui tirent tout vers le bas. Quand tu as 15 ans et du talent, il faut apprendre à gérer tout cela. Moi, j’ai envie de me rappeler du gamin de 7 ou 8 ans qui frappait avec son ballon contre la porte de garage de son papa. Et dire aux parents qu’il faut laisser grandir les enfants en douceur. Aujourd’hui, l’argent vient avant tout, trop et trop tôt. Sans jouer au vieux con, les finances sont venues avec les titres que j’ai conquis. Nous étions récompensés de nos efforts mais pas avant de les avoir fournis. Aujourd’hui, tout va vite, très vite, trop vite. Ils sont jeunes et prennent tout dans la poire en une fois : argent, gloire, critiques, médias, etc. Ce qui explique le nombre trop important d’échecs. À ce titre, j’apprécie un Kylian Mbappé qui, malgré la folie autour de lui, donne l’impression d’être resté un enfant."
L’écologie , ce n’est pas une idée politique mais une préoccupation de tous les jours. "Ce n’est pas une étiquette mais une inquiétude de simple terrien. J’ai eu l’occasion de voir lors de mes escapades aux quatre coins du globe que la Terre est belle, qu’il existe des endroits formidables, de la Polynésie au Pays basque. Nous, humains, avons la possibilité de préserver cette nature par des gestes simples."
À pratiquement un demi-siècle (il aura 50 ans en 2019), il a transmis cet amour de la planète à ses deux enfants, sa fille Uhaina et son fils Tximista, à qui il a également inoculé le virus du surf.